jeudi 12 octobre 2023
Tony Hymas back on the fortress
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 12 octobre 2023 à 00:35 :: Musique
Il y a 33 ans j'avais été impressionné par un disque hétérogène publié par le label nato. En ayant produit quelques uns de cet acabit, ce n'était évidemment pas fait pour me déplaire. Les séquences se renvoyaient les unes aux autres comme si elles avaient été composées pour un film plein de surprises et de rebondissements. Ou bien était-ce un florilège de courts métrages sonores, allez savoir ! C'était le début des CD et la mode de la musique mécanique, la MAO, les ordinateurs offrant de nouvelles possibilités aux compositeurs inventifs. Les voix nous racontaient des histoires et les musiciens humanisaient les machines programmées. Ce disque pop faisait aussi tâche au milieu de l'écurie plutôt jazz de nato, une magnifique tâche colorée rappelant parfois certains tubes de Serge Gainsbourg. L'auteur s'appelait Tony Hymas et il avait déjà vécu quelques heures de gloire en accompagnant Frank Sinatra, puis Jack Bruce, et fondé le groupe P.H.D. au hit I Won't Let You Down. Ajoutez six disques avec Jeff Beck et la participation à des musiques de films de Henry Mancini, Michel Legrand ou Philippe Sarde, et tout s'expliquait. Pour cette Flying Fortress il s'était entouré de Hugh Burns (guitare), Tony Coe (clarinette et ténor), Chris Laurence (contrebasse), Stan Sulzmann (soprano et ténor), Frank Ricotti (percussion), Lis Perry (violon), Laura Davis (chant) et Alfred Cat (voix), une bande d'Anglais aguerris, capables de jouer le jeu sans arrière-pensées.
Le disque en question reparaît aujourd'hui augmenté d'un Back on the Fortress où le claviériste n'a pas renoncé aux machines ni à l'excellence de ses compagnons de voyage, bénéficiant de trente ans de nouvelles expériences grâce à sa trilogie dédiée aux Indiens d'Amérique, aux trois disques avec The Lonely Bears, ses collaborations avec Jacques Thollot, Sam Rivers, Evan Parker, Michel Portal, le groupe Ursus Minor, son hommage à Courbet, des musiques de films, etc. Il y a une dizaine d'années déjà, j'avais eu la joie d'écrire les paroles d'une chanson dédiée à Germaine Tillion pour ses Chroniques de résistance que chantait ma fille Elsa. Elle est présente là encore aux côtés des deux autres chanteuses Yelle et Marie Thollot pour la belle chanson I'd love you, de même qu'on trouve beaucoup d'ami/e/s de Tony et de camarades de l'écurie nato tels Anamaz, Ginny David (chant), Thomas Hymas (aussi à la guitare) ou Stokley Williams (aussi à la batterie), Léo Remke-Rochard ou Barney Bush (voix), Caroline Goulding (violon), Jackie Molard (violon alto), Hugh Burns, Jean-François Pauvros (guitare), Catherine Delaunay (clarinette), Nathan Hanson ou Stan Sulzmann (sax ténor), François Corneloup (sax baryton), Hélène Labarrière (contrebasse), Terry Bozzio, Peter Hennig ou Paul Clarvis (batterie). Aussi riche et varié que le précédent, c'est un disque plus romantique, plus profond.
Comme si cela ne suffisait pas pour nous émerveiller, nato sort le même jour No Borders, un duo pour piano et clarinette de Hymas avec Catherine Delaunay. Le pianiste nous avait déjà gratifié de disques délicats où il interprétait Léo Ferré, Brel, Britten, Chopin, Debussy, Weill, Satie, Janacek, Chaminade, Bechet... Justement le phrasé de la clarinettiste me rappelle de temps en temps Sidney sur les genoux duquel je sautais enfant. Quel que soit le style abordé, Tony Hymas conserve le sien, une ouverture d'esprit incroyable, où si tous les chemins sont possibles, il gravit les pentes avec une facilité déconcertante. C'est très beau. L'une et l'autre se moquent des frontières et traversent les paysages comme le loup dessiné par Rochette sur la couverture. Conscients des inégalités du monde des hommes, il et elle choisissent de s'en émouvoir en musique et de nous transmettre ces émotions indispensables pour continuer à rêver et se battre pour qu'il soit un peu meilleur.
→ Tony Hymas, Flying Fortress + Back on the Fortress, 2 CD nato, 18€
→ Tony Hymas, No Borders, CD nato, 12€