Nous prenons le bac à vélo, en auto ou à pied. Il fait le va-et-vient toute la journée entre les deux rives. C'est gratuit. Il s'appelle Lola. Nantes oblige. J'y suis en perme. De l'autre côté de la Loire l'herbe est plus verte. C'est de là que je filme. Pas facile de manœuvrer quand le fleuve coule à contre sens de la marée. Avec la sécheresse l'eau là est plus salée qu'auparavant. La salinité et la boue posent des problèmes inquiétants pour la rendre potable. Cet été la limite avait été atteinte. On continue à faire comme si de rien. Au bord, les maisons sont en zone inondable. En période de crue les prés que nous traversons sur des pontons deviennent des marais. Je me demande si des sous-marins nucléaires sortent de l'usine Naval qui est en face de Basse-Indre. On se pense au vert, mais les maisons sont construites sur le granit, comme une grande partie du pays. Pour compenser la radioactivité il est nécessaire d'aérer dix minutes par jour minimum, hiver comme été. Sans compter les gigantesques poteaux haute tension qui enjambent la Loire à Haute-Indre. Et partout s'implante la 5G dont les ondes s'ajoutent au rayonnement de nos smartphones. Je n'y connais rien, si ce n'est au rayon culinaire, mais je sens bien que la donne n'est plus du tout la même depuis que Demy a filmé Lola en 1960...


Nous marchons vers La Roche Ballue ou La Montagne. De temps en temps j'imagine déménager par ici, histoire de me rapprocher de ma fille, de mon petit-fils, et respirer plus profondément que dans la torpeur du Bassin parisien. Mais il faudrait que la maison soit au moins aussi accueillante que l'actuelle, avec en plus un studio-théâtre. Je souhaiterais enregistrer les séances d'improvisation en public. J'aime jouer en concert, mais ranger, déplacer, monter, démonter, remporter, replacer et recâbler mon imposant matériel a toujours été pénible. Le rêve est de laisser tout branché et qu'il n'y ait plus qu'à allumer. L'actuel studio GRRR permet de recevoir une demi-douzaine de joyeux drilles, mais il n'y a pas de place pour des spectateurs. Les invitations courraient sur plusieurs jours au lieu d'une journée, histoire de prendre l'air, l'air et les paroles, parce que ce sont avant tout des rencontres d'amitié, une manière d'apprendre à se connaître, sans contraintes sociales ou économiques, pour retrouver les sensations de notre jeunesse quand il n'y avait d'autre enjeu que la passion. C'est le propos de tous nos Pique-nique au labo qui se poursuivent sur la Toile, et plus tard, au gré des affinités découvertes. L'idée est aussi de créer localement du lien social. Je ne me plains pas. Mes pieds nus sont vernis. S'il est déjà formidable de partager ce qui est, on ne peut se contenter des acquis. Il est indispensable de voir toujours plus loin. Remettre son titre en jeu, jouer comme les enfants que nous n'avons jamais cessé d'être, être au futur, cet état vectoriel qui m'anime depuis toujours.