On remarquera d’abord la lumière. Parce qu’elle sort du noir. Deux éclairs. La réalisatrice est aussi peintre. Deux dinosaures. 99 et 91 ans. L’un marche avec une canne. La voix de l’autre chevrote. Plus pour longtemps. On le sait depuis mardi dernier. Dès le début Jean-Luc Godard évoque sa mort volontaire. Je ne connais pas le cinéma de Ebrahim Golestan, seulement qu’il a produit La maison est noire de la poétesse Forough Farrokhzad en 1962, un des films les plus éprouvants qu’il m’ait été donné de voir (avec Salò), sur les conseils de Jonathan Rosenbaum. Le style du film de Mitra Farahani me semble assez godardien, mais je ne connais pas encore la Nouvelle Vague iranienne, en particulier La brique et le miroir de Golestan qui date de 1964. Je vais prendre une datte fraîche Mazafati de Bam dans le fond du réfrigérateur, importée d’Iran. Le montage de À vendredi, Robinson est cosigné par Yannick Kergoat, Mitra Farahani et Fabrice Aragno, la conseillère musicale est Tata Kamangar. Comme j’avance dans la narration, est évoqué Sadegh Hedayat, l’auteur de La chouette aveugle qui s’est suicidé à Paris en 1951 et repose dans l’enclos musulman du Père Lachaise. J’y vais de temps en temps. Godard ferme les volets, il éteint la lumière. À quoi aspire-t-il encore ? Des chaussettes bleu blanc rouge. Le noir. Ils portent tous deux le deuil de leur jeunesse. Ils ont commencé il y a sept ans. L'âge de raison. Ils s'écrivent. Chaque vendredi. Au commencement il y avait une douleur invisible. Godard joue avec le chat, à chat, au chat et à la souris, Godard joue. Aux citations répondent les litotes. Le langage courant, courant à sa perte, il envoie des images. Elias Canetti : "On n'est jamais suffisamment triste pour que le monde soit meilleur." Pour Golestan, c'est La Bohème : "Comment je vis ? Je vis." L'état du monde le préoccupe tant qu'il a eu envie d'échanger ses réflexions avec Godard. Se comprennent-ils ? Celui-ci semble vivre seul, chiche, spartiate, tandis que l'Iranien est très entouré, dans une demeure somptueuse. Golestan écrit des longues pages. Godard met de l'eau dans son vin. Correspondront-ils jamais ? Johnny Guitare fait-il vraiment mentir Joan Crawford ? Chacun sur son lit d'hôpital. Comment se trompent-ils ? Des chemins qui ne mènent nulle part ? Deux parallèles se croisent à l'infini. "Mais tout cela est assez insatisfaisant." À son enterrement Beethoven fit jouer le requiem de Cherubini.



À vendredi, Robinson de Mitra Farahani, qui a reçu le Prix Spécial du Jury à la Berlinale, section Encounters, est projeté au MK2 Beaubourg et au Reflet Médicis à Paris