jeudi 11 février 2021
De la responsabilité des formateurs
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 11 février 2021 à 07:12 :: Pratique
Douze ans plus tard, j'ignore ce que sont devenus ces étudiants tandis que leurs successeurs sont sacrifiés sur l'autel de la crise. À l'âge où l'on affirme ses choix et ses révoltes, à l'âge où l'on passe des pactes et où la sérendipité accouche de mystères et d'énigmes qu'ils mettront leur vie à dénouer, on les isole, on les parque, on les affame, on les assassine, l'air de rien... Sous prétexte de protéger les anciens ? D'éviter l'hécatombe ? On ne protège pourtant pas les anciens, et l'hécatombe ressemble aux dominos qui tombent en rafale sans ne plus s'arrêter tant ils sont nombreux...
Article du 5 mars 2008
Lors d'un workshop comme celui auquel je participe aux Beaux-Arts de Quimper, il est évidemment épuisant d'enchaîner les projets des étudiants les uns après les autres. Après l'exposé de chacun, il est indispensable d'avoir au moins une idée ou une remarque intelligente. C'est du moins l'enjeu que je me fixe chaque fois. J'essaie de comprendre, m'interdisant de juger, critiquant sans ne jamais acculer un étudiant ou une étudiante dont le travail peut sembler insuffisant ou abscons. Je me sers de tout ce que je trouve dans leur projet ou leur discours pour digresser sur des considérations plus larges qui fassent sens pour l'ensemble des présents. Chaque participation a valeur d'exemple pour tous, aussi leur demande-je d'être attentifs lors de l'énoncé de chaque travail personnel. Il est important que tous les étudiants puissent intervenir sur les exercices ou les œuvres des uns les autres, qu'ils suggèrent et s'interrogent. Je cherche moi-même à comprendre les motivations, les enjeux et la finalité de chaque projet. À la manière des petits enfants, j'égraine les pourquoi. Je me fiche des tâtonnements techniques et des maladresses. Seule m'importe l'originalité de la démarche ou plus exactement la manière dont chacun doit penser par soi-même. J'insiste aussi sur le fait que "ce qui est important n'est pas le message, mais le regard"...
La provocation n'est pas absente de mes interventions, outrepassant les raisons de ma venue, soit le rapport des sons et des images, ici l'utilisation du son dans les œuvres plastiques. Qu'est-ce qu'un artiste ? Y a-t-il toujours une souffrance en amont ? Parfois cachée, elle ne se révélera souvent qu'avec le temps. Quel modèle économique pourra permettre à ces jeunes gens de vivre de leur art lorsqu'ils seront jetés dans la vie active ? Je mets les pieds dans le plat en abordant le tabou de la technique ou de l'argent, des droits d'auteur et de la propriété... Karine et Christine réagissent au doigt et à l'œil. Ensemble, nous dessinons doucement le paysage apparemment inextricable que certains ou certaines arriveront peut-être à apprivoiser. J'aimerais être propulsé dans dix ans pour voir ce que seront devenus les plus créatifs, les atypiques, les révoltés...