Comme j'étais en Bretagne j'en profitai pour faire un saut à Landerneau où le Fonds pour la culture Hélène & Édouard Leclerc expose Ernest Pignon Ernest jusqu'au 15 janvier 2023. On avait pique-niqué le long de l'Élorn près du pont habité de Rohan. Aucune cabine téléphonique dans la ville pour expliquer aux enfants comment on faisait avant les portables. Je ne me souviens plus si c'était ces miséreux ou Rimbaud sur un mur qui la première fois me fit découvrir une affiche de l'artiste, mais c'était à la fin des années 70 lorsque je travaillais avec Michel Séméniako et Marie-Jésus Diaz pour UniCité. Ernest Pignon Ernest reste pour moi la référence la plus ancienne du street art en France, l'art urbain, même s'il a collé un peu partout sur la planète. Son œuvre est intimement liée à son engagement politique. À l'époque j'étais compagnon du route du PCF, même si je n'adhérais pas au révisionnisme proto-stalinien ni au Programme Commun. Lorsqu'on dit que E.P.E. fait des œuvres en situation, il préfère répondre qu'il fait œuvre des situations. À l'instar des Jean-Luc Godard il aime retourner les phrases comme une chaussette pour s'approprier l'espace public où il colle...


Le conservateur Jean de Loisy a sélectionné trois cents œuvres, dessins, photographies, installations, montrant son engagement critique et la virtuosité de ses traits. E.P.E. commence par des pochoirs, passe aux dessins à la pierre noire et aux sérigraphies qu'il place toujours dans des lieux en rapport avec le sujet. L'ombre portée de l'homme foudroyé par l'éclair nucléaire de Hiroshima ne le quittera jamais. Ses Pasolini portant sa propre dépouille sont symptomatiques de la souffrance subie par les plus fragiles, de l'injustice que la société impose à ceux qui ruent dans les brancards en refusant de se taire. Il colle donc Pasolini assassiné à Rome, Matera, Naples, dans des lieux qui riment avec la vie et la mort du cinéaste-poète...


Chaque salle porte un titre. Ecce Homo, Soulèvements, Naples (Anabases et catabases), Derrière la vitre, Dans l'atelier, Pasolini (Si je reviens), Le poète fait son pays, Mystiques, Droit au cœur, Victor Segalen. Les esquisses montrent le travail minutieux de l'artiste, ses recherches du moindre détail, pour qu'il exprime ce que visent les poètes. Il en fait leurs portraits. Artaud. Desnos. Genet. Maïakovski. Neruda. Mahmoud Darwich. Jacques Stephen Alexis. Des anonymes. Il installe les grandes mystiques qui ont laissé des écrits, Marie Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila, Marie de l'Incarnation, Louise du Néant, Madame Guyon. Le corps est sanctifié. Le visage creusé. Il marche sur les traces de Leonardo da Vinci, déterrant les cadavres, mais de manière métaphorique. Il exhume les victimes, morts vivants d'une société inique qui les dépouille. À Calais, Soweto, Ostie...


E.P.E. lutte contre l'oubli. Je reconnais Maurice Audin, jeune mathématicien communiste assassiné en Algérie par les militaires français. Sa femme, qui a passé sa vie à se battre pour que la vérité sur sa mort éclate, habitait à deux pas et le parc du Château de l'étang où je marche quotidiennement a été rebaptisé Parc Josette-et-Maurice-Audin. Je pense souvent à lui, comme aux autres figures dessinées par Ernest Pignon Ernest. Nous partageons ces images pieuses, fondamentalement laïques et révolutionnaires.