Dans les nouvelles musiques y aurait-il deux sortes de compositeurs, ceux qui écrivent pour se mettre en valeur et ceux qui construisent des écrins pour les autres ? Ou bien ceux qui se contentent du texte et ceux qui ont des arrière-pensées ? Ou encore ceux qui ne font qu'écrire et ceux qui mouillent leur chemise en mettant les mains dans le cambouis ? J'écris ceux, mais c'eut pu être tout aussi bien celles, les musiciennes n'échappant pas toujours aux mauvaises habitudes des mecs. J'écris mauvaises, parce que de mon point de vue, en musique, toute habitude est mauvaise, et voilà des siècles que les gars imposent leurs choix à la gente féminine.
L'écoute du dernier disque de Marc Ducret aurait-il provoqué ces questions digressives ? Probablement. C'est certainement de la musique mâle, conquérante, mais généreuse. Allongé sur le dos dans la chaleur du sauna je laisse aller mes pensées sans a priori. Je me suis souvent demandé pourquoi ne pas confier à Ducret un vraiment grand ensemble, voire un symphonique. J'ai toujours préféré ses orchestres fournis, en général une dizaine de participants, à ses petites formations. C'est un maître des timbres.
Pour ICI ils sont quatre, quatre comme les quatre saisons qui composent ce disque. Fabrice Martinez joue de la trompette, du bugle et du tuba. Christophe Monniot est aux saxophones, sopranino, baryton et alto. Samuel Blaser tient le trombone. Ducret gratte ses guitares électriques, il les pince, les distord, les étend. Mais la première remarque dont je me souviens alors que j'étais en nage, c'est le décalage des voix. Les unissons impeccables sont le triste apanage du jazz rock ou rock progressif, du style "je ne veux voir qu'une seule tête". ICI ça ping et ça pong, comme on tisse sa toile, chaîne et trame. Ce décalage, léger sur les accords, détaché sur les contrepoints, est probablement ce qu'on appelle le swing. Celui de Ducret jongle avec les notes comme un artiste de music-hall. Il fait des pointes, marche sur le fil et renvoie la balle. J'utilisais plus haut l'adjectif généreux. C'est ICI histoire d'amitié. Quatre rendez-vous au bord de l'eau, un par saison, et le tout rassemblé en studio pour conclure. Les musiciens s'effacent devant le paysage, les sujets devant l'objet. Dans tous les enregistrements que j'écoute je décèle ce qui se passe au delà des sons. Cela n'ordonne pas forcément la qualité, il y a des musiques sensationnelles fruits de sessions pourries, des personnalités charmantes et d'autres épouvantables, mais sentir l'amour qui passe autour est une manière délicieuse de se réconcilier avec le monde. N'était-ce pas un peu le but lorsque nous avons commencé à jouer ensemble ?

→ Marc Ducret, ICI, CD Ayler Records, dist. Orkhêstra International, 15€ (10€ en numérique)