Je pense évidemment à France, le dernier film de Bruno Dumont, en relisant mon article du 28 août 2010...
Heure de la sieste. Allongé sur le dos. Testant les chaînes TV sur mon nouvel iPhone je tombe par hasard sur la prise d'otages de Manille diffusée en direct sur Euronews. Séquence pornographique. Extrême violence du voyeurisme. Suspense de l'absurde. Un ancien officier de police, viré deux ans auparavant, s'est engagé dans cette entreprise suicidaire et criminelle pour demander sa réintégration ! Ce genre de coup de folie découle directement de l'écho médiatique qu'il est susceptible de rencontrer. La presse est complice. Tout a commencé dix heures auparavant, mais je ne regarde que le dénouement. Les commentaires des deux présentatrices sont ce qu'il y a de plus déprimant, parce qu'ils démontrent l'inanité de la télévision, son absence de regard. Traduisant servilement le prompteur en bas de l'écran et tentant maladroitement de comprendre les images depuis Bruxelles, les deux prétendues journalistes ne font que répéter avec un léger délai ce que n'importe quel spectateur est capable de voir, à condition de lire l'anglais, certes. Il y a bien des psychologues pour s'occuper des rescapés, ne devrait-il pas y en avoir pour nous accompagner ? Ne sommes-nous pas aussi les otages de cette société du spectacle ? Puisque c'est ainsi on pourrait imaginer d'autres compétences pour suivre l'action. Qu'est-ce qui peut pousser un individu à un tel désespoir ? Quels processus névrotiques poussent les prisonniers, les employés de France Telecom (l'autre nom d'Orange !), les forcenés, à se suicider, voire entraîner avec eux une quinzaine de touristes hong-kongais ? Pourquoi les cameramen cadrent-ils de telle ou telle manière ? Sur place, c'est le cafouillage le plus complet. Il pleut à torrent. Les parapluies obstruent les objectifs. La foule se presse. Au cours de l'assaut du bus immobilisé on entend plusieurs fois des gens rire. Qui sont-ils ? Comment une journaliste se retrouve-t-elle avec la responsabilité de devoir tenir en haleine les téléspectateurs tandis qu'il ne se passe rien à l'image ? Quel est son parcours professionnel ? Comment le preneur d'otages a-t-il choisi ses victimes ? Il semble qu'il ait relâché les enfants et les vieux. Mais ensuite ? Quelle marche de manœuvre a celle ou celui qui est en joue devant un M16 ? Comment sont formés les policiers pour résoudre ce genre de drame ? Quel degré de sophistication possèdent leurs armes ? Passé le fait divers, de quel malaise est-ce le symptôme ? Depuis le passage à l'acte de l'assassin jusqu'à l'absence de recul criminelle de la télévision, que nous inspire la société que nous avons façonnée, que nous le voulions ou non ? Jusqu'à quelles extrémités sommes-nous prêts à aller ? Comment évaluer notre degré de complicité ? Décidément, la bande-son de ce reportage manquait fatalement de profondeur... Je m'emporte probablement parce que je ne regarde jamais la télévision. Mais la presse écrite vaut-elle guère mieux ?