jeudi 6 juin 2024
Loopy Loops (Mix Me)
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 6 juin 2024 à 04:25 :: Musique
Je n'ose pas imaginer ce que je risque de découvrir si j'exhume mes archives du grenier. Je pense qu'y dorment autant d'œuvres inachevées que celles qui ont vu le jour. J'avais même imaginé le roman d'un groupe de musiciens en ne m'appuyant que sur ces rêves morts nés. Donc avant-hier en recherchant des sons et des musiques enregistrées pour un CD-Rom de 2001 à la demande de Sonia Cruchon qui en avait eu la charge, je suis tombé sur la version longue d'une pièce qui figurera sur Tchak !, le prochain album, totalement inédit, produit par Walter Robotka et qui devrait sortir en août sur le label autrichien KlangGalerie, dernière formule d'Un Drame Musical Instantané avec Bernard Vitet, Philippe Deschepper et Nem. Je me souvenais que Le silence éternel des espaces infinis m'effraie était une réduction d'une pièce plus longue intitulée Loopy Loops interprétée par Bernard au bugle et ma pomme aux machines, mais j'avais totalement oublié que nous avions transformé notre duo en une chanson interactive avec ma fille Elsa qui avait alors 14 ans.
C'est incroyable, les fichiers étaient prêts pour la fabrication, si j'en juge par les échanges avec le presseur et les différents documents retrouvés grâce à l'application Tri-Catalog qui tourne sur un vieux MacBook et où j'avais indexé quelques trois cents CD-R d'archives. Cette astuce me permet toujours de localiser systématiquement la plupart des fichiers de 1995 à 2011, soit la période féconde où nous inventions des objets multimédia plus interactifs les uns que les autres. La suite est copiée sur une vingtaine de disques durs de quatre à huit terras chacun.
La programmation algorithmique de Loopy Loops était entre les mains de Frédéric Durieu avec qui j'avais conçu l'objet, et le design graphique entre celles d'Étienne Mineur, qui réalise justement actuellement la pochette de Tchak !. Sur la couverture on aurait pu lire "An interactive song - Infinite variations" et "Choose your mix - Move the mouse - Play the keyboard – Do it again". Soit " À chaque utilisation, une nouvelle interprétation. Choisissez un mix, tapez sur le clavier, jouez avec la souris, recommencez... Variations infinies." Des remerciements étaient adressés à Francis Gorgé, Pierre Lavoie & Hyptique.
Pour écouter ce morceau tendre, hypnotique, en perpétuelle mutation, sorte d'hommage au Bitches Brew de Miles Davis, on ira sur le lien http://www.drame.org/blog/share/zik/Loopy%20Loops.mp3, mais il manque évidemment la voix, les effets et de nombreuses articulations ajoutées pour l'interactivité. Comme souvent, mais hélas pas toujours, j'avais rédigé le processus compositionnel que je livre ici brut et qui permet donc d'avoir une idée du type d'objet que nous fabriquions à cette époque.
Piste du continuum (stéréo) :
C’est la piste principale, elle est générative. Elle doit varier d’une interprétation à l’autre. Tous les événements s’enchaînent « cut », collés les uns aux autres sans temps morts. La synchro doit toujours être conservée, donc parfait enchaînement entre les cellules rythmiques. L’unité est de 8 secondes précises. Il y a des cellules de 2-4-7-8-12-16-18-20-22-28 mais la majorité est de 8 (les cellules basiques) ou de 16 (surtout les trompettes). Les 10 Débuts et les 10 Fins se correspondent deux à deux. Les 81 cellules (bouclables) sont le corps du récit. Les 22 articulations représentent des breaks, des refrains, au milieu des boucles. Certaines sont également bouclables.
Les 81 Cellules sont réparties en 8 catégories : 18 Drum’n Bass (commencer toujours par une de ces boucles) et 14 Fuzz (les mêmes, mais perverties), 17 Trompettes dites Tp nature et 7 Tp effet (trompettes perverties), 6 Cordes et 5 Soft’nCordes (encore plus cool), 11 Marimbas, 3 Flangers. Toutes les cellules sont bouclables (répétables) mais on évitera en général (sauf pour l’Infinite Mix) de boucler les trompettes (nature et effet). Trois modes offrent le choix entre le Radio Mix (3 minutes environ), le Medium Mix (10 à 12 minutes) et l’Infinite Mix (ininterrompu). Le Medium Mix ressemble au Radio Mix sauf qu’il est plus long et alterne plus de cellules bouclables et d’articulations (plus de couplets, plus de refrains), sept à dix couplets maximum de 4 (exceptionnellement 3) à 8 cellules. L’Infinite Mix alterne cellules bouclables et articulations (certaines sont également bouclables).
Le Radio Mix est construit selon le modèle : Début – 3 ou 4 Boucles – Articulation – 3 ou 4 Boucles - Articulation – 3 ou 4 Boucles – Fin. Comme il y a 3 moments de boucles, un est choisi dans « Tp nature » et un peu dans « Tp effet » (avec éventuellement « Flangers »), le second dans « Cordes » ou bien « Soft’nCordes » (pas de mélange des deux, choix à faire), et le troisième dans « Marimbas ». L’ordre de ces 3 couplets est variable. Mais la première cellule est toujours issue de « Drum’n Bass », et ensuite des cellules de cette série ou de « Fuzz » peuvent s’insérer dans les parties « Cordes » et « Marimbas ». Attention : on doit beaucoup plus souvent entendre « Drum’nBass » que « Fuzz », « Tp nature » que « Tp effet », « Cordes » - « Soft’nCordes » - « Marimbas » que « Flangers ».
Piste Elsa (mono) :
Il y a 20 vers chantés, chacun sous une touche du clavier (de A à P – de Q à M). Cette piste est interactive par le clavier, et générative pour le choix des pieds. Chaque vers possède 3 pieds. Exemple : sous la touche A on peut déclencher le premier vers soit « You mix me ». Le programme va choisir parmi les 7 « You », les 6 « Mix » et les 5 « Me ». Les trois pieds vont s’enchaîner sans coupure. Sous cette première touche on aura toujours ce vers-là, mais la mélodie variera (surprise !). Et ainsi de suite pour les deux rangées de 10 vers de 3 pieds (voir le texte pour l’ordre). Ici le joueur maîtrise donc le sens mais pas la musique. Les paroles étaient très simples : You mix me, I mix you, You mix here, I mix here, I hear you, You hear me, You know me, I know you, Hear me here, Here you mix / No no no, No mix here, No eye here, You mix you, You know here, I mix me, You you hear, I know me, I hear me, Here I mix.
Piste Stretches :
Les 16 stretches sont joués à la souris (sons Quicktime). Le mode est aléatoire ordonné. On ne joue qu'un son à la fois. Pour en changer il faut soit taper sur la troisième rangée du clavier, soit cela change tout seul au bout d’un certain temps à définir ou encore en fonction de l’utilisation de la souris par le joueur. Le glissement de la souris provoque des variations de la vitesse de lecture de chaque son. Sur les 16, 12 sont stéréo et 4 mono. Alors que la piste Elsa est rassurante (voix féminine, chant…), les effets du stretching sont destructeurs.
Touches spécialisées :
Flèches haut et bas = volume / Pomme-Q = Quitter / Pomme-Flèche gauche (ou aut’chose) = Supprimer la voix du clavier si on souhaite utiliser l’Infinite Mix pour accompagner son travail (même combinaison pour la remettre) / Pomme – Flèche droite = Supprimer le son des stretches pour la même raison (idem).
Ces explications me servaient à converser avec Frédéric Durieu, génial matheux qui n'entendait rien à la musique, tandis que ses algorithmes restaient pour moi du chinois. Comme pour le CD-Rom Alphabet, les modules du CielEstBleu, La Patason ou FluxTune, nous affinions au fur et à mesure à force de lois restrictives, les premiers tests ressemblant toujours à un monstrueux chaos sonore.