Pourquoi n'écris-je pas plus de billets d'actualité, choisissant plutôt de restaurer d'anciens articles qui me tiennent à cœur ? Il est certain que recycler certains textes qui n'ont pas perdu une ride est aussi rassurant que gratifiant. Je les rafraîchis, comme dirait un coiffeur. Mes lecteurs/trices d'il y a dix-huit ans ne sont pas forcément celles/ceux d'aujourd'hui. De mon point de vue, me relire me surprend, et je constate que je suis toujours le même, un peu meilleur, j'espère, grâce à celles et ceux dont j'ai croisé la route. Depuis des années on me suggère de publier un recueil de mes articles les plus intéressants. Comment choisir parmi plus de cinq mille ? Autant m'atteler à un nouvel ouvrage ! Au cours de cette vie bien remplie, j'ai souvent répondu à la commande, au désir d'autrui, quel que soit le support, le moyen d'expression. Il faut déjà que ça sonne. Parfois je n'y connaissais pas grand chose, ainsi il fallut chaque fois inventer pour pallier mes incompétences. On verra bien ce qui se dessine. Au début cela fait peur, et puis, dès qu'on se jette dedans à corps perdu, les solutions se déroulent comme une pelote de laine, comme siphonner un réservoir !
Ces derniers temps j'ai été accaparé par le mixage du disque de rock que je termine pour Nicolas Chedmail, par la lecture de projets en vue d'une bourse accordée par un jury auquel je participe, par mes instruments que je dois sans cesse pousser dans leurs retranchements. Je prépare aussi les prochains "pique-nique au labo" auxquels sont déjà invités Olivier Lété, Violaine Lochu, Tatiana Paris, Hélène Duret, Emmanuelle Legros, Denis Lavant, Lionel Martin et quelques autres formidables improvisateurs/trices d'ici la fin de l'année. Toutes ces activités me permettent de garder un contact social, puisque les propositions se raréfient un peu avec l'âge. Les "clients" meurent, font faillite ou prennent leur retraite. Il faut sans cesse rajeunir ses contacts. On vous oublie si facilement. Détestant les replis communautaires, fréquenter des jeunes de toutes générations m'a toujours paru évident. On comprendra donc que je ne chôme pas, si j'ajoute les disques que j'écoute, les films que je projette, les livres sur lesquels je m'endors, la cuisine que je concocte chaque jour avec la même gourmandise, mes vélos statique et mobile, les ami/e/s qui passent me voir et les tâches ménagères qu'une grande maison sollicite.
Il y a une autre raison qui m'empêche de m'ouvrir complètement sur ce qui me préoccupe. Déjà je ne voudrais inquiéter personne les rares jours où le blues prend le dessus sur le bleu du ciel. De plus, se plaindre n'a rien de sexy. Et puis, il n'y a pas de quoi, du moins à titre personnel. Il n'en va pas de même du monde qui marche sur la tête, des inconséquences des idiots qui nous gouvernent aux guerres stériles dont seules les populations pâtissent, avec le terrible réchauffement climatique qui reste hélas une vue de l'esprit pour la plupart alors qu'il est la menace majeure. Je m'inquiète évidemment pour l'avenir des enfants d'aujourd'hui. Nous avons fait notre temps, or il n'est pas terminé.
J'ai emprunté mon titre à Jean Cocteau, un auteur et un livre qui me sont chers. Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots.