Je ne me souviens pas avoir jamais vu La Comtesse aux pieds nus. Il aura donc fallu que Carlotta publie un de ses superbes coffrets Ultra Collector pour réparer cette lacune. Le film de Joseph L. Mankiewicz est une sorte de jeu de miroirs morbide où Humphrey Bogart tient le rôle du réalisateur-scénariste et Ava Gardner celui de la star glamour, Cendrillon perdue dans un monde qui n'est pas le sien. Le film commence sous une pluie battante, par l'enterrement de la diva, dans un petit cimetière italien où l'on reviendra après que chacun des principaux protagonistes ait tour à tour évoqué sa rencontre avec l'Espagnole Maria Vargas devenue l'égérie hollywoodienne Maria d'Amata, et plus tard la comtesse Torlato-Favrini, mais toujours sans chaussures comme elle vivait déjà dans le petit faubourg madrilène où elle a grandi. On ne peut s'empêcher de penser à Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule) de Billy Wilder sorti quatre ans plus tôt, en 1950. La machine broyeuse du star system convient au mélodrame où l'intimité des personnages n'est que faussement dévoilée. Le cynisme rivalise avec l'inéluctabilité, la fragilité avec l'acuité analytique. Les nouveaux riches à l'inculture crasse et l'aristocratie fin de race en prennent pour leur grade. Mankiewicz réussit un film à l'os, sans fioritures, cruel.


Un demi-siècle de cinématographie plus tard, le réalisateur de Snow Therapy et The Square ne fait pas dans la dentelle. La veille j'avais donc regardé Sans filtre (Triangle of Sadness) de Ruben Östlund, dernière palme d'or cannoise sujette à polémiques. J'ai adoré sa morgue buñuélienne, avec, comme dans tous ses films, la lâcheté comme moteur de l'inaction. S'il taille un costard piteux aux riches, c'est aux rapports de pouvoir qu'il s'attaque. Les sachant contagieux, il guette le moment révolutionnaire qui fera basculer les certitudes. J'ai beaucoup ri à cette farce macabre.


Pendant que j'y suis et pensant aux cadeaux de Noël qui ne sont heureusement plus d'actualité dans ma famille, sauf pour les petits, je tiens à signaler la sortie du gros coffret Pasolini a 100 ans, toujours chez Carlotta. Parmi les 9 films il y a mes préférés, La Ricotta, Uccellacci e uccellini (Des oiseaux petits et gros) et, parmi les suppléments, Cinéastes de notre temps : Pasolini l'enragé, dans sa version complète de 98 minutes, réalisé par Jean-André Fieschi. Mais les autres films, restaurés en 4K, 2K ou HD, sont tout autant indispensables. Je regrette seulement que ne figurent pas La sequenza del fiore di carta (La séquence de la fleur en papier) extrait de Amore e rabbia et surtout Que cosa sono le nuvole ? (Qu'est-ce que les nuages ?) extrait de Caprice à l'talienne, ce qui m'aurait permis de me débarrasser de mon vieux coffret DVD. La prochaine fois, ajoutez aussi un troisième fabuleux court métrage, La Terre vue de la lune ! J'avoue que le tandem Toto/Ninetto me fait fondre.

→ Joseph L. Mankiewicz, La Comtesse aux pieds nus, coffret Ultra Collector Blu-ray + DVD + Livre, Carlotta, ed. limitée et numérotée à 2000 ex., 53€ (sans le livre, DVD ou Blu-Ray 20€). Le livre, fortement illustré et commenté par de nombreux contributeurs, est passionnant !
→ Pier Paolo Pasolini, en 9 films : Accatone, Mamma Roma, La Ricotta, L'Évangile selon Saint Matthieu, Enquête sur la sexualité, Des oiseaux petits et gros, Œdipe Roi, Médée, Carnet pour une Orestie africaine, 6 Blu-Ray Carlotta, 75€
→ Ruben Östlund, Sans filtre, DVD M6/Warner, à paraître le 26 janvier 2023