Enfant je pratiquais la prestidigitation. Je savais qu'il ne fallait jamais refaire deux fois le même tour. La seule exception est de rater intentionnellement la manipulation pour épater d'autant plus la galerie, et cela fait même souvent partie du "truc". Parce qu'il y a toujours un "truc" ! L'étonnement risque de ne pas fonctionner la seconde fois, voire de dévoiler la supercherie. Or j'ai tendance à penser que tout dans la vie devrait obéir à cette règle d'or : ne jamais recommencer deux fois le même tour.
Nous avons hélas tendance à nous répéter. On ne change pas de névrose. Nous nous en apercevons souvent trop tard, quand l'affaire est close. Dans le meilleur des cas les similitudes nous sautent aux yeux. Ce n'est pas si grave tant qu'on y trouve son "conte", l'histoire que nous nous inventons et qui fait passer le rêve à la réalité.
Je n'ai jamais compris les artistes qui ont trouvé leur "truc" et le répètent inlassablement dès lors qu'il a marché. Ce sont pourtant la très grande majorité. Dévier de cette règle est rarement facteur de succès. Le public préfère reconnaître à connaître. Ceux qui remettent systématiquement leur titre en jeu sont ceux que je préfère. Ils font forcément partie des touche-à-tout, de ceux qu'on appelle "de génie" lorsqu'on est bien intentionné. Contrairement aux États-Unis par exemple, la France apprécie rarement ces curieux qui changent de matière sans pour autant changer de style. Cette translation est moins facilement lisible.
Dans mon travail se pose la même question. Comment puis-je continuer à exprimer ma passion pour mon art sans me lasser de mes trouvailles ? Comment me renouveler, sachant que je suis incapable de dévier de mes motivations fondamentales ? Elle ne sont pas seulement d'ordre esthétique. Depuis que je suis tout petit, il s'est avant tout agi de changer le monde, de le rendre meilleur. Je ne lâche pas, même si vous imaginez que le constat est catastrophique. Cocteau disait avec dédain que certains s'amusent sans arrière-pensées. Je ne peux concevoir qu'aucun artiste puisse y déroger. Pas seulement les artistes. Qui que ce soit.


Renouveler ma palette est une manière parmi d'autres de sortir de ma zone de confort. Acquérir de nouveaux outils ou des instruments que je ne maîtrise pas m'aide à changer d'angle. [À partir d'ici, mes notes sont plus techniques et risquent de larguer les lecteurs/trices non porté/e/s sur l'instrumentation électronique, vous pouvez sauter au dernier paragraphe !] Ces derniers temps j'ai été servi. Les machines conçues et fabriquées par les Russes de chez Soma m'ont ouvert des portes dont je soupçonnais malicieusement l'existence. Trier les sons achetés pour les moteurs Kontakt, Soundpaint ou Equator sont autant de promesses de pièces nouvelles. Je me demandais surtout si je pourrais échapper à mon passé en utilisant la récente réplique de mon ancien synthétiseur, l'ARP 2600. J'ai commencé par essayer mes patches des années 70 que j'avais pieusement conservés. Cela m'a permis de comprendre ma façon d'alors d'aborder la synthèse musicale. Il faut bien souligner le potentiel pédagogique d cet appareil. Les circuits que j'inventais révèlent mon esprit tortueux, à brancher des entrées avec des entrées, des sorties avec des sorties, à tripatouiller les tensions de drôles de manières, comme si les synapses de mon cerveau étaient calqués sur mes programmations. J'ai fini par m'en lasser. Le passé a ses qualités biographiques, mais il n'engage à rien quand la marche est vectorielle. Il fallait trouver autre chose. J'ai donc modifié le set-up de mon installation dans le studio.
Depuis près de 40 ans mon Ultra-Harmoniseur Eventide H3000 fait partie de ma palette de base. Je l'emporte partout et il est branché en parallèle sur la table de mixage, exactement comme la réverbération, pour pouvoir l'affecter à n'importe quelle voie. Récemment j'ai ajouté le Cosmos, une sorte de looper-délai aléatoire à ces deux envois auxiliaires. Ma petite révolution a consisté à débrancher le H3000 et le remplacer par la pédale H9Max du même constructeur. Il fallait oser. J'ai toujours pensé être incapable de m'en passer. Quelle claque ! En affectant l'H9 et un petit clavier doté d'un arpégiateur-séquenceur à l'ARP (élément qui n'existait pas sur mon ancien instrument, acquis en 1973 et revendu stupidement en 1995), je me retrouve avec un synthétiseur entièrement nouveau qui me permettra de créer des pièces inimaginables jusqu'ici. Si l'on ajoute les SOMA (radio FM intégrée à l'Enner, KaossPad sur le Lyra-8) et la possibilité de transformer ça et le reste (des centaines d'instruments acoustiques et électroniques) avec le Cosmos et l'H9, j'en attrape le vertige.
Je vais bientôt pouvoir tester tous ces sons qui m'échappent encore. J'espère reprendre mes sessions improvisées dès le mois de mai. Le prochain album, probablement intitulé Scénographie, s'inspirera de photogrammes de films, une autre manière de continuer (la démarche originelle et le processus de ces rencontres) en changeant (les sollicitations anecdotiques)... À ce propos, j'aborderai prochainement la question du cadre et du hors-champ, et donc de l'incomplétude narrative et de l'interprétation individuelle.