70 juillet 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 12 juillet 2024

Bye bye


Le retour de mes articles est programmé pour le 19 août, lorsque nous serons rentrés de notre incroyable périple. C'est une question de santé de ne plus penser à ce que je publierai demain, ce qui ne m'empêche pas de prendre des notes et des photos qui alimenteront plus tard mon récit de voyage. J'emporte aussi le petit Nagra, car je ne voudrais pas manquer la symphonie de la nature. Cela m'était arrivé en 2008 à Nong Khiaw, au Laos. Je ne souhaite pas rater pareille merveille une seconde fois ! Nous nous envolons tranquilles, sachant que la maison et les chats sont en de bonnes mains, arrosage du jardin et câlins félins à la clef. Nous aurons probablement froid dans les hauteurs et chaud dans la forêt profonde, ce qui complique un peu l'organisation de la valise pour qu'elle reste légère. Je suis ennuyé de ne pas avoir appris l'espagnol, n'ayant inlassablement répété que les premières leçons. Je fais abstraction du bilan carbone que nous taisons humblement, mais mes rêves de jeunesse réclamaient cette entorse. Demain il pourrait être trop tard. Voilà quatorze ans que je n'avais fait un si grand voyage. J'enverrai probablement quelques images sur FaceBook ou Instagram, histoire de dire qu'on est toujours vivants. À bientôt...

Illustration : John Constable, Cloud Study, 1822

jeudi 11 juillet 2024

Edward Hopper, inventeur du "déjà vu"


La couverture médiatique de la rétrospective Edward Hopper [ressemblait] à un raz-de-marée alors que l'exposition [débutait ce 10 octobre 2012]. Il n'y a pas que Télérama et Libération à avoir publié des numéros spéciaux ; ainsi l'offre libraire est incroyable, qu'elle soit directement liée au peintre américain, à ceux qui l'ont formé ou aux artistes qui s'en sont inspirés. Les amateurs de peinture se [seront donc rués] au Grand Palais, mais les fans de bande dessinée et les cinéphiles devraient absolument suivre le mouvement, comme les amateurs de littérature et les musiciens, tant la trace de Hopper se fait sentir dans tous les domaines artistiques. C'est dire que s'il [était] une exposition à voir à Paris, [c'était] bien celle-ci. La pâte de cet artiste n'a pourtant pas l'impact des originaux d'autres peintres lorsque l'on découvre enfin ce que l'on a connu qu'en reproduction, mais un tel rassemblement d'œuvres, dans leur format réel, nous plonge dans une histoire qui n'en finit pas.

D'un côté, la technique de Hopper, son style lisse, explique bien l'afflux de produits dérivés, cahiers, agendas, affiches, magnets, cartes postales, catalogues, etc., dont nous sommes inondés. D'un autre, le mérite de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition, est d'avoir replacé Edward Hopper dans une chronologie biographique montrant qu'il n'est pas simplement une icône fondatrice du mythe américain, avec une forte critique caustique et dépressive, mais que ses sources parisiennes sont capitales dans sa formation. Si ses toiles réalisées lors de trois séjours à Paris entre 1906 et 1910 et ses illustrations de la Commune de Paris en portent le témoignage, toute son œuvre renvoie à Degas, Marquet ou Vallotton, en tout cas pour la manière de traiter ses personnages. Ses travaux de commande pour la publicité montrent à quel point ses illustrations ont marqué son œuvre, tandis que la lumière, composante majeure de ses toiles à venir, tient probablement plus de ses lectures du transcendantaliste Ralph Waldo Emerson tant ses flous sont philosophiques. L'universalité de cet immense artiste s'explique par ces multiples approches, narrative et énigmatique, fictionnelle et documentaire, figurative et abstraite... On admirera ainsi les gravures et aquarelles qui ont précédé les grands et sublimes tableaux qui l'ont rendu célèbre.

Ce qui frappe avant tout est l'impression de "déjà vu", expression américaine empruntée à la langue française, sorte d'effet Glapion qui nous fait croire que nous connaissons ses toiles alors que nous y reconnaissons leur empreinte sur le cinéma et l'imagerie américaine. On a cité Hitchcock, Lynch ou Wenders. On pourrait ajouter Antonioni et bien d'autres. Les paysages vides sont éminemment cinématographiques comme les personnages coupés en bord cadre rappellent la photographie, les fenêtres ouvrent sur des hors-champs dont on ne saura jamais rien, les tableaux évoquant des films sans histoire, énigmes à jamais closes sur elles-mêmes, ne laissant aucune place à l'interprétation, pas plus qu'ils n'imposent le moindre sens. L'œuvre ouverte ne se laisse jamais refermer par le spectateur. La réalité n'existe pas. Nous sommes en face de projections vaines qui nous renvoient à notre inanité.

P.S.: j'ai acheté l'appli iPad D’une fenêtre à l’autre commentée par Didier Ottinger que nous avons eu la chance d'avoir pour guide tout au long de l'exposition. [...] Signalons enfin l'incontournable film The Savage Eye de Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick, joyau évoqué dans cette colonne il y a près de trois ans et que Hopper lui-même conseilla "si vous voulez connaître l'Amérique" ! [...]

Illustration : First Row Orchestra (1951), huile sur toile 79x101,9 cm, Washington D.C. Hirschhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de la Fondation Hirschhorn.

mercredi 10 juillet 2024

Errare humanum est


[Depuis cette] discussion passionnée, rapportée le 8 octobre 2012, avec Valéry Faidherbe sur le rôle capital de l'artefact dans la création artistique, il a, entre autres, réalisé le magnifique chapitre Les champs les plus beaux de mon film Perspectives du XXIIe siècle qui sera projeté le 31 octobre au Musée d'Ethnographie de Genève (MEG) suivi d'un concert avec Amandine Casadamont.

Nous avions assisté la semaine dernière à la projection d'Impressions de Jacques Perconte au Couvent des Bernardins. Le vidéaste compresse ses plans en abîme pour faire surgir des formes et des couleurs incroyables dont les mouvements acquièrent une puissance poétique époustouflante. Je me suis carrément envolé avec les oiseaux qui laissent une trace rémanente dans le ciel de Normandie ou j'ai cru rêver en symbiose avec la tendresse des deux vaches psychédéliques qui se confondent avec l'herbe qu'elles broutent. Jacques a aussi réalisé MEG 2152, un autre merveilleux chapitre de Perspectives du XXIIe siècle, avec des truites cette fois !

Continuant dans la métaphore animalière Valéry cite l'opéra Nabaz'mob que j'ai composé avec Antoine Schmitt pour cent lapins communicants. L'erreur dans le système produit des variations infinies de l'œuvre et lui donne son sens, réflexion sur l'ordre et le chaos, sur la velléité de vivre ensemble sans y parvenir. S'il s'agit de cent robots interprétant musique et ballet il n'en reste pas moins qu'ils sont programmés par des humains et que l'imperfection est le propre de l'homme. Errare humanum est.

Chez tous les grands artistes c'est l'erreur ou la maladresse qui fait le style. Le reste n'est qu'académisme (le caca des mîmes). En poussant les machines dans leurs derniers retranchements l'artiste s'approprie la technique en la dévoyant de son propos initial. Lorsque je programme des sons sur un synthétiseur les plus intéressants sont ceux que son fabricant n'a pas prévus. Nous nous jouons de ces erreurs pour créer, cette perversion nous permettant de retrouver plusieurs travers qui caractérisent à la fois les artistes, mais aussi les humains dans leur nature dénaturée (je pense au magnifique roman de Vercors, Les animaux dénaturés) : l'imperfection poussée jusqu'au sublime, la maîtrise et son impossibilité, la vanité, vanité de faire et, plus encore, de défaire.

Et Bernard Vitet de me rappeler la fin de la citation latine : sed perseverare diabolicum ! Et Bernard de casser sa pipe l'année suivante.

P.S.: il en est de même avec l'IA qui produit du banal à base de banal à moins de se saisir de l'outil et de pervertir les processus pour aboutir à des œuvres qui nous ressemblent.

mardi 9 juillet 2024

Arnaque, poison ou réalité augmentée ?


J'ai souvent rêvé de devenir le Airto Moreira de la chanson française. Comme Airto Moreira, percussionniste, entre autres, de Miles Davis sur l'album Bitches Brew, personnalisait les morceaux en ajoutant du persil aux orchestrations, j'adorerais saupoudrer les arrangements avec quelque gimmick de mon invention. Ces épices rares donneraient une couleur inédite à la musique, un petit quelque chose de plus, une perspective. J'imaginerais des sons électroniques ou bruitistes adaptés à chaque chanson, narratifs ou purement sensibles. Insuffler une brise cinématographique dans la musique à l'image des artistes qui soulignent leurs interprétations d'un jeu dramatique.
Il y a quelques années, directeur artistique pour le chanteur mahorais Baco, j'avais mixé les klaxons d'un embouteillage à la section de cuivres pour une chanson sur la pollution, fait traverser l'océan indien à un voilier encerclé d'oiseaux marins, lui avait donné la réplique grâce à la voix de personnages qu'il évoquait, autant de contrepoints en forme de contre-champs, voire de hors-champ. Aucune illustration redondante, mais l'installation d'une dialectique qui multiplie les lectures. Une autre fois, j'avais recréé une scène de film pour un cover de Sorry Angel de Gainsbourg par le guitariste Jef Lee Johnson avec la comédienne Nathalie Richard. Ou imaginé de courts interludes pour les trois albums du somptueux Chronatoscaphe commémorant le quart de siècle du label nato. Etc.
Hier après-midi, le violoniste Lucien Alfonso est passé au studio pour que j'ajoute des sub-basses à l'enregistrement d'un morceau du premier album du Toukouleur Orchestra. Avec juste un sax et un violon certains arrangements sonnent comme la section de cuivres de Soft Machine sur des rythmes afro ! Les années 70 ont laissé de sacrées traces. Nous avons ensuite fabriqué des sons supersoniques, entre jet et cosmos, trafiquant sa voix avec l'Eventide H3000 et terminé la séance avec les suraigus d'un supposé satellite et la fraise d'un dentiste. J'ignore si nous avons atteint le nirvana annoncé par le titre, mais j'ai eu un peu de mal à redescendre pour écrire mon article.
Nous n'avions pourtant usé d'aucun expédient, ni végétal, ni chimique, ni même sonore, puisque nous n'avons encore jamais testé les drogues sonores d'I-Doser. Ces centaines d'épices aux noms évocateurs s'écoutant au casque seraient susceptibles de produire des effets comparables à certains hallucinogènes, émotions orgasmiques et autres produits illicites qui font chavirer le ciboulot. Arnaque, poison ou réalité augmentée, allez savoir...

Article du 4 octobre 2012 (liens mis à jour)
Illustration : JJB, 1969

lundi 8 juillet 2024

Entrée à volonté


On entre. On sort. Par la porte. Par la fenêtre. On entre. On sort. Par le col ou le bistouri. Les pieds devant. La tête la première. On entre. On sort. La tête haute. Les épaules rentrées. On entre. On sort. Comme un hareng ou en ermite. En rang d'oignons ou avec un drapeau. On entre. On sort. La glace explose en mille morceaux. Le vent s'engouffre. Les tapis volent. On entre. On sort. Question de volonté. Ou d'appétit. Mais question sans réponse. On entre. On sort. Sur la pointe des pieds. En fanfare. Comme si de rien n'était. Avec les honneurs. On entre. On sort. Au delà du seuil rien d'autre n'existe. C'est si court. Que l'on marche ou que l'on courre. Pas le temps de dire ouf. On entre. On sort. D'un pied sur l'autre. Une hésitation. Mine d'entrer. Semblant de sortir. Plus vite cette fois. Une vibration. On y entre. Encore plus vite. Encore. Encore. On ne s'en sort pas.

Article du 2 octobre 2012

vendredi 5 juillet 2024

Parmi les nénuphars


Lorsque je prends des photos je vais souvent au plus vite pour ne pas perdre l'intention initiale. Sans prendre le temps de chausser mes lunettes, je cadre à peu près en espérant que ça colle. Il est toujours possible de recadrer, même si mes meilleures images ne l'ont pas justifié. Et puis l'écran de mon smartphone est riquiqui comme sur tous ces trucs de poche qui ont supplanté les appareils photo chez les amateurs. C'est un peu comme lorsque j'improvise, j'enregistre, mais je ne connaîtrai objectivement le résultat qu'à la lecture.
Hier après-midi je me promenais donc dans le Jardin des Plantes près de la gare de Nantes lorsqu'Eliott a voulu voir la mare aux grenouilles. Comme celles-ci semblaient cachées, nous nous sommes penchés sur les nénuphars qui venaient d'éclore. Juste avant de nous diriger vers Dépodépo, le jardin créé par l'illustrateur Claude Ponti, où Eliott rêvait d'aller se cacher dans les pots de fleurs géants, j'ai cherché à photographier une fleur plein pot sans me rendre compte qu'une grenouille était dans le champ. Ce sont les amies à qui je l'ai fait suivre qui l'ont instantanément remarquée. En fait, s'il l'on faisait bien attention on en découvrait d'autres camouflées parmi les feuilles en forme de cœur. Comme elles étaient trop loin pour qu'on les embrasse (on ne sait jamais), Eliott tenta de leur cracher dessus, sans succès. Elles ne bougèrent pas d'un cil. Nous les avons laissées à leur bain de soleil pour admirer L'homme de bois de Fabrice Hyber, un géant d'où coule de l'eau par tous les orifices (tous, on vous dit, même si les guides en évitent soigneusement le détail) et qui devrait se végétaliser ainsi d'ici septembre grâce aux mousses et fougères que l'humidité favorise. Il fait partie du Voyage à Nantes, des installations contemporaines et des expositions comme celle de Pierrick Sorin qui sont présentées jusqu'au 8 septembre et que l'on peut rencontrer en suivant une ligne verte peinte sur les trottoirs de la ville. Certaines deviendront pérennes.
Nous sommes rentrés à Indre où Will Guthrie présentait le travail de ses élèves batteurs et joueurs de gamelan dans un jardin près du port. Il était temps que je regagne mes pénates pour préparer le grand départ.

jeudi 4 juillet 2024

Toujours le même tabac


Après 5600 articles en 20 ans il est compréhensible que je ne me souvienne plus de tous. De temps en temps je suis tenté d'en écrire un que j'ai déjà publié. Avec le même titre, le même point de vue, le même enthousiasme aussi. Mon cerveau ressemble à un disque dur saturé. Il faut jeter des informations pour en enregistrer de nouvelles. La mémoire et l'oubli. Pas de quoi s'affoler si, l'âge avançant, on perd le nom des gens, le titre des films, le souvenir des visages, l'endroit où j'ai posé mes lunettes... C'est ce qui m'est arrivé ce matin. J'ai tapé "Un tabac" après l'avoir pris en photo. Elle est plus jolie que celle du 17 juillet de l'année dernière, mais j'avais déjà tout dit.

UN TABAC

Les plants exposés au sud font un tabac. Ses fleurs ont pourtant l'air fané au soleil, mais elles s'épanouissent aussitôt que l'ombre du soir envahit le jardin. D'ornement, leurs feuilles ne se fument pas, enfin c'est ce qu'on dit. Je suis obligé de le croire puisque je n'ai jamais fumé, de tabac. Ma mère corrigeait mes devoirs le Disque Bleu Filtre au bec, la fumée me remontant dans les narines. Comme ce ne fut jamais un interdit, écœuré par des années d'inhalation passive, je ne m'y suis jamais mis, contrairement à la plupart de mes camarades de lycée. J'achetais pourtant des Winston ou des Marlboro, espérant m'en servir pour draguer, mais j'étais si timide que le paquet me durait trois mois, pour un résultat catastrophique. Plus tard je mélangeai les brins de Camel à mes joints. Je n'ai jamais véritablement aimé le goût. Seuls les effets m'intéressaient. Expérimentalement ! Je les roulais avec une machine, m'imaginant probablement ainsi encore en amateur, même après quarante ans de cette pratique. J'ai arrêté il y a une dizaine d'années. Cela ne m'apportait plus qu'une fatigue au réveil. L'odeur du tabac des cigarillos auxquels ma mère était passée m'obligeait à me doucher et changer de vêtements lorsque je rentrais chez moi tant son appartement empestait, même lorsque je n'y restais que dix minutes. À sa mort, quand nous avons vendu son appartement, les livres étaient recouverts d'une poussière brune d'un centimètre d'épaisseur. C'est donc la première fois que le tabac me fait un effet positif. À la tombée du soir je reste en pâmoison devant ses fleurs blanches et roses en pensant qu'un jour mes rêves les plus chers se réaliseront. Soupir ! Cyriaque et Alexandre m'ont donné des quantités de semis dispersés dans autant de pots, beaucoup de fleurs, mais aussi des tomates, céleris, choux, etc. Le lendemain matin les tabacs étaient toujours ouverts. Pendant mon voyage au Maroc qui a duré quinze jours, les bambous avaient poussé de deux mètres en hauteur. Je tente de réguler cette petite jungle. Posséder un jardin redonne un sens aux saisons, aux variations climatiques, à la lutte pour la vie, à notre animalité dénaturée...

mercredi 3 juillet 2024

À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France - Épisode 2


Après le premier épisode consacré à La Maison Fournaise, celui-ci évoque le canotage sportif en exposant une périssoire, deux skiffs, un canoë et deux paires d'aviron. Le sujet proposé par la DRAC rime évidemment avec les prochains Jeux Olympiques. J'avoue avoir eu un peu de mal à trouver le ton musical jusqu'à ce que me vienne l'idée du bois, du bois dont sont faits les avirons ! Comme dans le premier épisode, j'ai utilisé le piano pour des parties plus convenues, mais c'est le marimba qui m'a donné la solution. C'est un xylophone grave aux larges lames de padouk ou de palissandre avec des résonateurs en métal. L'aspect répétitif des séquences musicales évoque évidemment les rameurs et ma manière d'agencer les timbres a quelque chose d'aquatique. J'ai juste ajouté quelques coups d'avirons au début, un train à vapeur avec sa sirène et le bruit des pages. Je n'ai aucune idée du prochain épisode, mais chaque partition sonore est très excitante à réaliser.



Étonnant Patrimoine ! - #2 Les sports nautiques d'autrefois

mardi 2 juillet 2024

Le fruit du cobra


Toujours friand de découvertes, qu'elles soient scientifiques ou culturelles, l'apparition d'un fruit inconnu à Paris Store (Belleville) éclaire ma journée d'une suave lumière. L'étiquette indique salak palm ou fruit du serpent. La drupe, d'environ six centimètres de long, ressemble à du canard laqué, mais ses écailles dures rappellent surtout la peau d'un serpent ou d'un tatou. Avant d'avoir trouvé tout ce qui le concerne sur Internet, je l'entaille sur la longueur et suce la chair entourant le noyau. J'hésite entre la pomme, la fraise et l'ananas, avec le petit côté acide du fruit de la passion. Passion, pomme, serpent, ça sonne un peu biblique, mais c'est très bon tout de même ! Je vais rechercher l'écorce dans la poubelle lorsque j'apprends la qualité de ses infusions. Il paraît qu'il ne faut rien jeter, mais j'ignore quoi faire avec les noyaux. Ces fruits d'un palmier qui poussent surtout à Java et Sumatra sont cultivés en Thaïlande, mais ils diffèrent de ceux d'Indonésie, par le goût et la forme. Je suis toujours étonné de découvrir de nouveaux légumes, de nouveaux fruits, de nouvelles racines, alors que je n'ai jamais aucune surprise avec la chair d'un nouvel animal, que ce soit un mammifère, un oiseau ou un poisson. Évidemment ils viennent de loin, pas génial pour le bilan carbone, mais les tomates ou les pommes de terre n'étaient pas non plus d'origine européenne, et nombreuses plantes asiatiques ont récemment trouvé ici des sols propices. Bon d'accord, pour les palmiers, ce n'est pas gagné, mais qui sait avec le réchauffement climatique ?!

lundi 1 juillet 2024

Quand sonne le glas


À tou/te/s les ami/e/s qui sont catastrophé/e/s par les résultats du premier tour des élections législatives, je réponds que la résistance sera à la taille de l'agression. Face au dézingage du public (santé, éducation, culture, information, etc.), si le RN devient majoritaire, nous nous organiserons. Pour celles et ceux qui voient la Bête se réveiller, je leur rappellerai que les résistants n'étaient pas nombreux à s'y affronter. Certes, les ravages risquent d'être considérables auprès de certaines populations ou secteurs professionnels, mais cela n'aura qu'un temps. La vie n'est pas faite que de bonnes nouvelles, mais elles succèdent toujours aux mauvaises. La réciproque est vraie aussi hélas. L'histoire est faite de fosses et de crêtes. Je suis plus inquiet par l'état de la planète que par la politique des nazes qui risquent d'arriver au pouvoir si nous n'arrivons pas à mobiliser le maximum de citoyens. Évidemment les choses sont plus complexes qu'exposées par ces quelques mots. Ici aujourd'hui les fachos sont plus dangereux que les stals ! Quel est l'intérêt des banques ? De quoi le Capital se contentera-t-il le mieux ? Quelle union est possible quand les élections ressemblent surtout au marché de l'emploi ? La problème n'est-il pas constitutionnel et sociétal ? Quelle démocratie cautionnons-nous ? Jusqu'où porte notre altruisme ? Quelles sont les limites de nos frontières, de nos frontières mentales car ce sont elles qui brident notre analyse ? La boule de cristal reste opaque. Tout est possible, le pire comme le meilleur, mais ne baissons jamais les bras face à l'imbécilité criminelle et suicidaire que génèrent le profit et la manipulation de masse.

Illustration de Jannis Kounellis

L'Intercommunal Free Dance Music Orchestra de François Tusques


Il fut un temps, peut-être même à l'origine, où le free jazz était une musique festive. Cette référence à l'origine est d'autant plus juste que François Tusques fonda le premier groupe de free jazz en France en 1965 avec Bernard Vitet, Michel Portal, François Jeanneau, Beb Guérin et Charles Saudrais. Innovateur invétéré, en 1971 avec son Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Tusques inventa aussi la world music, du moins en France. Après avoir publié deux albums solo du pianiste intitulé Dazibao il y a deux ans, le label Souffle Continu réédite deux disques particulièrement jouissifs, L'inter communal (1978, mais enregistré à partir de 76) et Le musichien (1983, mais enregistré en 81-82). C'était encore l'époque où en Amérique du Sud, en Afrique, en Bretagne ou aux États Unis on rêvait d'émancipation. Alors se fabriquaient des musiques fondamentalement utopiques, joyeuses à vivre, libres de danser. Le free n'était pas encore tombé aux mains de musiciens radicaux interdisant les rythmes répétitifs et les mélodies tonales. Et s'ils étaient déjà à l'œuvre, la résistance était forte, défendue par des acteurs légitimes. Cela n'empêchait pas pour autant ceux-ci de s'affranchir des "bons" usages.
Dans L'inter communal le groupe est formé du chanteur catalan Carlos Andreu, du trompettiste occitan Michel Marre, du tromboniste togolais Adolf Winkler, du saxophoniste guinéen Jo Maka, du percussionniste gabonais Sam Ateba, du bassiste breton Tanguy Le Doré, des sonneurs Jean Louis Le Vallégant et Philippe Le Strat aux bombardes, de Jean Mereu à la trompette, etc. Quant à Tusques, je crois me souvenir que Bernard Vitet, qui joue merveilleusement de la trompette dans Le Musichien, me racontait qu'il descendait d'un roi fainéant, donc un Mérovingien ! J'ignore si c'est vrai, mais l'anecdote est amusante. Dans ce deuxième disque on retrouve Andreu, Ramadolf (Winkler), Ateba, Le Vallégant, Le Strat, Le Doré, le percussionniste Kilikus, présents dans le précédent, mais le contrebassiste est Jean-Jacques Avenel, Sylvain Kassap est au ténor, Yebga Likoba ou Danièle Dumas au soprano. La musique bretonne gagne du terrain ! Avec Tusques c'était la première fois qu'elle se mêlait au jazz.
Lequel préférer ? Les deux font la paire. On en redemande forcément quand le bras du pick-up se lève ou que le CD se tait. Il fait beau. Il y a du soleil. C'est l'été. Je fais semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais, de toute façon, quel que soit le sens du vent, il faut toujours danser, chanter, se révolter, ne jamais baisser les bras, ensemble. C'est le sens de toute la musique de François Tusques.

→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, L'inter communal, Label Souffle Continu, LP 25€ / CD 12€ / numérique 7,90€
→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Le musichien, Label Souffle Continu, LP 25€ / CD 12€ / numérique 7,90€