Je me suis réveillé en 2024. Comme une fleur. Aurais-je sauté une étape ? Lire les vœux et commentaires m'a mis la puce à l'oreille. Si je ne peux pas parler, j'entends bien et je sais encore lire. Mais l'aphonie sème plus de trouble qu'on pourrait s'y attendre. Depuis trois semaines je vis en dehors du monde. La grippe et la fièvre m'avaient fragilisé. L'extinction de voix me cantonne à une prison dorée, cette maison d'où je sors peu, d'abord parce que je suis fatigué, ensuite parce que mes échanges sociaux sont limités à quelques murmures forcés et des grimaces. Ces lignes sont salvatrices. Pour quelqu'un qui a toujours privilégié le partage à la solitude, ce pourrait être un calvaire. Sachant m'habituer à toutes les situations, j'ai accepté mon sort et pris mon mal en patience. Or ce n'est pas sans conséquences. Mes repères sont faussés. Neurones attaqués au sécateur. Comme l'impression de devenir idiot, une sorte de lobotomie où le silence montre son inexistence. De même que j'ai réduit considérablement mon alimentation, le volume sonore courant est devenu vacarme. Less is more revendiquait l'architecte et designer Mies van der Rohe. Pour un maximaliste, c'est un comble ! Peut-être ai-je la tête comme une cougourde ? S'il m'a fallu plusieurs vérifications pour être certain que nous étions bien le 1er janvier 2023, j'ai la désagréable impression de revenir à la case départ.
Pas besoin d'aller très loin en explications psychanalytiques pour comprendre mon trouble. Ma voix, encore plus parlée qu'écrite, est mon fer de lance. J'ai perdu mon Eurydice, mortel silence, vaine espérance ! Quand on pense que Glück signifie chance, on peut se demander si c'est bien raisonnable. Reset. Ou bien : mon père est décédé un 2 janvier à mon âge actuel. Ça ira donc mieux mercredi. Sauter un an m'aurait épargné l'attente et les errances du no woman's land. Il y a trop de signes pour qu'aucun me convainc. Lorsque j'en manque j'en fabrique. A quoi bon ? La libido est la recherche instinctive du plaisir, pas seulement sexuel. Il me faut du désir, de grands projets, bâtir des châteaux en Espagne, soulever des montagnes, croire en mes rêves d'adolescent pour me permettre d'avancer. La maladie est un obstacle à la reprise. J'ai écouté, parfois suivi, les conseils généreusement prodigués. Aucun ne fit mouche. Dis Tonton, pourquoi tu tousses ?
Il n'y a pas de douane à certains cols. La grimpette est fastidieuse et sans aucune garantie de succès. Je m'y colle tout de même. Il y a trop de signes pour que je fasse la sourde oreille. Cela me terrifie. Ai-je jamais eu le choix ? Sauter à pieds joints des plus hautes falaises. Ces mirages se sont jadis avérés planches de salut. Je suis la voix et je fonds, littéralement. C'est l'aspect obsessionnel qui m'angoisse, cette manière de ressasser des évidences qui n'en sont pas, mais pourraient le devenir. Je n'ai vécu que grâce à cette innocence qui me fait prendre mes rêves pour la réalité, quitte à renverser la syntaxe et que l'impossible devienne le réel. En face aussi il y a des signaux de fumée. Si 2023 s'échappe déjà, j'en avais fait mon deuil, il faudra bien l'apprivoiser. Laisser les choses et les gens s'approcher. Cette fois j'éviterai de jouer les oiseaux de mauvais augure, les nouvelles sont trop sombres. En mûrissant j'apprends la patience, pas la fatalité. Si vous avez tenu jusque là, alors que j'ai l'impression de me répéter, jour après jour de mutisme, de tourner en rond tant ça ne tourne pas rond, c'est vraiment sympathique de votre part. J'y suis extrêmement sensible dans cet isolement éphémère. Je vous souhaite la meilleure année possible, de ne pas vous laisser abattre, de vous regrouper pour être plus forts face à l'adversité, je vous souhaite de l'amour, beaucoup d'amour, car cet amour aura raison des pires maladies, revers de fortune, et autres obstacles dont la vie est faite, pour qu'elle reste une fête, fut-ce dans la résistance, refus d'une prétendue inexorabilité !