Léon-Gontran Damas' Jazz Poetry, sous-titré A Call & Response, du groupe Pigments & The Clarinet Choir, est le genre de disque qui attire instantanément mon attention, parce qu'il véhicule des idées extramusicales qui riment avec la révolte, arrière-pensées mises en avant qui poussent le rythme et font sonner les harmonies. Parfois cela ne prend pas, par exemple lorsque texte et musique ne s'influencent pas véritablement. Le plaquage n'a rien du brut. Mais lorsque, comme ici, ils procèdent du même élan, alors la magie opère, galvanisant les énergies et redonnant espoir d'un monde meilleur.
Il est d'abord nécessaire de rappeler qui est le poète Léon-Gontran Damas, écrivain et homme politique français né en 1912 à Cayenne et mort en 1978 à Washingron, DC. Avec Aimé Césaire et Léopold Senghor il est l'un des fondateurs du courant littéraire de La Négritude, mouvement anticolonialiste et antiassimilassionniste. Je n'avais jamais entendu parler de lui avant que Christiane Taubira ne le cite brillamment lors de son discours introductif aux débats sur le mariage pour tous à l'Assemblée Nationale en janvier 2013. J'avais été alors impressionné, mais j'ai vite déchanté en découvrant cette femme politique autoritaire encensée par les socialistes mous, dont les quelques citations apprises par cœur avaient, au fil des années, fini par sonner particulièrement démagogiques à mes oreilles dubitatives. Je préfère donc reprendre le texte original de l'écrivain, creuser mon propre chemin, cette fois guidé par des musiciens dont la sincérité s'entend à chaque plage. Toujours remonter aux sources, me rappelait sans cesse Jean-André Fieschi.
C'est ce que fait le pianiste Guillaume Hazebrouck en composant pour le groupe Pigments & The Clarinet Choir et partageant la direction artistique du projet avec le slameur Nina Kibuanda, originaire de Kinshasa au Congo, tandis que Sika Fakambi demande à différents auteurs des textes en réponse à ceux de Damas pour qu'ils figurent dans le livret. Le bassiste Olivier Carole slape magnifiquement et prend souvent le relais du piano, mais c'est le beatbox du clarinettiste Julien Stella qui m'emballe lorsque les scratches vocaux se mêlent aux paroles scandées. L'orchestration est étonnante puisque se joignent à eux deux autres clarinettistes, Olivier Thémines et Nicolas Audoin.


Piano, basse et trois clarinettes. Le style d'Hazebrouck s'inspire autant du jazz que de la musique classique contemporaine, échappant aux poncifs des deux genres. Il se réclame d'ailleurs d'Andrew Hill, Henry Threadgill, Frederico Mompou, Charles Ives et Helmut Lachenmann, compositeurs tous plus ou moins marginaux dans leurs secteurs respectifs. Ses tourneries rythmiques vous happent comme un typhon vertigineux alors que la basse vous fouette le visage de ses embruns brûlants. Le slameur n'en fait pas des tonnes, il est juste, à sa place, servant le texte en s'appuyant sur la musique. Les clarinettes amplifient le timbre au besoin. Le disque peut s'écouter à plusieurs niveaux, en suivant la poésie de Damas, l'entrain du groupe ou en se concentrant sur l'osmose paroles et musique. Que je le remette plusieurs fois de suite sur la platine est le meilleur des signes.

→ Pigments & The Clarinet Choir, Léon-Gontran Damas' Jazz Poetry, A Call & Response, CD Yolk Music, dist. L'autre distribution