Ma tante Catherine Bloch est décédée il y a quelques jours. Jeune sœur de ma maman, de dix ans de moins qu'elle, elle était la dernière représentante de la génération précédente. En général lorsqu'on parle d'une délivrance nous faisons référence à une maladie extrêmement douloureuse ou à un état végétatif qui ne rime plus à rien. En ce qui la concerne elle passa toute sa vie à côté de la plaque et depuis de nombreuses années elle était devenue épouvantablement seule et malheureuse. Parfaitement égoïste, la seule des trois sœurs à se savoir folle, elle inspirait à sa famille et ses voisins plus de pitié qu'autre chose, aussi loin que je m'en souvienne. Avec ma sœur Agnès nous avons tenté de l'extirper des griffes de brigands qui la déplumaient régulièrement, au point qu'elle vendit il y a deux ans son appartement en viager pour céder à la pire des piranhas qui ne manquait pas de la battre lorsqu'elle résistait. Elle nous implora de ne pas la mettre sous tutelle, ni porter plainte, ce qui l'angoissait plus que les malversations et sévices qu'elle acceptait d'endurer. Après tout, c'était son choix, nous l'avons respecté. Le plus pénible était ses coups de téléphone, répétés en pleine nuit à une heure d'intervalle, lorsqu'elle craignait que nous risquions d'intervenir pour la protéger. Notre dernière conversation remonte à seulement quelques jours. Elle ressassait toujours la même chose, ses insomnies avec inversion du rythme nycthéméral (elle réveillait ma mère à des heures impossibles), ses problèmes de boyaux qui la faisait s'appuyer sur le ventre en se couchant par terre si elle avait avalé un petit pois (Françoise avait tourné un court métrage autour de ses problèmes de caca. Une vie de merde, vous dis-je, même si cela faisait rire, jaune, ses sœurs lorsqu'elle se mettait debout pour péter sans bouger de sa place au restaurant !), ses médicaments (hypocondriaque, plus aucun médecin ne voulait la voir ou lui répondre, même les pompiers, en désespoir de cause elle était allée jusqu'à appeler la protection civile !), sa solitude extrême qui explique qu'elle avait cédé à des escrocs qui lui signifiaient évidemment quelque intérêt de présence. Les vieilles personnes seules sont des proies faciles. C'est terrible, nous ne pouvions pas faire plus que ce qu'elle nous autorisait et se permettait à elle-même. Elle avait pourtant été une jeune femme brillante, ingénieure de haut niveau chez IBM, et même une très jolie femme, mais elle avait pété les plombs très tôt, vivant avec mon grand-père jusqu'à sa mort pour partir ensuite avec la mère de sa meilleure amie qui s'est aussitôt brouillée. N'y voyez aucune assumation quelconque, la semaine dernière elle se posait encore des questions sur sa sexualité jamais libérée. Ma sœur partageait ma tristesse à ne pas savoir comment l'aider et mes deux cousins avaient fini par ne plus répondre à ses coups de fil intempestifs et déplacés. Les voisins se sont inquiétés de ne pas la voir, l'épicier idem, les pompiers l'ont découverte. Pour l'instant je n'en sais pas plus. J'ai choisi une photo sympa où elle est entourée par ses deux grandes sœurs. Maman (à droite) est partie le première en 2019 à 90 ans (Catherine n'est pas allée la voir les dernières années alors qu'elle habitait à cinq cents mètres, car elle angoissait de marcher jusque là), Arlette (à gauche) a suivi en 2020 à 95 ans, Catherine allait en avoir 83. Nous avions convenu de nous rappeler en novembre pour nos anniversaires.