70 août 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 août 2022

Provisoire


J'aime le changement. Comme changer d'angle. Varier les points de vue. C'est à la fois indispensable et inéluctable. Il y a pourtant des mouvements qui me rendent triste. Des départs. La mort des uns. Ou d'autres leur temps. Révolus. Des émotions qu'on ne revivra plus. Du moins pas comme on les a vécues. Des complicités perdues à jamais. Dans L'isolement des Méditations poétiques Lamartine écrit "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé". Il n'a que trente ans et encore quarante-huit à vivre. Combien manqueront à l'appel entre temps ? Le désert est peuplé de disparus. Des femmes que j'ai aimées. Des amis si proches que nous faisions corps. Elles comme ils ont emporté ce que nous avions en partage. J'ai hérité de tant de souvenirs que je pourrais encore écrire pendant cent ans. Nos jours sont heureusement comptés. Nuages et poussière. Lorsque c'est trop douloureux, je frappe mes claviers. Touches noires et blanches, ou qui s'éclairent quand tombe le soir. Et je chante. Dans Le mariage de Figaro Beaumarchais écrit "Tout finit en chansons". J'ai été marié deux fois, deux fois divorcé, c'est pour l'état civil. Bien en deçà de la vérité. Combien de ruptures, autant d'alliances, encore plus de rencontres ! Il faut que j'assume les codas tant j'aime les débuts, même si rien ne vaut les opéras interminables, les transes qui vous font tourner encore et encore après des années et des années, toujours. Si j'aime l'instantanéité, je n'apprécie guère l'éphémérité. Mon goût pour la vectorisation peut s'exprimer ainsi. Les segments ne m'intéressent pas. Le vecteur c'est aller vers, c'est y croire. Sans s'arrêter. Sans ne jamais atteindre son but. Même si tout a une fin. Et que c’est une chanson.

mardi 30 août 2022

Die Hochstapler : Beauty Lies / Within


Deux CD enregistrés à Berlin les 14, 16 et 17 février 2022 au Topsi Pohl. Je ne suis jamais allé à Berlin, mais c'était une des capitales que fréquentaient les jazzmen américains dans les années 60 quand ils n'étaient pas à Paris ou Stockholm. À New York, ou pire dans une ville plus industrielle, ils crevaient la dalle, et restaient des nègres. En Europe les salaires étaient plus décents. Et puis ici on fantasmait le swing, l'improvisation, le free, la great black music. J'ai souvent du mal avec les clones d'aujourd'hui qui aiment ce qu'ils font sans connaître les origines de ce qu'ils jouent. Les notes y sont, même les bleues, mais il manque souvent l'essence, le sens, la nécessité absolue, la révolte.
Et puis débarquent Die Hochstapler, ce qui signifie les imposteurs ! Comme les autodidactes qui se sentent usurpateurs, ce quartet franco-ialien-allemand sait bien qu'il y a un océan à demi séculaire entre eux et les fondateurs. Alors ils ont fouillé la mémoire collective pour sortir vingt-cinq morceaux des premier et troisième jours, et deux longs du second, où Charles Mingus, Ornette Coleman et l'Art Ensemble ont semé des graines qui ont fini par germer. Question de complicité forcément, c'est un jeu entre eux et les anciens. Le saxophoniste alto Pierre Borel, le trompettiste Louis Laurain, le contrebassiste Antonio Borghini et le batteur Hannes Lingens font bouger les jambes sans qu'on y pense, et puis stop, silence, et ça reprend de plus belle. Quand tout à coup Laurain se met à chanter, on revient de loin. Mais ça repart aussitôt, plein d'entrain. Comme une fanfare de potes, un marching band désarticulé qui avance inexorablement, sur un pied, sur deux, sur trois... Le jazz ne permet pas de marcher au pas, il danse.

→ Die Hochstapler, Beauty Lies, CD Umlaut, dist. Socadisc, sortie le 15 septembre 2022
→ Die Hochstapler, Within, CD Umlaut, dist. Socadisc, sortie le 15 septembre 2022

lundi 29 août 2022

Les bons contes font les bons amis


La publication en CD de l'album Les bons contes font les bons amis marque la fin des rééditions des vinyles d'Un Drame Musical Instantané par le label autrichien Klang Galerie. Si GRRR avait sorti en CD le premier, Trop d'adrénaline nuit, le label de Walter Robotka avait à son actif les suivants, soit Rideau ! (épuisé), À travail égal salaire égal, L'homme à la caméra et Carnage. Il est probable qu'il continue maintenant avec des inédits comme il l'avait fait avec Rendez-vous, duo de Hélène Sage et moi-même. Avec Francis Gorgé nous avons réalisé un nouveau master utilisant les ressources du numérique et Lisa Robotka a mis en page les superbes dessins de Jean Bruller (connu sous le nom de Vercors pour ses romans dont le célèbre Le silence de la mer) qui illustraient la pochette originale. Toutes ces rééditions offrent des bonus inédits, absents des vinyles. Ici une seconde version de 16'46 de Ne pas être admiré, être cru, enregistrée le lendemain de la première, permet d'apprécier la part d'improvisation laissée aux musiciens et musiciennes. D'autre part, Révolutions, pour trois orchestres dirigés par les trois piliers du Drame, est livré pour la première fois dans son intégralité, soit 26'31. Francis et moi regrettons que Bernard Vitet ne soit plus là pour apprécier le travail réalisé aujourd'hui.


Deuxième des trois albums du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, Les bons contes font les bons amis, enregistré en public au Studio Berthelot à Montreuil le 30 novembre et le 1er décembre 1982, réunit quinze musiciens et musiciennes : Jean-Jacques Birgé (synthétiseur PPG, piano, trompette, trompette à anche, flûte, guimbarde, inanga, percussion, bandes, voix, direction), Bernard Vitet (bugle, trompette à anche, voix, direction), Francis Gorgé (guitares électrique & classique, direction), Hélène Sage (flûtes, bouilloire, percussion, voix), Jean Querlier (hautbois, cor anglais, flûte, sax alto), Youenn Le Berre (basson, flûtes, sax ténor sax, cornemuse), Patrice Petitdidier (cor, cor de poste), Philippe Legris (tuba), Jacques Marugg (marimba, vibraphone, timbales), Gérard Siracusa (percussion, cloches, direction), Bruno Girard (violon), Nathalie Baudoin (alto), Didier Petit (violoncelle), Hélène Bass (violoncelle), Geneviève Cabannes (contrebasse).


Pamphlet contre la chasse, Ne pas être admiré, être cru est une pièce composée de petites cellules orchestrales, d'un field recording et d'éléments de fiction auquel participa Jacques Bidou dans le rôle du présentateur télé. Si j'avais enregistré l'enlèvement de Bernard dans le Bois Notre-Dame, je ne me souviens plus où j'étais allé pour les chasseurs. La mélodie L'invitation au voyage de Charles Baudelaire et Henri Duparc, qu'il chante accompagné par Jean Querlier au hautbois et moi au synthétiseur (à cette époque j'utilisai le PPG Wave 2.2) ainsi que Sacra Matao, composé à l'origine pour le groupe Gwendal par Youenn Le Berre (ici à la cornemuse), faisaient partie du Concerto de la lune dont l'intégralité n'a jamais été éditée. La pièce maîtresse est Révolutions pour trois petits ensembles nommés Un Jour, Le Canon et Tonnerre. Bernard Vitet dirige Tonnerre pour cuivres et percussion, Francis Gorgé le canon à l'écrevisse pour bois, cordes et percussion, quant à moi je dirige Un jour au piano la partie la plus fictionnelle avec les deux Hélène et Bruno.
À la réécoute, quarante ans plus tard, je me rends compte de ce qui vient de chacun de nous trois, et surtout comment l'écriture collective orienta nos compositions. Je pensais que la musique que nous écrivions était très différente de celle de nos compositions instantanées, or j'entends aujourd'hui à quel point elles se ressemblent intrinsèquement. La complicité qui nous animait nous permettait d'anticiper les mouvements de chacun, que ce soit dans l'instant lorsque nous "improvisions" ou sur le papier quand nous tentions d'articuler les désirs de chacun en fonction d'un sujet. J'emploie le mot sujet plutôt que thème, car il s'agissait de "musique à propos", à comprendre comme nos intentions (propos), mais aussi dans leur contemporanéité (à propos).

→ Un Drame Musical Instantané, Les bons contes font les bons amis, CD Klang Galerie gg401

N.B.: pour les amateurs de vinyles, Rideau !, À travail égal salaire égal, Les bons contes font les bons amis, L'homme à la caméra sont toujours disponibles chez GRRR (ainsi qu'aux Allumés du Jazz, chez Orkhêstra et au Souffle Continu) dans leur pressage d'époque ! Par contre, Trop d'adrénaline nuit et Carnage sont épuisés.

vendredi 26 août 2022

Sciatique bloquante


Je me serais bien passé d'écrire un second article ce matin. Impossible de bouger. Je me tiens aux murs pour avancer ou bien je glisse sur le côté, mais, pieds nus, ce n'est pas simple. Les analgésiques (Tramadol Paracétamol) ne font pas d'effet. D'habitude ça marche. Pas eu aussi mal depuis des lustres. En prenant mon temps, j'ai réussi à m'habiller, à descendre et ouvrir la porte d'entrée si ça sonne. Rester au rez-de-chaussée. Je suis assis devant mon clavier, relié au monde par un fil virtuel. Rdv chez l'ostéo lundi matin, mais d'ici là comment faire ? Heureusement j'ai des voisins sympas et compatissants. J'essaie d'apprivoiser la douleur en la décrivant. Fesse gauche : très localisé, c'est lourd, rond, tremblant. La canne m'aide un peu si je dois traverser la pièce, mais le sol est glissant. J'ai l'impression qu'il vaut mieux que je bouge plutôt que rester immobile, même couché. Si j'y arrive. C'est un mauvais moment à passer. Ma laxité m'a toujours joué des tours. Avec la gym et le sauna je n'ai plus jamais de lumbagos, mais l'épanchement de synovie récent m'a probablement déséquilibré. C'est une histoire de dominos, de dos minot. En vieillissant je gère tout mieux qu'avant. Il faut bien cela pour compenser.

La place est prise


J'avais quatre ans. Mes parents m'avaient laissé seul à la maison avec la mission de répondre au téléphone. Ils avaient passé une petite annonce pour trouver une femme de ménage et je devais répondre : "la place est prise". Ce crève-cœur s'est reproduit lorsque j'ai voulu me plier à l'exercice de choisir un disque par an depuis ma naissance. Certaines années, en particulier les 60-70, étaient si riches que c'est un massacre par omission. J'ai fait le ménage moi-même, mais ce n'est pas nickel. Pour une fois j'ai maudit mon âge, jalousant les plus jeunes qui auraient moins de cases à remplir. Et puis comment se souvenir ? L'article m'a pris plus de temps qu'à l'ordinaire. J'ai cherché sur Internet par année, dans ma discothèque par artiste, dans mes souvenirs qui se tamponnent comme à la fête foraine, sur mon blog mois par mois... Certains albums de tel artiste est plus important que celui que j'ai inscrit, mais la place était prise, alors je me suis rabattu sur un moindre. Si c'était moi, je critiquerais fortement certains choix faits à la va-vite pour combler les années amnésiques... Par cette chaleur je n'avais probablement rien de mieux à faire que de me prêter à ce jeu d'obsessionnel.

1952 Sidney Bechet - La nuit est une sorcière
1953 Francis Poulenc - Les mamelles de Tirésias
1954 Emy de Pradines - Voodoo
1955 Jean Cocteau - Poèmes dits par l'auteur
1956 Henry Cowell, Charles Ives, Alan Hovhannes
1957 Edgar P. Jacobs - La marque jaune
1958 Thelonious Monk - Misterioso
1959 Michel Magne - Musique tachiste
1960 Charles Mingus - Pre Bird
1961 Léo Ferré - Les chansons d'Aragon
1962 Edgar Varèse - Arcana Déserts Offrandes
1963 Eric Dolphy - Music Matador
1964 Claude François - à l'Olympia
1965 Beatles - Help!
1966 Harry Partch - Delusion of The Fury
1967 Jimi Hendrix - Are You Experienced
1968 Mothers of Invention - We're Only In It For The Money
1969 Archie Shepp - Blasé
1970 Soft Machine - Third
1971 Carla Bley - Escalator Over The Hill
1972 Colette Magny - Répression
1973 Roland Kirk - Prepare Thyself To deal With a Miracle
1974 Robert Wyatt - Rock Bottom
1975 Birgé Gorgé Shiroc - Défense de
1976 Michael Mantler - The Hapless Child
1977 Ilhan Mimaroglŭ - Agitation
1978 Francis Poulenc - Mélodies
1979 Michael Jackson - Off The Wall
1980 The Residents - The Commercial Album
1981 Hal Willner - Amarcord Nino Rota
1982 Charlie Haden - The Ballad of The Fallen
1983 Tom Waits - Swordfishtrombones
1984 Giovanna Marini - Pour Pier Paolo Pasolini
1985 Lester Bowie - I Only Have Eyes For You
1986 Grieg, Mahler, Scriabine, Saint-Saëns, Reger, Ravel, Debussy, Strauss - Welte-Mignon
1987 John Zorn - Spillane
1988 Michael Mantler - Many Have No Speech
1989 Steve Reich - Different Trains
1990 Fred Frith - Step Across The Border
1991 Conlon Nancarrow - Studies for Player Pianos
1992 William Burroughs - Spare Ass Annie
1993 Frank Zappa - The Yellow Shark
1994 Kronos Quartet - Night Prayers
1995 Björk - Post
1996 Collectif - Buenaventura Durruti
1997 Wyclef Jean - The Carnival
1998 Massive Attack - The Singles Collection
1999 Arto Lindsay - Prize
2000 Bang On A Can - Lost Objects
2001 Noir Désir - Des visages des figures
2002 Joni Mitchell - Travelogue
2003 Fausto Romitelli - Professor Bad Trip
2004 Miles Davis - The Complete Jack Johnson Sessions
2005 Philippe Katerine - Robots après tout
2006 Scott Walker - The Drift
2007 René Lussier - Le trésor de la langue (coffret)
2008 Portishead - Third
2009 Das Kapital - Ballads & Barricades
2010 Kronos Quartet - Rainbow
2011 Shabazz Palaces - Shabazz Palaces
2012 Edward Perraud - Synaesthetic Trip
2013 David Lynch - The Big Dream
2014 Robert Wyatt - Different Every Time
2015 Den Sorte Skole - III
2016 Ursus Minor - What Matters Now
2017 Chinese Man - Shikantaza
2018 Ambrose Akenmusire - Origami Harvest
2019 Daniel Erdmann's Velvet Revolution - Won't Put No Flag Out
2020 Söta Sälta - Comme c'est étrange
2021 Jo Berger Myrhe - Unheimlich Manœuvre
2022 Kendrick Lamar - Mr Morale and The Big Steppers

Encore une fois, il faut voir cette liste comme des pistes. Ce n'est pas un best of, ni mes 70 meilleurs disques. Beaucoup de mes chouchoux sont absents. Il fallait faire correspondre deux listes, celle des années qui se succèdent imperturbablement et celle des albums qui y sont parfois rentrés aux forceps. Cela ne m'a même pas poussé à les réécouter, parce que je les connais par cœur. Avec le cœur, ah ça oui !

jeudi 25 août 2022

Sur l'écran noir de mes nuits blanches


Ces notes sont délivrées dans le plus grand désordre, superficielles. Sans rien développer, juste signaler quelques pistes.
Étienne a raison, le film bollywoodien RRR est vraiment délirant. Sur ma lancée j'ai regardé les deux parties de Baahubali du même S. S. Rajamouli, mais il manque la débauche de moyens et la charge contre l'occupant anglais que j'avais adoré avec Lagaan. Pourtant c'est un peu la même idée sous-jacente de revanche ; de toute manière le genre exige sept chansons chorégraphiées et une happy end ! J'ai déjà beaucoup écrit sur ma fascination pour le cinéma indien. À parler d'Étienne je trouve époustouflantes ses recherches actuelles sur l'IA (intelligence artificielle) ; passé toutes les interrogations que cela provoque, créativité de l'artiste, droits d'auteur, fiabilité de l'information, je me demande quel chef d'œuvre en sortira.
Nathalie a raison, En corps de Cédric Klapisch est bien un feel good movie, c'est charmant ; la danse contemporaine y présente une belle ouverture pour les classiques, même si on préférera de très loin le documentaire sur Les Indes galantes, joué par des gosses des cités. Pas étonnant que Rameau se prête au hip hop ; je me demande si Berlioz, Satie ou Varèse inspireront des metteurs en scène, je les cite parce que ce furent des indépendants en leur temps et j'y sens une filiation, mais je m'égare à mélanger les genres.
Crimes of the Future m'a rappelé Existenz et Deadly Ringers (Faux-semblants), Cronenberg est un des rares cinéastes à me surprendre, comme Lynch ou Godard, scénario et traitement. Flee du Danois Jonas Poher Rasmussen justifie pleinement le mix documentaire et animation, très beau film sur l'immigration politique. J'ai vu tellement de films sans prendre de notes que j'en ai oublié la majorité. On pourra toujours se reporter à mes articles récents sur le cinéma.
J'ai fini par me lancer dans la série Better Call Saul que j'avais laissée de côté, n'étant pas aussi fan de Breaking Bad que beaucoup de mes amis ; si les six saisons sont aussi chouettes que les premiers épisodes, j'ai des biscuits pour l'hiver. J'ai glissé dans le binge watching qui consiste à s'enfiler tous les épisodes à la suite sans pouvoir s'arrêter avec le thriller d'espionnage False Flag (j'ai regardé les deux premières des trois saisons) ; cette série israélienne ébranlera peut-être ceux qui appellent complotisme la remise en question de l'information officielle.
La mini-série Sur ordre de Dieu (Under the Banner of Heaven) est un bon thriller en pays mormon pour ébranler la foi, des fois que vous y croyiez ! Autre mini-série, This is going to hurt montre l'état catastrophique du système hospitalier britannique (en France, la politique de nos gouvernements successifs nous y mène directement) avec un humour noir que j'adore ; c'est drôle et caustique, fortement conseillé. Les séries anglaises sont toujours soignées aux petits oignons. Toujours mini (cela signifie qu'il n'y a qu'une saison, donc les risques chronophages sont relativement limités), Landscrapers est également une des meilleures de l'année, avec Olivia Colman and David Thewlis, réalisation et interprétation remarquables. J'ai suivi avec beaucoup d'amusement Gaslit sur le scandale Watergate (qui avait eut la peau de Richard Nixon) avec Sean Penn méconnaissable et Julia Roberts. Dans le genre heroic fantasy, Sandman, basé sur un roman graphique de Neil Gaiman qui avait écrit MirrorMask, est plus réussi que beaucoup d'autres, peut-être grâce au sous-texte moraliste de sa mythologie. J'attends probablement la quatrième et dernière saison de L'amie prodigieuse pour revenir sur cette excellente adaptation des romans d'Elena Ferrante...
Il faut dire que j'ai changé de vidéo-projecteur et que le nouveau (4K) possède un contraste et une luminosité que n'avait pas le précédent, appréciables dans les scènes obscures. Je reste toujours aussi dubitatif sur l'amélioration technologique que représente le Blu-Ray et ses déclinaisons. Ce n'est pas la technique qui fait la différence, mais la qualité des films. Lorsqu'on est pris, peu importe la fidélité, le grain ou le contraste. Le matériel est vraiment subalterne. Le passage de la VHS au DVD fut au moins significatif, mais ensuite... Tout comme le 5.1 si rarement utilisé intelligemment. Par contre, il y a une vingtaine d'années, le home-cinéma fit un bond extraordinaire dès lors que l'on a la possibilité de projeter sur un véritable écran d'une taille conséquente. Un poste de télé, fut-il très grand, permet de regarder en plein jour, mais cela reste de la télévision. Devoir fermer les volets ou les rideaux tient d'un rituel qui fuit la banalisation du flux. Le cinéma, c'est quand l'écran est plus grand que soi, disait JLG...

mercredi 24 août 2022

18ème année du blog


C'est reparti pour un tour. On me demande souvent comment j'ai l'inspiration d'écrire chaque jour un nouvel article depuis 17 ans. Même s'il possède des spécialités, le blog est généraliste, ce qui déjà laisse un champ large. Ensuite je ne me force jamais. Il faut que les mots s'inscrivent librement sur la page. Aucun article de complaisance, si ce n'est avec moi-même ! Les sujets peu ou pas abordés du tout par la presse sont privilégiés. Je chronique de préférence le travail de jeunes artistes méconnus ou de vieux oubliés, des produits de niche, des objets inclassables, toujours dans un esprit positif. Éviter de blesser qui que ce soit par un article négatif. Choisir ce qu'on aime aide à trouver l'inspiration. Il m'arrive de temps en temps de déroger à cette règle lorsque je prends le contrepied de ce qui est diffusé à grande échelle. Un bon coup de gueule est parfois salutaire. La doxa me fait braire. Je développe une aversion particulière pour travail famille patrie ou l'hypocrite liberté égalité fraternité. L'injustice me fait grimper aux rideaux. En vieillissant je fais cela plus sereinement. Ayant participé à de nombreux journaux et revues, j'apprécie la liberté totale que m'offre ce journal extime. Je ne suis jamais réécrit, mais j'ai souvent bénéficié d'une première lectrice qui pointait mes à-peu-près ou mes répétitions. Internet permet aussi de corriger instantanément la moindre erreur. Je vérifie mes sources, c'est probablement ce qui me prend le plus de temps. Trois heures par jour. Comme je dors à peine plus, il me reste un temps considérable pour faire de la musique, rêvasser ou aller me promener. J'écoute, regarde, lis tout ce que je reçois. Parfois je zappe lorsqu'il y a maldonne. C'est un travail de veille incessant pour dégotter des œuvres importantes passées à l'as ou pour essayer de comprendre le sens des choses, une raison de vivre. J'évoque aussi mon propre travail. La première personne du singulier est capitale. Glisser du personnel dans l'universel et réciproquement est la règle que je me suis fixée. Ne rien écrire sans un point de vue qui me soit propre. Changer d'angle.
Incapable de me fondre dans un moule, je pratique par contre facilement l'autodiscipline. Cela commence très tôt le matin en fouillant les nouvelles sur la Toile. Mes idées les plus personnelles peuvent ensuite surgir pendant le passage au sauna où je suis seul, coupé du monde extérieur. C'est encore plus facile si je sors de ma caverne et arpente le monde. J'en prends alors plein la figure. C'est le retour du social. J'ai également la chance d'avoir des rabatteurs, ami/e/s fidèles qui m'indiquent des chemins de traverse. Le plus important est la première ligne, le fil se déroule ensuite tout seul. Si je me relis, c'est à haute voix que c'est le plus efficace. Question de rythme. Il faut que ça swingue. Je suis toujours surpris que les billets les plus intimes, si impudiques que j'hésite à les publier, sont ceux qui rencontrent le plus de sympathie. Mes limites sont fixées par le regard de ma fille que je ne souhaite pas bouleverser. Peut-être qu'avec le temps, si je continue encore longtemps, je pourrais m'en affranchir. Il y a certains tabous que je n'aborde qu'oralement, mais je me pose mille questions. Penser par soi-même interroge systématiquement ce qui est couramment admis. Nous sommes fragiles. J'ai parfois le vertige. Avoir produit plus de 5000 articles risque la répétition, le rabâchage (sic). Je me dis qu'il y a des choses qu'il est important de ressasser, que mes lecteurs et lectrices ne sont pas si assidus, qu'il faut enfoncer le clou. Dans cet esprit, depuis peu je publie de très anciens articles que je mets à jour, en particulier les liens. Et puis, c'est comme une chanson, ici il y a des couplets, mais aussi des refrains.

Illustration : l'encyclopédiste par Louis-Michel van Loo (détail)

mardi 23 août 2022

Les chansons engagées de Madeleine & Salomon


En découvrant Eastern Spring, le second album de Madeleine & Salomon, j'ai eu envie de réécouter le précédent, A Woman's Journey, que j'avais glissé dans ma discothèque. De plus en plus souvent, j'avoue ne conserver que les disques qui m'ont véritablement marqué et je ne sais pas quoi faire des autres que je me refuse de vendre et qui encombrent d'autres rayonnages, certes perchés loin des yeux. Ce faisant, je me souviens tout à coup que ma grand-mère maternelle s'appelait Madeleine Salomon. Il suffit parfois d'un signe pour que l'oreille s'affûte et que des évidences germent. Pourtant aucun des protagonistes de ce duo ne se nomme ni Madeleine, ni Salomon. Alexandre Saada accompagne au piano la chanteuse Clotilde Rulland. Il fait de temps en temps la seconde voix, elle joue de la flûte, leur ingénieur du son, Jean-Paul Gonnod ajoute ça et là quelques discrets effets. Comme sur le premier disque paru il y a six ans, Clotilde et Alexandre assument conjointement les arrangements.


Si ce nouvel album rend hommage à la pop orientale et militante des années 1960-1970, pépites pour la plupart inconnues en Occident, on y reconnaît certaines intonations du précédent consacré aux grandes figures féminines engagées de la chanson américaine. Leur enthousiasme révolutionnaire y est pour quelque chose. Il leur donne une fougue qui vient des profondeurs de l'âme, une soif de justice qui donne de la voix. Les fantômes de Nina Simone, Billie Holiday, Elaine Brown, Janis Joplin, Josephine Baker, Joan Baez hantent ce nouvel opus qui pourtant convoque un classique contestataire libanais (Matar Naem sur un texte du Palestinien Mahmoud Darwich associé à la Bendaly Family), un hymne de la pop iranienne (Komakam Kon combiné avec Howl d'Allen Ginsberg), une mélodie égyptienne (Ma Fatsh Leah), d'autres de Tunisie (De l'Orient à l'Orion), Turquie (le rock anatolien Ince Ince Bir Kar Yağar), Maroc (Lili Twil), Israel (Layil)... J'entends d'ailleurs aussi des inflexions me rappelant mes chansons préférées de Yael Naïm, ou celles de Julie Driscoll-Tippett. Tout cela est traduit en anglais, sauf de rares classiques en français. Alors je remets sur la platine A Woman's Journey que je redécouvre et comprends pourquoi je l'avais gardé. La même ferveur, encore une fois, dans la voix, mais aussi au piano qui soutient le texte avec autant d'entrain que de délicatesse.

→ Madeleine & Salomon, Eastern Spring, CD Tzig'Art, dist./ Socadisc, sortie le 30 septembre 2022

lundi 22 août 2022

Sympathie pour le diable


Marie-Anne a pensé à moi en regardant Sympathie pour le diable, le film de Guillaume de Fontenay. Bien qu'il soit sorti en 2019 et que je sois particulièrement sensible au siège de Sarajevo, je n'en avais jamais entendu parler. Il retrace l'histoire du journaliste Paul Marchand dans la ville martyre fin 1992, un an avant que j'y sois à mon tour envoyé comme réalisateur par l'agence de presse Point du Jour. J'ai donc regardé et écrit sur de nombreux films de fiction et documentaires traitant de ce sujet, peut-être comme un exutoire à l'expérience qui m'avait transformé. J'y avais réglé ma peur de la mort, mais il paraît que j'en étais resté un peu fou pendant toute une année. Suite à ma ma participation à la série Sarajevo: a street under siege initiée par Patrice Barrat et qui nous valut un British Academy of Film and Television Arts Award (BAFTA) et le Prix du Jury au Festival de Locarno à titre collectif, j'avais enchaîné avec le court métrage Le sniper projeté dans 1000 salles en France et sur presque toutes les chaînes de télé, puis le CD Sarajevo Suite et enfin le spectacle éponyme. L'année suivante, le réalisateur Ademir Kenović avait commandé à Bernard et moi la musique, pour orchestre symphonique et deux chœurs, de son long métrage Le Cercle Parfait ; nous y avions consacré trois mois pleins avant que le coproducteur allemand impose un autre compositeur. Sans nouvelle et aucun dédommagement, cette malheureuse aventure eut le mérite de m'aider à rompre le lien pathologique qui m'obsédait. J'ai raconté ici et là mon aventure sarajévienne qui n'avait duré que trois semaines alors que ses habitants avaient vécu un cauchemar de quatre années...


Marie-Anne Bernard-Roudeix a pensé à moi en voyant le film, parce qu'elle trouve que je ressemblais un peu à Paul Marchand, enfin pas vraiment et peut-être même pas du tout, puisque j'avais été choisi justement parce que je n'étais pas journaliste. J'étais censé prendre du recul par rapport à l'information. Les journalistes de guerre sont souvent des "soldats" de presse, fortes têtes quasi suicidaires sur qui l'horreur glisse comme sur une toile cirée. Les plus téméraires font même courir des risques mortels à leurs équipes ou aux autochtones en allant au devant des ennuis. J'ai évidemment rencontré des connards finis et des humanistes exemplaires. Si Paul Marchand était un provocateur, il était aussi un écorché vif qui ne supportait pas la passivité de la communauté internationale et de la Force de Protection des Nations Unies (FORPRONU). Il s'est suicidé par pendaison en 2009. J'ignore si c'est lié à son engagement, mais je ne peux m'empêcher de penser à Patrice Barrat qui s'est infligé le même sort en 2018.
Marie-Anne, qui était à l'origine du disque Sarajevo Suite que j'ai réalisé avec Corinne Léonet, est restée attachée à ce tournant de l'Histoire qui rompt avec l'après-seconde-guerre-mondiale en permettant à l'horreur de revenir sans complexe sur la scène internationale, cynique comme jamais. Le film de Guillaume de Fontenay est passionnant parce qu'il est d'une véracité troublante. J'en ressors bouleversé. Il n'y a pas que les personnes croisées là-bas, il y a les lieux. Je reconnais l'Holiday Inn où je me lavais en crachant dans mes mains, l'hôpital où j'assistai à une opération d'une jeune femme ventre ouvert sans eau ni électricité, l'immeuble de la télévision où notre voiture nous conduisait chaque soir dans le noir pied au plancher en empruntant Sniper Allée parce que nous devenions la cible des Tchetniks, les rues de notre quartier, etc. Je reconnais aussi ma colère contre le patron des documentaires à la BBC qui m'avait censuré en m'accusant d'être devenu sarajévien. Le titre se réfère évidemment à la chanson des Rolling Stones que Marchand adorait, comme il avait peint à l'arrière de sa voiture : "Ne gaspillez pas vos balles, je suis immortel." Il fut grièvement blessé à Sarajevo et évacué de justesse.
J'ai regardé tout le film atterré, ne pouvant retenir mes larmes à la mort d'un enfant, visé pour installer sadiquement la peur parmi la population. Comme le dit Marie-Anne que j'ai appelée à la fin du film, nous ne sommes d'accord politiquement sur rien, mais nous partageons les mêmes vues sur l'essentiel. La guerre est vraiment une chose horrible, inadmissible, car les victimes sont toujours les populations civiles alors que les motifs sont le plus souvent économiques. Partout sur la planète, les médias, sorte de quatrième corps d'armée de chaque pays, montent les uns contre les autres, exacerbant le nationalisme à la manière des grandes compétitions sportives, et fabriquant la haine de ses voisins en justifiant chaque fois la vengeance. Les ressources naturelles, le commerce des armes, le marché de la reconstruction entretiennent l'économie des puissants au détriment des plus pauvres qui s'entretuent sur l'autel de l'absurde.

jeudi 18 août 2022

Les perdus de Massiac


Par quel bout le prendre ? Dénoncer l'incompétence catastrophique et l'inconséquence honteuse de la SNCF ou saluer les cheminots qui font tout leur possible pour contrebalancer l'absurdité du système dont ils sont aussi victimes ? Si la chose était rare, on n'en ferait pas tout un fromage (j'ai rapporté un délicieux Saint Nectaire dans mes bagages), mais je pense aux retards récurrents que subissent les usagers sur certaines lignes, aux contrebassistes régulièrement verbalisés, etc. Apprenant nos mésaventures et se repassant le message, ce sont les contrôleurs zélés qui nous appelèrent, non sans humour, "les perdus de Massiac" !
Nous étions donc une douzaine de voyageurs à penser naïvement rejoindre Paris via Clermont-Ferrand. Du moins nous l'espérions. Nos billets délivrés par la SNCF indiquaient que nous devions prendre l'autocar à Massiac à 15h06, attraper le TER à Arvan pour arriver à Clermont à 16h10 et filer à 16h27. Rien d'extraordinaire. L'application SNCF Connect indiquera seulement que le car aurait 30 minutes de retard, de quoi rater notre train certes, mais il y en avait un autre une heure plus tard. La gare de Massiac était fermée. Évidemment ! Les fusibles qui répondent au téléphone étaient idiots donc désagréables, ou simplement compatissants sans pouvoir nous donner aucune information. L'autocar 62704 (société privée, semble-t-il) arriva une heure en retard sous un prétexte fallacieux. Et il était complet ! Pourtant nous avions nos billets, mais le chauffeur laisse monter tout le monde, comme dans un bus. Et puis plus rien. Personne pour nous informer de ce que nous devons faire. Quand nous ne tombons pas sur des répondeurs qui nous raccrochent au nez, nos coups de téléphone atteignent des anonymes probablement débordés et fatigués par les réclamations. La société d'autocars se dit incapable de joindre ses chauffeurs. La SNCF n'y peut rien. Nous patientons dans un café près de la gare. Trois heures plus tard, coup de chance, un car déboule avec des places réservés au personnel de la SNCF. Nous les squattons fissa.
Les choses s'arrangeront lorsque nous aurons affaire avec de vraies personnes, en chair et en os. Ils sont outrés que la SNCF nous ait laissés sans information. Ils se passent le mot. Nous attrapons le dernier train en partance pour Paris-Bercy. Heureusement je partage ces mésaventures avec une danseuse-metteuse en scène qui voyage avec son fils, et plus tard nous rencontrerons un jeune styliste chaussures chez Dior. Les conversations nous font oublier les manquements de la SNCF. L'État dézingue d'abord chaque secteur qu'elle veut vendre au privé de manière à ce que la population ne râle pas ensuite...


Nous aurons mis huit heures au lieu de cinq, pas de quoi en faire tout un plat. Sauf que la SNCF, qui rembourse les billets lorsque le retard dépasse 30 minutes (voir G30 sur leur site) se défausse en prétendant qu'elle n'est pas responsable des retards des cars. C'est pourtant elle qui propose les trajets et vend les billets sous son enseigne. Voilà une bien mauvaise publicité pour les voyages en train, pour la Région Auvergne et le village-étape de Massiac. Ce n'est pas le retard qui est en cause, il arrive qu'un animal soit sur la voie, que la météo soit mauvaise, etc. C'est l'absence d'information, sur place, sur Internet, au téléphone, qui est honteuse. Dans certains pays lointains, en voie de développement, ce genre de choses est courant. On prend son mal en patience. C'est le protocole que nous avons suivi, mais sept des usagers qui avaient leurs billets ont fini par rentrer chez eux en espérant voyager le lendemain. Je le leur souhaite.

mercredi 17 août 2022

Images d'Auvergne


Wagon de queue. Je n’imaginais pas l’Intercités rouler si vite. La campagne française défile vitesse V. Cela me rappelle la plate-forme arrière des autobus parisiens de mon enfance ou encore les westerns de la même époque. Il y a quelque chose de merveilleusement régressif dans les voyages ferroviaires. Je lis Au commencement était de David Graeber et David Wengrow sur les conseils de JR...


La voûte étoilée s'efface devant la lune. Dessous, les champs brûlés par le soleil. Chaque matin, une dizaine de coqs s'époumonent. Les anglais entendent cock-a-doodle-do, les Allemands Kikeriki. Je m'entraîne.


C'était avant la tempête.


Et puis
Le soleil est revenu
Sur la chaîne des puys
Il a plu

mardi 9 août 2022

Les gardiens du temple


Lorsqu'on vit avec des chats on se demande toujours qui sont les maîtres. Dans la plupart des cas les félins ont domestiqué les humains qui leur prodiguent caresses, massages, plus le gîte et le couvert, sans aucune contrepartie. Comme je descends dans le Massif Central, en mon absence mes amis s'occupent donc des bestioles et de la maison.


Django est souvent en vadrouille, de jour comme de nuit. Mais si je ne suis pas là il ne rapporte aucun trophée, cadeau qu'il dépose bien en évidence sur la moquette blanche. Je préfère cela à sa lubie de venir jongler avec une souris sur le lit vers trois heures du matin. Il est parfaitement sociable. Ni l'un ni l'autre ne mordent, ne griffent ni ne volent.


Oulala est plus timide, mais tout de même moins craintive que lorsqu'elle était plus jeune. Ils ont environ six ans. Ces derniers temps c'est la plus câline, mais je ne comprends rien à ce qu'elle me raconte alors que Django est très clair. Les chatières étant équipées de systèmes à puce pour éviter les déconvenues du passé, ils vont et viennent comme ça leur chante, mais Oulala ne quitte jamais le territoire. Un de ses fils, Milkidou, qui habite en face, vient squatter régulièrement le jardin...
À peine ai-je terminé mon petit article que je m'aperçois qu'hier 8 août était marqué par la Journée Internationale du Chat. Qu'est-ce qu'on invente pas comme trucs idiots ! Comme dans De l'autre côté du miroir je préfère fêter les non-anniversaires aux anniversaires, 364 contre un, y a pas photo ! Enfin, tout de même un peu, puisque je n'ai pas résisté, au risque d'une surchauffe des serveurs...

lundi 8 août 2022

Neptune Frost, film afro-futuriste de Saul Williams et Anisia Uzeyman


J'ai vu un drôle de film, ce qu'on a l'habitude d'appeler un ovni (audiovisuel non identifié). C'est bancal, ça met du temps à démarrer, mais ça fait tâche dans le paysage audiovisuel de plus en plus consensuel. La critique s'emballe, évoque le futur du cinéma noir, mais ça ne vient pas de nulle part. J'ai immédiatement pensé au film underground Space is The Place de John Coney avec Sun Ra ou au blockbuster Black Panther de Ryan Coogler. L'esthétique afro-futuriste fait partie de la mythologie afro-américaine, l'idée d'un grand empire, comme ceux du Mali, du Songhaï et du Monomotapa, et de son empêchement par l'esclavage. La résistance a beau s'organiser, le fantasme n'en est pas moins typiquement américain. Le film Neptune Frost jouit d'une esthétique à la fois roots et hi-tech. Certains évoquent une comédie musicale de science-fiction, d'autres une histoire d'amour entre une fugueuse intersexuée et un mineur de coltan. Dans tous les cas, les ingrédients sont suffisamment sexy pour faire le buzz.


Citer plus haut le musicien interstellaire Sun Ra n'est pas innocent. Neptune Frost est coréalisé par le poète-rappeur américain Saul Williams et la metteuse-en-scène française d'origine rwandaise Anisia Uzeyman. Saul Williams en a composé la musique, mêlant tambours et électronique. Il tenait aussi le rôle principal du film Slam de Mark Levin en 1998. Comme lui avec qui elle est mariée, Anisia Uzeyman est écrivaine et comédienne. Les rôles principaux sont tenus par Cheryl Isheja, Bertrand Ninteretse, Eliane Umuhire, Elvis Ngabo. La magie des nouvelles technologies de la communication est contrebalancée par une dénonciation de l'exploitation des Africains dans la course au progrès aux mains des multinationales et une critique du patriarcat. Portées par une poésie ésotérique exprimée en plusieurs langues, les meilleures scènes sont tout de même les musicales et chorégraphiques. Neptune Frost a tout pour devenir un objet culte, esthétiquement ambitieux, malgré ses imperfections qui le rendent attachant dans un monde de contrôle, tant formellement qu'idéologiquement.

jeudi 4 août 2022

Lila Bazooka, duo imbriqué ou solo enveloppé ?


J'ai d'abord entendu Lila Bazooka en concert au Comptoir de Fontenay. Je connaissais Sophie Bernado, entre autres pour avoir enregistré l'album Arlequin et le concert Défis de prononciation en trio avec elle et la vibraphoniste Linda Edsjö. Auparavant je l'avais découverte au sein de l'ensemble Art Sonic et entendu plus tard avec L'arbre rouge ou le White Desert Orchestra. J'ai toujours aimé les bois et particulièrement le basson, instrument hélas peu courant dans l'histoire de la musique improvisée. Je ne suis capable de citer que Lindsay Cooper et Youenn Le Berre dont ce n'était pas l'instrument principal, mais avec qui j'ai eu la chance de travailler. Sophie Bernado est avant tout bassoniste, même si elle chante comme ici, ou fait du Beat Box ailleurs. J'avais également repéré l'ingénieure du son Céline Grangey dans de multiples disques où le son magnifiait la musique. Or les voilà réunies au sein du duo Lila Bazooka, sorte de solo enveloppé.


Tandis que Sophie Bernado souffle et appuie sur ses pédales d'effets Céline Grangey triture le son sur son ordinateur, diffuse des field recordings ou des séquences électroniques. La musique est à la fois grave et aérienne. Le drone plane au dessus de la mêlée. Les boucles d'anche double tournent en derviche, s'accumulant les unes sur les autres. Les paysages japonais qui donnent son titre à l'album, Arashiyama, défilent comme à la fenêtre du Shinkansen, même si ce train ne passe pas devant ce lieu-dit proche de Kyoto et si la vitesse du son est ici celle de la méditation. Ni 300 mètres par seconde, ni 300 km à l'heure. Juste le temps qu'il faut pour se laisser porter par le rêve. Elles y ont tout de même séjourné. Sur deux pièces, Ko Ishikawa les rejoint au sho, l'orgue à bouche japonais. Voilà près d'un demi-siècle que je passe mes instruments acoustiques à la moulinette des effets électroniques et ce en direct, mais je n'ai que deux mains, deux pieds et une bouche. Je reconnais forcément certaines de mes tourneries, mais c'est un véritable plaisir d'apprécier le jeu à quatre mains des deux musiciennes. Céline travaille le bas-son de Sophie avec une grande finesse, privilégiant les passages lents et progressifs. Leur complicité est essentielle. Sophie peut se concentrer sur son anche. Solo ou duo, je ne sais pas, mais Lila Bazooka fonctionne à merveille.

→ Lila Bazooka, Arashiyama, CD Ayler Records, dist. Orkhêstra (12€ sur Bandcamp, 9€ en numérique)

lundi 1 août 2022

Ornette Under The Repetitive Skies III


Le violoniste Clément Janinet et son projet O.U.R.S. (Ornette Under The Repetitive Skies) tient ses promesses, entre musique répétitive reichienne et free jazz colemanien. Quatre ans après le premier album, avec les mêmes comparses, soit le saxophoniste Hugues Mayot, le contrebassiste Joachim Florent et le batteur Emmanuel Scarpa, il joue les derviches du swing. Le ténor fait irrésistiblement penser à Gato Barbieri quand il n'est pas au piano. Le violoniste se fait discret, mandolinant parfois et préférant surtout miser sur le timbre du groupe. Tous participent à la percussion, le batteur devenant un temps vibraphoniste, Arnaud Laprêt leur prêtant patte forte sur Purple Blues. On se croyait perché en haut de montagnes reposantes, on se retrouve danser dans des plaines vallonnées. Les crins croisent l'anche pour un jazz très seventies, revival digéré, entraînant, euphorique, revendicatif. Le Liberation Music Orchestra a fait des petits. Ils ont grandi. Sur le sixième et dernier morceau de l'album, ils sont rejoints par le chanteur camerounais Ze Jam Afane qui a composé cet Odibi, histoire de reprendre calmement son souffle, le temps de laisser revenir les fantômes.

→ Clément Janinet, Ornette Under The Repetitive Skies III, CD BMC, dist. L'autre distribution, sortie le 8 septembre 2022