Parmi les nombreuses découvertes de ma cinéphilie se révèlent souvent de vieux films japonais qui n'avaient profité d'aucune diffusion en France. Le détroit de la faim de Tomu Uchida en fait partie. Ce cinéaste a pu passer au travers des mailles de la critique parce qu'il n'est pas attaché à un style particulier, mais qu'il choisit chaque fois celui qu'il estime le mieux coller à son sujet, un peu comme Michael Powell ou Jean Renoir. Classé parmi les chefs-d'œuvre du cinéma japonais, ce film policier se focalise plus sur les tourments des personnages que sur une intrigue où l'on identifie tout de suite victimes et assassins. La culpabilité, la dévotion ou l'obsession sont leurs moteurs. L'autre qualité du film tient dans la période évoquée. Tourné en 1963, il dresse le portrait de la misère de l'après-guerre, donnant un aspect documentaire à cette enquête criminelle se passant entre 1947 et 1957. Le détroit de la faim devient ainsi un grand film politique. Prisonnier en Chine alors qu'il est parti filmer en Mandchourie dans les années 40, contraint au travail forcé, Uchida découvrira la pensée de Mao et s'en inspirera dès Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (1955) pour dessiner la brutalité des rapports de classe. Parallèlement à sa charge pamphlétaire, les effets de solarisation de certaines scènes plongent le Japon dans sa réalité médiévale dont le pays aura toujours du mal à se débarrasser. La poésie de la magie croise celle des cœurs. Ce mélange de tons et cette liberté lui confèrent une modernité qui permet de l'associer à la nouvelle vague japonaise, alors qu'Uchida a commencé à réaliser des films dès 1922 ! Des 70 films qu'il a tournés, beaucoup ont été perdus. Il y a huit ans l'éditeur Carlotta avait publié ses six films (1961-71) adaptés du roman Musashi d'Eiji Yoshikawa racontant la vie du samouraï légendaire Musashi Miyamoto, d'une facture plus classique.

→ Tomu Uchida, Le détroit de la faim, Blu-Ray Carlotta, 20€, sortie le 21 février 2023