Pourquoi n'y a-t-il que dans le rap que je retrouve ce qui me plaisait tant dans les premiers Zappa ou les zappings de Zorn (Godard, Spillane, The Big Gundown, Kristallnacht), à savoir les montages rapides pleins de citations œcuméniques, de perspectives sonores, un mix échevelé dont les origines étaient à chercher du côté de la littérature (Prévert, Burroughs) ou du cinéma (Buñuel, Godard, Chytilová, Adam Curtis...). Avant, il y avait eu Spike Jones et Carl Stalling évidemment. Robert Wyatt, qui connaissait mes goûts hirsutes, m'avait fait connaître Wyclef Jean et son Carnival, j'avais adoré. Quelque chose comme ça dans certaines pièces de René Lussier ou François Sarhan, l'Agitprop music de İlhan Mimaroğlu, mais il y en a plein d'autres, les flashs me reviennent au fur et à mesure que je frappe mes touches au rythme du nouveau Kendrick Lamar, le double Mr. Morale & The Big Steppers. Je n'en comprends que des bribes, il faudra que je lise les paroles, mais c'est souvent ainsi avec ce qui vient d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique. On commence par la musique. Un feu d'artifices, au sens propre comme au figuré. On dit que c'est "produit" pour signaler le boulot et l'excellence. Trop de références pour que je souligne les liens, comme dans les radiophonies du Drame qui anticipèrent le plunderphonics de John Oswald. Dans Crimes parfaits il y a bien 300 échantillons (plus tard on appelé cela des samples) en 6 minutes, mais c'est toute ma musique qui obéit à ce chaos organisé. Lamar fait se rencontrer Marvin Gaye avec Tricky, mélange de romantisme et de colère, politique puisque tout l'est lorsqu'on ne pratique pas celle de l'autruche, même si ce nouvel album est plus introspectif que les précédents. Je suis dans le TGV, le casque sur les oreilles, Lamar de Rennes à Paris, comme si j'avais rêvé, une réalité sous des allures de mirage, le mur du son bravé par le flow au premier plan et la musique quasiment en hors-champ, apportant un regard inédit, complémentaire comme les couleurs que j'aime. Il faudra que j'écoute encore pour savoir comment ça marche, ce que ça raconte, pourquoi tel choix, tel paysage sonore à reconnaître, parce que rien ne semble laissé au hasard. Ne semble, ai-je écrit, pour savoir si bien comment le somnambulisme accouche d'images tangibles.



→ Kendrick Lamar, Mr. Morale & The Big Steppers, 2CD