Depuis mon article du 4 juin 2010, Philippe Falardeau a réalisé d'autres films : Monsieur Lazhar, The Good Lie, Guibord s'en va-t-en guerre (voir plus bas mon article du 26 février 2016), Outsider (Chuck), Mon année à New York (My Salinger Year) et récemment la série Le Temps des framboises. En s'attaquant à des sujets comme la vie des travailleurs immigrés au Québec et en glissant vers le mélodrame, Falardeau a perdu de la fantaisie de ses premiers films, mais il s'intéresse toujours autant aux histoires cachées et à leurs conséquences sur chacun/e. Sans sous-titres, l'accent québécois retient probablement une partie du public français de s'intéresser aux nombreuses merveilles méconnues venues de l'autre côté de l'Atlantique. C'est un coup à prendre, un twist de l'oreille qui vaut son pesant de sirop d'érable et nous enchante !


Découvrant par hasard La moitié gauche du frigo du Québécois Philippe Falardeau, nous eûmes l'irrésistible envie de voir ses films suivants, Congorama et C'est pas moi, je le jure ! Pendant tout la durée de son premier long-métrage à la fois politique et hilarant, nous nous sommes demandés s'il s'agissait d'un documentaire ou d'une fiction. Un jeune réalisateur y filme les déboires de son co-locataire à la recherche d'un emploi. C'est beaucoup plus fort que les démonstrations laborieuses des documentaristes tristes dont la France a le secret. Pour le second film, il n'y a plus d'ambiguïté sur sa nature, le scénario est magistral, les comédiens merveilleusement dirigés et l'humour toujours aussi décapant. Dans tous les cas, c'est filmé avec une grande intelligence et une soif du détail qui épate au détour de chaque plan en évitant les explications laborieuses et les redondances audio-visuelles. Je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi la critique privilégie toujours les mêmes réalisateurs et les mêmes films quand il en existe d'aussi inventifs.


Le troisième film valide quelques clefs de l'univers du cinéaste comme la difficulté de marcher ou la paternité, mais c'est surtout du mensonge qu'il est question, car Philippe Falardeau adore nous raconter des histoires. Il ne pouvait trouver meilleur médium que le cinéma ! La franchise du héros de La partie gauche du frigo trouve un écho avec le vol de l'ingénieur joué par Olivier Gourmet dans le sublime Congorama et la mythomanie du gamin de C'est pas moi, je le jure ! Le scénario de Congorama est à des kilomètres de la paresse de la plupart des films français. Les fils du récit se tissent en un imbroglio où tous les éléments du puzzle finissent par trouver leur place dans une folie maniaque où l'asservissement à la quadrature du cercle est tourné en dérision, comme dans le dernier plan où Gourmet bouge la tête à la manière saccadée de l'émeu. Cherchez les DVD, Congorama est distribué en France, les autres au Canada...

Guibord s'en va-t-en guerre


Si Philippe Falardeau change de style à chaque nouveau film, il suggère toujours des sujets graves sous l'angle de la comédie. Après son documenteur La moitié gauche du frigo, il avait réalisé Congorama, C'est pas moi je le jure !, Monsieur Lazhar et The Good Lie, tous ces longs métrages valorisant le mensonge comme élément dynamique de l'histoire. Guibord s'en va-t-en guerre ne déroge pas à la règle, puisqu'il met en scène un homme politique, la caricature ne pouvant jamais arriver à la cheville de la réalité, même si son analyse critique est fine et savamment inspirée. L'idéologie est, comme partout aujourd'hui, enfoncée par la stratégie, moteur d'une caste d'ambitieux avides de pouvoir. Steve Guibord, interprété par Patrick Huard, n'est pas un foudre de guerre, simplement le député indépendant de Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, circonscription du nord du Québec, du moins dans le film, car si c'est à l'image du faux site du député Guibord, on aura du mal à la situer sur la carte du Canada. Or Guibord possède l'unique voix qui pourrait faire basculer la Chambre des communes pour ou contre la guerre au Moyen Orient.


La satire québécoise peut sans hésiter s'appliquer à notre propre classe politique, plus encline à se placer sur le marché du travail qu'à défendre un programme cohérent. Les enjeux ne sont pas éloignés des nôtres, et les petits arrangements rivalisent avec les fausses promesses. Entouré d'une femme businesswoman, d'une fille rebelle et d'un stagiaire haïtien citant Jean-Jacques Rousseau à tout bout de champ, le député Guibord doit trouver un terrain d'entente entre les natifs qui montent un barrage sur la route et les bûcherons qui déciment la forêt, tout en mettant les médias dans sa poche. Ne sachant pas quoi penser, il ouvre une "fenêtre de démocratie directe" en interrogeant ses électeurs... N'allez pas croire pour autant que le cinéaste soutienne le "tous pourris", mais il me laisse penser que le tirage au sort pourrait être la meilleure alternative à la bande d'incompétents professionnels à la solde des banques qui nous gouvernent !