Depuis Le trésor de la langue les disques de René Lussier sont toujours attendus. Si le guitariste utilise énormément le doublage instrumental suivant la prosodie des voix parlées, ce qui fit sa renommée, ce nouveau Au diable vert est particulièrement zappien avec ses changements de rythmes brusques et ses orchestrations inventives. Les deux batteries jouées par Robbie Kuster et Marton Maderspach, les deux basses, soit celle de René Lussier et le tuba de Julie Houle, l'accordéon ou le marimba de Luzio Altobelli composent des couleurs inattendues. S'ajoutent ici ou là les clarinettes de Guillaume Bourque, le trombone d'Alain Trudel, les ondes Martenot de Takashi Harada. Les voix sont prépondérantes, que ce soit celles de Chris Cutler ou Koichi Makigami, des musiciens du quintette ou du psy de Lussier, d'un chat errant ou des grenouilles printanières, toujours utilisées avec humour et virtuosité ; fictionnalisées, documentées, elles soulignent le style inimitable du Québécois, même si d'autres s'y sont essayés. On retrouve aussi ce mélange d'entrain communicatif, d'insouciance revendicatrice et de swing raide, typique des musiciens libres du Québec. Il faut probablement en chercher les sources dans l'usage du français dans un pays majoritairement anglophone pour ne pas dire colonisé par les États Unis, patrie de l'entertainment, dans son climat bipolaire et dans le déni de l'histoire de sa fondation. René Lussier le sait bien, il l'a souvent mis en musique et en spectacle. Chaque fois il nous rend plus proche ce bout du monde où il vit, ce Diable (vau)vert qui existe au delà des limites, de l'entendement.

→ René Lussier, Au diable vert, CD Circum-Disc/ReR Megacorp, sortie le 30 septembre 2022