70 septembre 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 septembre 2024

De la lecture et des bandes dessinées


De mon point de vue il y a deux sortes de livres de bandes dessinées, celles qui se lisent en quinze ou vingt minutes et celles qui me prennent plusieurs jours pour en venir à bout. Déjà, pour qu'elles me plaisent, il me faut un récit original et un graphisme qui trouve grâce à mes yeux. Je m'aperçois que j'évoque rarement mes lectures, que ce soit des romans "classiques" ou des romans graphiques. Comme la plupart des enfants de ma génération j'ai commencé avec le Journal Tintin quand d'autres étaient abonnés à Spirou. Je suis passé aux aventures de Johnny Sopper, la collection western du Fleuve Noir, puis de Harry Dickson dont j'appris plus tard qu'Alain Resnais était fan. Les gosses d'aujourd'hui dévorent plutôt Harry Potter. Ma petite sœur lisait les classiques tandis que je plongeais dans la science-fiction depuis que mon père m'avait passé Demain les chiens de Clifford D. Simak. En fait le premier bouquin "sérieux" qu'il m'avait conseillé avait été L'or de Blaise Cendrars.
J'évoquerai une autre fois le soir où mes parents sont sortis au théâtre et que mon père m'a montré l'étagère du haut de sa bibliothèque en m'interdisant d'y aller ; l'instant-même où j'ai entendu descendre l'ascenseur j'ai foncé direct vers son Enfer. Je devais avoir treize ans et j'imagine que mon père m'avait poussé sciemment à désobéir. La crevasse qui s'ouvrit sous mes doigts m'aspira corps et biens.
Il faudra que j'attende d'avoir vingt ans pour me mettre vraiment à la littérature. Un jour où je souffrais abominablement d'un panaris au pouce, Jean-André Fieschi me confia Bras cassé de Henri Michaux. En donnant des adjectifs à ma douleur je l’apprivoisai et réussis à m'endormir. D'avoir lu alors "Les drogues nous ennuient avec leur paradis. Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis." dans Connaissance par les gouffres valida mes pratiques expérimentales et j'entrevis le monde parallèle infini que représentait la lecture. J'avalai ensuite dans leur intégralité Cocteau, Ramuz, Cendrars, Schnitzler, Céline, en général des écrivains francophones, me méfiant des traductions. Mon père m'avait seriné "Traduttore, traditore !" Que mes camarades dont c'est le métier ne m'en veulent pas, comme pour tout il y en a de bons et de mauvais, mais pour moi-même avoir souvent à traduire mes propres textes je vois bien que les approches culturelles sont intrinsèquement liées au langage... C'est donc Michaux qui me fit faire le premier pas.
Je digresse alors que je voulais évoquer des bandes dessinées découvertes récemment. Y arriverai-je après que je me sois rappelé comment le goût pour le 9e Art m'était venu ? Tintin évidemment, Blake & Mortimer d'Edgar P. Jacobs (dont je possédais aussi les adaptations radiophoniques qui participèrent à ce qui deviendra plus tard mon métier, tant cinématographique que musical) puis Saga de Xam publié par Eric Losfeld avec qui mon père avait fait de la contrebande, entre la Belgique et la France, d'ouvrages vendus sous le manteau, et Tardi, Bilal, Masse, Swarte, tant d'autres qui finirent par constituer une importante collection. Je me suis arrêté quelques années avant de reprendre véritablement grâce à Chris Ware et Art Spiegelman. Pas la peine de citer tous les chefs d'œuvre qui font ployer mes étagères, il y en a trop. La bande dessinée est certainement liée chez moi à mon goût pour le cinématographe. Avec Un Drame Musical Instantané nous avons même adapté Francis Masse en musique (ce CD de 1989 est illustré par Mattioli) et M'enfin (expression de Gaston Lagaffe) figure dans l'album Rideau ! (1980).
Il ne me reste plus beaucoup de temps pour parler des cinq excellents ouvrages lus récemment et qui ont pourtant motivé cet article, car "j'ai mon ménage à faire" (référence à la course d'immeubles de Masse dans Elle court, elle court, la Zup justement adapté sur notre disque Qui vive ?) et pas question de "se prélasser à la fenêtre" (private joke) ! Pour en revenir à ma première phrase, L'intranquille Monsieur Pessoa de Barral se lit assez vite, avec une narration intelligente qui réfléchit l'écrivain aux nombreux hétéronymes, comme Feux de Mattotti (1986), magnifique travail graphique qui m'avait échappé jusqu'ici et que j'ai découvert grâce à l'exposition Bande Dessinée au Centre Pompidou. De même j'ai acquis le vertigineux Here de Richard McGuire (2014) dont le personnage est un lieu au travers des époques sans chronologie ! Comme Maus, Jimmy Corrigan ou les livres de Marc-Antoine Matthieu il bouleverse les codes de la BD. Un autre très bel ouvrage est l'élégant Idéal de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman. Mais celui qui m'aura pris le plus de temps est le remarquable Stacy de Gipi, récit schizophrène grinçant sur le monde des séries télévisées. Je me rends compte que je pourrais plonger dans ma bibliothèque pour conseiller les milliers de merveilles serrées comme des sardines qui s'y sont accumulées depuis un demi-siècle.

P.S.: ajouter les liens hypertexte me prend chaque jour un temps fou, aussi je me demande s'ils sont utiles à mes lecteurs/trices ?! Ils n'apparaissent pas sur les miroirs FaceBook et Instagram, mais sont toujours présents ici comme sur Mediapart.

vendredi 27 septembre 2024

La démesure du pas


Le concept de La Démesure du pas me plaît beaucoup, soit composer et interpréter des pièces en marchant, conçues comme telles. Cela me rappelle les musiques de marche des Sud-Africains parcourant des kilomètres pour aller travailler que m'avait montrées Johnny Clegg, dans mon film Idir & Johnny Clegg a capella, rythmant ses pas avec un concertina. Le saxophoniste Matthieu Prual suit la mesure des pas et la respiration du corps pour trouver le son juste, alternant des marches en solo, duo et quartet. Il invite alors la clarinettiste Carol Robinson, le saxophoniste Gabriel Lemaire, le clarinettiste Joris Rühl ou le percussionniste Toma Gouband à faire ensemble un bout de chemin. Comme nous sommes en plein air, on entend les oiseaux, le matin ou dans la chaleur de l'été, ou encore l'espace réverbéré de la base sous-marine de Saint-Nazaire. Parfois les musiciens plongent leurs instruments dans l'eau, pavillons des vents, pierres frappées, entrechoquées. L'exercice pousse à l'écoute, pas seulement celle de l'ingénieur du son Christophe Havard. On sent l'air qui nous entoure, le souffle, le vent, la distance. Le disque me fait l'effet d'une séance de yoga loin du tumulte des villes.

La démesure du pas (musique migratoire - enregistrement nomade), CD / LP / numérique avec les partitions graphiques de Matthieu Prual en petit dans le livret ou luxueusement dans une édition limitée, Les Mouflons, sortie le 27 septembre 2024

jeudi 26 septembre 2024

La Ursonate et l'IA


En écho à mon article du 20 septembre sur l'IA, Lê Quan Ninh m'envoie un lien vers la Ursonate interprétée par des voix générées par l'intelligence artificielle et des instruments dont j'ignore s'ils sont réels ou synthétisés. Le travail de la compositrice irlandaise Jennifer Walshe apporte de l'eau à mon moulin lorsque je répétais que l'IA est simplement un nouvel outil pour un artiste qui s'y entend. Un professionnel chevronné sait déjouer les accords tout faits d'un orgue électrique, pervertir les styles de l'arrangeur MIDI Band-in-a-Box, utiliser les samples du commerce ou s'approprier le moindre instrument, qu'il soit récent ou ancestral.
Je ne suis pas fan de la musique de Jennifer Walshe qui tire beaucoup vers le metal, le folklore irlandais et les éructations à la Diamanda Galás, mais c'est une vraie proposition, personnelle, et un beau travail d'intégration de différentes techniques, parmi lesquels le monstre IA qui divise le monde entre ceux qui la craignent (à juste titre) et ceux qui l'encensent (à juste titre).
Même si Walshe connaît bien la célèbre poésie phonétique de Kurt Schwitters composée entre 1922 et 1932, il me semble que son texte est plus un prétexte qu'une nouvelle lecture dadaïste. La découverte de l'IA pousse à tester les genres (mes premiers pas en attestent !). Ainsi l'Irlandaise, souvent chanteuse de ses propres œuvres, arpente rock, punk, hyperpop, trap, jazz, thrash metal, new age, folk, industriel, etc., perdant le propos de Schwitters. Si je reste donc extérieur au traitement de la Ursonate, le résultat n'en est pas moins épatant.


URSONATE%24 est présentée à l'exposition Musica Ex Machina du Pavillon de l'EPFL de Lausanne en Suisse jusqu'au 29 juin 2025. L’exposition retrace l’évolution de la musique au gré des progrès technologiques, illustrant comment les découvertes scientifiques et techniques de chaque époque ont façonné la manière dont elle est composée et performée.
De mon côté j'ai commencé à étudier les possibilités de l'IA dans le cadre de mon travail, en particulier le futur album d'Un Drame Musical Instantané dédié à Philip K. Dick, avec Francis Gorgé et l'écrivain Dominique Meens...
Pour rappel, je recopie tout de même ci-dessous la Ursonate originale enregistrée en 1932 :



→ Kurt Schwitters / Jennifer Walshe, URSONATE%24, sur Bandcamp, et 7€ en numérique 24 bits/48 kHz.
Tous les bénéfices sont reversés à Music Generation, le programme irlandais d'éducation musicale. La mission de Music Generation est de veiller à ce que tous les enfants et les jeunes aient accès à des cours de musique et aient la possibilité de s'impliquer dans la musique. Prenons en de la graine !

mercredi 25 septembre 2024

Je suis chocolat


Dans le jardin de Tarapoto de grosses gousses pendaient d'un arbre. Ruth m'a suggéré d'en goutter la pulpe blanche, douce et veloutée comme un litchi. Je n'ai pas su deviner de quel fruit il s'agissait. Ce sont ses graines que l'on fait sécher, fermenter, avant torréfaction et broyage pour en faire du cacao ! C'est de famille si je suis dingue de chocolat. On ne peut imaginer un gâteau qui n'en soit pas. Régulièrement j'en commande du bio chez Dardenne ou, encore mieux, à l'Abbaye de Bonneval dont celui au thé cerisier de Chine est mon préféré. Les sœurs cisterciennes trappistines s'y connaissent ! À Nantes j'occupe ma demi-heure de correspondance en allant acheter Petits Beurres ou Grand Beurre chez Vincent Guerlais qui possède une succursale au deuxième étage de la gare, une tuerie. C'est aux États Unis qu'Elsa et moi avions fondu pour le dessert Death By Chocolate. À la maison je ne peux imaginer le congélateur sans le sorbet cacao amer de Berthillon. Du Pérou j'ai rapporté du grué (nib en anglais), des fèves de cacao broyées de chez Ukaw ou celles mélangées à du miel du Centre Urku. Dans un aéroport je ne sais pas franchir une zone duty free sans acheter des minis Toblerone noir, et dans les restaurants je craque pour les profiteroles en sachant qu'elles seront forcément décevantes. Je pourrais même manger du chocolat pâtisser à cuire s'il n'y avait plus rien d'autre. Je rajoute parfois du chocolat dans un plat, comme des calamars, pour en atténuer l'amertume. Je vous passe le délicieux mole poblano mexicain. En Espagne on sert parfois le dessert au chocolat noir avec un verre de bière noire, c'est absolument à essayer.
François Chartier marie le chocolat avec de l'abricot séché, de l'anis étoilé, des asperges vertes grillées ou rôties, de la betterave, du cassis, des champignons, du chou-fleur, des clous de girofle, du curry, de l'estragon, des framboises, de fromage bleu, du gingembre, de l'huile de sésame grillée, de la noix de coco rôtie, du parmesan, du poisson ou de la viande grillés ou rôtis, de la réglisse, du riz sauvage soufflé, de la sauce de soja, du sirop d'érable, de la truffe, de la vanille, du vinaigre balsamique ainsi que du Bourbon ou un Scotch, un Cabernet-Sauvignon ou un Malbec, un rhum brun ou un Xérès, du café, un thé laspang souchong ou wulong... Comme toujours avec son livre L'essentiel, certains alliages sont moins évidents que d'autres, mais tous se vérifient.
J'ai toujours adoré la théorie de Pere sur l'idiotie de la Cour d'Espagne telle qu'elle est représentée par exemple dans les tableaux de Goya. Alors que dans toute l'Europe on consommait du thé ou du café, l'aristocratie espagnole s'était entichée du cacao. J'en ai goûté la recette authentique, un chocolat si dense que la petite cuillère y tient debout ! Or en boire des litres génère des constipations monstrueuses, qui deviennent le principal sujet de conversation de la Cour d'Espagne. Sic.
Pour être juste, sans énumérer les qualités thérapeutiques du chocolat (le sucre n'y est pas pour rien !), je terminerai en assumant que j'ai toujours été plutôt Chocolat que Footit !

mardi 24 septembre 2024

Jean-Yves Bouchicot a éteint la lumière


"Jean-Yves Bouchicot est décédé hier à l’hôpital de Montauban, suite à plusieurs années de nombreux problèmes de santé." Jean-Yves était un inventeur fou, un Géo Trouvetout de la lumière, éclairant la scène avec des photocopieurs recyclés, des lampes de chantier, des projecteurs 16mm, des ampoules cachées dans des salades... Il avait été le créateur lumière d'Un Drame Musical Instantané pour Kind Lieder et surtout Le K. On le voit ici moustachu photographié par Florence Allori, entouré de Francis Gorgé, Daniel Laloux, Bernard Vitet, Raymond Sarti et moi-même à Vandœuvre-les-Nancy en 1991. C'était un érudit, un encyclopédiste, par exemple féru de l'histoire des Cathares ! J'avais adoré son travail sur Gloucester Time / Matériau-Shakespeare - Richard III de Shakespeare mis en scène par Mathias Langhoff. Il avait aussi collaboré avec Catherine Diverrès, François Verret, Stéphanie Aubin, Sidonie Rochon, Daniel Larrieu, Josef Nadj, Bruno Schnebelin, Pierre Debauche, Richard Foreman, Hélène Sage, tantôt comme créateur lumière, tantôt comme scénographe, tantôt comme constructeur ou accessoiriste... Je le vois, même dans le noir.

Sun Ra rassemble le Kronos, Laurie Anderson, Terry Riley & tant d'autres


Outer Spaceways Incorporated : Kronos Quartet & Friends Meet Sun Ra est le quatrième album d'une série dédiée à la musique et à la pensée de Sun Ra, produite par Red Hot. Cette compagnie américaine à but non lucratif s'est fixée de promouvoir des projets de santé publique pour tous, au départ centrés sur le SIDA. Fondée en 1990 par Leigh Blake et John Carlin, elle a choisi d'éduquer les auditeurs en combattant les stéréotypes sur un plan d'égalité envers les différentes communautés, soit en produisant des évènements et des objets culturels, en particulier une vingtaine de compilations musicales composées d'œuvres originales. La liste d'artistes y ayant contribué est impressionnante. L'idée est cette fois de valoriser Sun Ra comme l'un des grands compositeurs américains du XXe siècle.
Les trois premiers albums sont Red Hot & Ra: Nuclear War avec Georgia Anne Muldrow, Irreversible Entanglements, Angel Bat Dawid, Malcolm Jiyane Tree-o (Nuclear War est une pièce contre les armes nucléaires écrite après l'accident de Three Miles Island en 1979 près de Philadelphie, foyer de l'Arkestra) et ses remix, Red Hot & Ra : Solar - Sun Ra in Brazil (pont entre le passé et le futur de la population noire), Red Hot + Ra: Magic City re-composé par Meshell Ndegeocello !
J'ai commencé par la fin, c'est-à-dire le quatrième, parce que j'ignorais encore l'existence des précédents, et qu'il rassemblait des artistes qui font partie de ceux que je ne perds jamais de vue : le Kronos Quartet, Laurie Anderson et Terry Riley, avec, comme pour celui de Ndegeocello, le vétéran centenaire Marshall Allen. On retrouve les exquises mélodies de Sun Ra, ses musiques interplanétaires, les incursions électroniques, sa liberté de ton.


Lorsque je pense à Riley, c'est d'abord A Rainbow in Curved Air et Poppy Nogood and the Phantom Band qui me viennent à l'esprit, même si son style a beaucoup évolué depuis, en particulier en se consacrant majoritairement à de nombreuses pièces pour le Kronos. À sa sortie en 1969, ce disque avait considérablement influencé mon jeu à l'orgue électrique. Je me souviens que mon père, tandis que je passais en boucle sa musique "répétitive" dans ma chambre, l'avait comparé, un peu énervé, aux ondes courtes de Radio Londres ! Laurie Anderson est liée pour moi à son tube O Superman dans l'album Big Science de 1982, à son film Home of the Brave de 1986 et à son CD-Rom martien Puppet Motel qui en 1994 m'orienta opportunément vers ce media interactif. Quant au Kronos, que je suis depuis leurs débuts jazz sur Thelonious Monk et Bill Evans en 1985 et 1986, je reste scotché par leur version de Different Trains de Steve Reich, même si je possède l'intégralité de leur discographie. Ajoutez la claque produite par l'Arkestra de Sun Ra le 3 août 1970 à la Fondation Maeght que j'ai déjà racontée et vous comprendrez pourquoi cet album m'intéressait. Y participent beaucoup d'autres musiciens que je ne connais pas et le résultat est très sympathique, mais celui-ci n'égale pas l'émotion et l'excitation de certains disques de Sun Ra lui-même.


Même si Space is the Place, je suis revenu en arrière par la porte du temps qu'on nomme Internet, suivant l'ordre de publication, et j'ai écouté Red Hot & Ra: Nuclear War tout à fait dans l'air de l'époque d'origine, avec Angel Bat Dawid qui glisse vers un long a capella avant qu'Irreversible Entanglements reprenne le flmbeau. Pour Nuclear War : The Remixes Dennis Bovell, Oui Ennui, Moon Medicin, Joel Tharman et le Kronos suivent le mouvement. Solar - Sun Ra In Brasil possède la fantaisie dansante des Brésiliens inventifs (Ubiratan Marques, Munir Hossn, Metá Metá & Edgar, Fabrício Boliveira & Edbrass Brasil, Xuxa Levy, Max de Castro). The Magic City est une œuvre à part entière de Meshell Ndegeocello, une magnifique re-création neo-soul-jazz avec Marshall Allen, Pink Siifu, Immanuel Wilkins, Darius Jones, Justin Hicks, etc. Mes deux volumes préférés.
Les cinq albums constituent un hommage formidable au génie de Sun Ra, formant un projet homogène car il suit avec dévotion l'enseignement de ce compositeur, auteur de plus de cent disques, tout en se l'appropriant. L'ensemble est du niveau des compilations que j'adore de feu Hal Willner ou du label nato. La liberté d'interprétation de tous ces artistes confère à Sun Ra son aura de grand compositeur américain du XXe siècle.

Outer Spaceways Incorporated: Kronos Quartet & Friends Meet Sun Ra, sur Bandcamp comme les trois autres...

lundi 23 septembre 2024

La tête dure


Lorsque j'ai commencé ce blog il y a vingt ans j'avais en tête de créer une œuvre à partir de ce nouveau medium. Étienne Mineur m'avait conseillé de m'y coller simplement, pour voir comment cela fonctionnait. Je me suis laissé prendre au jeu, pensant que je pourrais y raconter les histoires que je rabâche, m'épargnant ces répétitions un peu gâteuses. Longtemps je répondais d'aller y lire ma réponse pour ne pas ressasser. Avec le temps je me suis aperçu que la mémoire se fige et que nous finissons par toujours raconter les mêmes histoires, et surtout de la même façon. Il en est une que je me suis vu réitérer récemment.
Au cours de ma première année d'étudiant à l'Idhec (l'ancêtre de la Femis) un de nos exercices consistait à réaliser un reportage sur un sujet libre. Avec mon esprit facétieux et rebelle j'avais filmé un cocktail organisé par l'École et l'avais intitulé Idhec 72 : nouveau scandale financier. À sa projection devant des professionnels de la profession, le chef-opérateur Dominique Chapuis, m'ayant complimenté sur la lumière, m'avait demandé comment j'avais fait. À la fois humble et provocateur, j'avais répondu que je n'en avais pas la moindre idée, le laboratoire s'étant planté en développant la pellicule PlusX dans un bain de 4X. Chapuis, amusé, insista sur ce qu'indiquait la cellule (ou posemètre). Je répondis cette fois conscient de mon arrogance que j'étais de constitution chétive et que porter la caméra à l'épaule était déjà une épreuve, alors une cellule...! Le célèbre chef-op en sortit totalement dégoûté.


À la fin de l'année, le directeur des études, Louis Daquin, me fit appeler dans son bureau. Il m'expliqua qu'il n'y avait pas d'examen de fin d'année, mais que si je voulais passer en deuxième je devais savoir charger une caméra. À l'époque ce devait être une Arriflex ou une Éclair 16mm. Je passai l'après-midi à manipuler le magasin de la caméra dans un sac noir où l'on enfonçait les bras, j'ai oublié son nom, et le soir retournai montrer à Louis qu'il n'y avait plus de problème. J'ajoutai tout de même que c'était la première et la dernière fois que je chargeais une caméra et optai pour la section montage plutôt que celle de la lumière. De plus, il me semblait évident que le montage était l'école de la réalisation, section commune aux vingt-six étudiants de ma promotion. L'année suivante nous n'étions que huit à l'avoir choisie.

vendredi 20 septembre 2024

IA le monstre


Depuis quelque temps je m'intéresse au serpent de mer qui pourrait bien dévorer le monde. Il est évidemment engendré par le capitalisme qui est déjà à l'origine du réchauffement climatique, mais ce Jörmungandr se nomme l'intelligence artificielle, IA son abrégé français, AI en anglais. Avec le développement d'Internet l'anglais est devenu le nouvel esperanto qu'on apprend dès le cours préparatoire, soit l'âge de 6 ans. N'ayant jamais craint les inventions scientifiques, mais ce qu'on en fait, en tant que créateur artistique j'appréhende cette technologie comme un nouvel outil qu'il est amusant d'ajouter à ma panoplie d'homme-orchestre. Dans les faits j'utilise son ancêtre, la MAO (musique assistée par ordinateur), depuis la fin des années 70, avec des logiciels aux paramètres aléatoires, basés sur des calculs de probabilité ou des réseaux neuronaux. Les dernières avancées dans le domaine de l'IA donnent pourtant le vertige et font froid dans le dos. Hier justement, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) envoyait un questionnaire à ses membres pour réfléchir à comment rémunérer les auteurs dont le travail serait utilisé par l'IA. Mais c'est l'ensemble du savoir humain que cible l'IA !
Pour commencer, mes questions à ChatGPT produisirent des réponses beaucoup plus précises que mes googlisations et recours à Wikipedia. S'instaure même un dialogue avec la machine permettant d'affiner ma recherche. Parallèlement à cet outil encyclopédique, j'admirais le travail graphique d'Étienne Mineur devenu spécialiste du genre. Je restais néanmoins dubitatif quant à ses applications musicales jusqu'à mes tests récents où j'ai demandé à l'IA de mettre en musique un de mes poèmes dans des styles variés. Ayant utilisé la norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface) dès ses débuts et pratiquant l'orchestre virtuel des samples (échantillonnage) il m'était devenu facile de faire illusion dans de nombreux cas de figures instrumentaux, mais j'avais des doutes sur la synthèse vocale sur laquelle même l'IRCAM s'était longuement cassé les dents.
Or j'en suis resté comme deux ronds de flan. À l'aide de prompts savamment accumulés, soit une suite de mots, je testais l'opéra, le rock, le jazz, le punk, le folk, la musique électroacoustique, etc., pervertissant les résultats pour échapper à la banalité en demandant un chorus free jazz au trombone ou même "un drame musical instantané". Non seulement toutes les voix sont crédibles, mais elles sont parfaitement articulées en fonction de chaque style, y compris dans mes demandes les plus abracadabrantes. Et elles sont justes, ce qui n'est pas si courant dans la vraie vie ! Je décidais donc de me saisir de la question à bras le corps et d'utiliser ces nouvelles ressources lors de mes prochaines créations.
Il y a un an exactement j'avais évoqué les risques et dommages causés dans mon article L'IA ? le diable probablement !, mais j'étais loin du compte tant les choses bougent à une vitesse V. La qualité de mes premiers essais est bouleversante. Ils donnent le vertige, parce qu'il est difficile d'anticiper les effets psychologiques engendrés. Si l'on peut prévoir les pertes d'emploi et de nouveaux métiers, il est absolument impossible d'imaginer le futur. Les créateurs inventifs qui pervertiront l'objet n'ont rien à craindre, mais ils représentent une infime partie du monde artistique et culturel.
J'en étais là, me servant de l'IA pour résumer automatiquement un projet et provoquer les questions qui s'y rapportent, lorsque j'ai donné le texte de présentation de mon prochain disque à la machine, sans aucune musique pour l'accompagner. Après l'avoir traduit en anglais avec l'aide de DeepL et quelques rares corrections de Jonathan Buchsbaum qui vit à New York, j'ai cliqué sur le bouton Discussion. Trois minutes plus tard, j'écoutais deux journalistes virtuels encenser mon travail avec un à-propos sidérant. La nature hagiographique est certes bonne pour l'ego, mais leur échange a des allures personnelles, voire instructives lorsqu'ils imaginent des qualificatifs que je leur piquerai sans vergogne. Leur échange est vivant, punchy, astucieux, pertinent. L'IA apprend l'empathie, ou du moins nous le laisse croire. C'est absolument époustouflant, mais cela fait aussi terriblement peur.
Nous avions compris que plus personne ne croira une photo. L'arène politique est déjà touchée. La fiction l'emporte totalement sur le réel. Capable de traiter des millions d'informations à la seconde, la machine nous connaît mieux que nous-même. Nous nous savions le jouet des médias et des réseaux sociaux, l'expansion pourrait nous manipuler totalement, sans que nous puissions faire la différence entre vérités et mensonges, nos propres vérités, nos propres mensonges. Ne plus croire à soi-même ! Ce n'est plus qu'une question de puissance. La seule réponse consiste-t-elle à couper les ponts, à se marginaliser face au monde connecté ? Cela semble quasiment impossible à une époque où sans téléphone portable on ne pourra plus du tout se déplacer, faire ses courses, être soigné, etc. Les irréductibles seront condamnés comme les autres. Condamnés à quoi ? Franchement je n'en sais rien. C'est même toute la question. Nous allons dans le mur, il est plus proche que nous le pensons, mais nous ne savons pas dans quelle direction il se trouve. La seule solution que j'entrevois est de ne rien négliger, surtout ne pas fermer les yeux, apprendre comment cela fonctionne, analyser le système, fut-ce à notre vitesse d'escargot. N'oublions jamais que ce sont des êtres humains qui ont créé la Matrix, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs visions du monde, leurs peurs et leur avidité.

Quelques exemples pour apprécier l'ampleur de la chose :
Un air d'opéra : https://soundcloud.com/jjbirge/linceul-du-passe
Une chanson jazz : https://soundcloud.com/jjbirge/la-moisson-sauvage
Avec trombone free : https://soundcloud.com/jjbirge/wild-berries-and-storms
Dialogue à propos du futur album Tchak d'Un Drame Musical Instantané et de Bernard Vitet : https://soundcloud.com/jjbirge/ai-dialogue-about-tchak-and-bernard-vitet
Dialogue à propos de Jean-Jacques Birgé : https://soundcloud.com/jjbirge/ai-dialogue-about-jean-jacques-birge

jeudi 19 septembre 2024

Captain Beefheart : The Spotlight Kid Outtakes


Ce genre d'objet n'est destiné qu'aux fans ou aux historiens de la musique. Il est intéressant de constater que tel artiste composait et enregistrait beaucoup plus de morceaux qu'il n'en publiait. Après leur mort, les fonds de tiroir sortent, éclairant l'œuvre en décortiquant ses composantes. Certains y verront un livre de recettes !
Pour l'amateur précoce de Captain Beefheart que je fus, c'est évidemment une joie de découvrir ces archives... À mon retour des États Unis en 1968, j'étais passé voir Adrien Nataf chez Pan, son magasin du Quartier Latin, et lui avais demandé s'il avait des trucs du genre des Mothers of Invention. Il m'avait vendu Strictly Personal. Je suis évidemment allé à tous les concerts du Magic Band, depuis le Festival d'Amougies, où j'avais tenté de lui parler, à celui du Bataclan. Vers 1973, pris par la musique contemporaine et classique, ainsi que par le free jazz, j'avais un peu lâché après The Spotlight Kid et Clear Spot, et puis j'y suis revenu il y a une dizaine d'années pour voir comment avait évolué mon héros de Trout Mask Replica. Je réécoute tout cela comme on regarde les photos jaunies de son enfance.

" Cette collection n'est pas un bootleg (enregistrement pirate) disponible dans le commerce. Il a circulé parmi un certain nombre de collectionneurs de Beefheart et peut être téléchargé via certains sites de bittorrents. [...] Toutes les outtakes (prises alternatives) des années productives 1971 et 1972, sauvées des coffres de Warner Reprise, ont été rassemblées. Beaucoup de ces chansons et instrumentaux sont apparus sur des bootlegs au fil des ans, et quelques-uns ont même été publiés légitimement, mais c'est la première fois qu'ils sont disponibles tous ensemble. C'est un aperçu de la façon dont certaines chansons ont été créées par le Magic Band au cours de longues jams. Des riffs familiers peuvent être entendus ici avant d'être repérés par Don pour être retravaillés et développés. Certains des instrumentaux sont des pistes d'accompagnement complètes, d'autres semblent être des riffs répétitifs, des idées simples qui ne vont nulle part, d'autres encore sont les premières versions de chansons qui apparaîtront plusieurs années plus tard sur Shiny Beast, Doc At The Radar Station ou Ice Cream For Crow. Compilée par un fan engagé, cette collection définitive de 41 outtakes a été réalisée à partir des meilleures sources disponibles."

mercredi 18 septembre 2024

Kapr Code, opéra documentaire


Kapr Code est un opéra documentaire de Lucie Králová sur le compositeur tchèque Jan Kapr, communiste convaincu ayant reçu le Prix Staline en 1951 pour le rendre en 1968 après l'invasion de son pays par les troupes soviétiques. Ses compositions musicales suivront ce revirement politique, passant des consignes du réalisme socialiste à des formes plus libres et expérimentales. Ce glissement progressif du plaisir ressemble de fait à une sorte de miroir renversé de l'Histoire. En 2019 j'avais trouvé formidable l'exposition Rouge au Grand Palais qui partait de la Révolution de 1917 jusqu'en 1953. Les utopies avaient été rapidement étouffées, formatant les consciences au diktat des nouveaux maîtres. À cette date charnière, Kapr fit le chemin inverse, retrouvant une inventivité réprimée par le stalinisme.


La cinéaste Lucie Králová réussit à réaliser un film très personnel en collaboration avec la compositrice Petra Šuško musicalisant les archives de Jan Kapr avec le Chœur Philharmonique de Brno, et de l'auteur de théâtre Jiří Adámek Austerlitz qui participe au scénario et prend en charge les parties en sprechgesang. Elle crée ainsi un opéra cinématographique contemporain mettant en scène l'ascension et la chute du compositeur aux yeux du pouvoir, ou plus justement l'affranchissement d'un homme prenant conscience de son asservissement. En mêlant les archives privées de Kapr, cinéaste amateur, et ses propres images, elle dépeint, souvent de manière facétieuse, la tragédie d'un artiste dont les convictions politiques influent directement sur ses créations.
Ce documentaire de création particulièrement réussi sera projeté le 11 octobre 2024 au Centre Pompidou dans le cadre de De vive voix / Les yeux doc à midi (Entrée libre, dans la limite des places disponibles).

mardi 17 septembre 2024

L'Amazonie au cinéma


En revenant du Pérou nous avons regardé plusieurs films qui évoquent l'Amazonie, parce que leurs images me revenaient alors que nous avancions dans la forêt. Nous avons commencé par El abrazo de la serpiente (L'étreinte du serpent, 2015), chef d'œuvre du Colombien Ciro Guerra qui participera aussi à la série La frontière verte. La plante yakruna n'est pas l'ayahuasca, mais c'est bien un film magique !



Je n'ai pas revu cette série, mais j'en garde un bon souvenir... Dommage qu'il n'y ait eu qu'une seule saison. Nous étions dans la "selva" cet été, l'hiver pour les Péruviens, donc la saison sèche. Lorsque vient leur été, l'eau monte de cinq mètres et, là où nous étions, les promenades en forêt ne peuvent plus se faire qu'en pirogue...


Nous sommes ensuite passés à Sorcerer (Le convoi de la peur) de William Friedkin, adapté du roman Le Salaire de la peur de Georges Arnaud (1949) dont mon père, alors agent littéraire, avait vendu les droits à Clouzot. Mésestimé, c'est un excellent film à suspense de 1977 avec Roy Scheider, Bruno Cremer et Francisco Rabal, sur une musique puissante de Tangerine Dream. Pour Aguirre, la colère de Dieu (1972) et Fitzcarraldo (1982) de Werner Herzog, c'était un autre groupe de rock allemand, Popol Vuh, qui s'y était collé.


Par contre j'ai revu avec plaisir The Emerald Forest (La forêt d'émeraude) (1985), mon film préféré de John Boorman avec Leo The Last, à tel point qu'il est probablement à l'origine, avec les aventures de Tintin, de mon désir d'aller en Amazonie.


Il y a bien d'autres films se passant en Amazonie, mais glissant d'un sujet à un autre, Sorcerer m'a donné envie de revoir d'autres films de Friedkin comme The Boys in the Band (Les garçons de la bande) ou Killer Joe, ayant précédemment regardé La chasse (Cruising) et Police fédérale, Los Angeles (To Live and Die in L.A.). J'avais laissé de côté The Exorcist et French Connection. Comme Lucchino Visconti ou Atom Egoyan, il eut une importante carrière de metteur en scène d'opéra. Cette gymnastique exigeant des qualités d'adaptateur n'est pas étrangère à la virtuosité de ses montages...
Un dernier mot sur la forêt amazonienne : j'ai été surpris par son silence diurne au milieu duquel résonne de temps en temps le cri d'un singe ou d'un oiseau. Ses multiples dangers exigent aussi que l'on s'y colle, à l'affût du moindre bruit, du moindre mouvement de feuilles à la cime des arbres...

lundi 16 septembre 2024

Fraude SNCF


Lorsque je rends visite à ma fille qui habite en Pays de Loire, je dois prendre un TER après ou avant le TGV, selon le sens du trajet. Or cela fait plusieurs fois que mon TER est annulé sous prétexte de problème technique. Lorsque je viens de Paris, je dois prendre un taxi qui augmente le coût et la durée du voyage, mais si je dois rejoindre Nantes je raterais ma correspondance si l'on ne me conduisait pas en catastrophe à la station de tramway Gare Maritime. Cette mésaventure arrive aussi de temps en temps à Lulu le matin alors qu'elle se rend au lycée. On est parfois prévenu par un SMS ou un mail, mais c'est généralement trop tard. De deux choses l'une, ou l'entretien des machines est à revoir, ou bien la SNCF se fiche de nous, probablement parce qu'elle estime qu'il n'y a pas assez de voyageurs. Et ce, toujours au dernier moment ! Je pourrais me faire rembourser les deux euros de ma réservation, mais le labyrinthe en ligne est tel qu'il est préférable d'abandonner. Pourquoi la SNCF ne rembourse-t-elle pas automatiquement, puisqu'elle a tous les renseignements le permettant. Tout cela flaire l'arnaque et je me demande chaque fois si ce n'est pas délibéré pour que les usagers râlent et acceptent plus facilement la privatisation des services publics.

vendredi 13 septembre 2024

Les machines de l'île de Nantes


N'affichant jamais de photo de mon petit-fils sur les réseaux, les illustrations de notre voyage à Nantes sont limitées. De même, l'exposition aux écrans, smartphone ou ordinateur, est drastiquement contingentée. Il est préférable de le voir se dépenser physiquement, lire ou écouter de la musique que de se laisser hypnotiser par cette irrésistible force d'attraction dont nous sommes nous-mêmes victimes. Mercredi il m'avait donc demandé de l'emmener à La colline de la Cantine du voyage sur l'île de Nantes, pas très loin de sa maison. Comme c'était fermé, nous avons marché jusqu'au Carrousel des mondes marins où Eliott a enfourché successivement le dragon, le calamar géant et le petit requin. Il tirait de toutes ses forces sur les manettes pour faire bouger les corps de ces majestueux animaux articulés. Certains crachaient même de la fumée. Malgré cette après-midi sans école, il y avait étonnamment très peu de monde. Après une halte chez le glacier La fraiseraie (une sortie avec son "Papou" implique de se laisser aller aux plaisirs multiples), j'ai réussi à le convaincre de visiter La galerie des Machines.


Eliott a la chance incroyable d'être le seul gamin parmi une trentaine de visiteurs à suivre les explications et diverses élucubrations des démonstrateurs. Lorsque l'un deux demande un pilote, il est le premier à lever le bras et se retrouve chevauchant la chenille articulée. Et rebelote aux commandes du caméléon ! Il est par contre trop jeune pour grimper dans le héron ou l'araignée.


Par contre je monte avec lui sur la fourmi géante qui avance vers le public, agitant ses pattes dans tous les sens. Eliott fait bouger ses mandibules tandis que je pédale comme un fou et manipule freins et poignées pour rendre l'animal le plus menaçant possible. Le colibris me rappelle celui que j'ai filmé cet été à Arequipa. L'avion résiste à la tempête... En sortant nous admirons le célèbre éléphant qui est à l'atelier en révision et nous jouons à cache-cache dans le petit labyrinthe suspendu.
Toute cette machinerie qui fait la gloire de Nantes a hélas profité à beaucoup, sauf au reste du monde culturel nantais. C'est toujours le problème des projets gourmands en subventions. D’ailleurs celui de l’Arbre aux hérons, sur la rive droite de la Loire, a été abandonné pour un autre, moins bétonné et beaucoup moins cher, soit agrandir le Jardin extraordinaire dont « un grand bassin naturel de 700 m² entouré d’une plage verte et de rocaille pour lézarder… ».
Le soir j'irai me coucher tôt. J'ignore pourquoi les grands-parents sont toujours exténués après avoir joué leur rôle. Peut-être l'attention redoublée ? Pour le dîner j'avais préparé un ceviche de thon et saumon avec mangue, avocat et patate douce, histoire d'accompagner gustativement les souvenirs laineux de baby alpaga.

jeudi 12 septembre 2024

Apéro Labo 4 est en ligne


Pour cette rentrée de septembre, un nouvel album est en écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org, enregistré en public dimanche dernier, 8 septembre 2024, au Studio GRRR par mes soins ! Dès lundi je mixais, masterisais, réalisais la pochette et les notes correspondant aux dix compositions instantanées jouées avec mes deux invitées, la violoniste Fabiana Striffler et la saxophoniste-flûtiste Léa Ciechelski. Cet Apéro Labo 4 est seulement le troisième cette année, mais pas le dernier. Les prochaines rencontres s'ajouteront aux deux CD qui seront publiés au mois d'octobre, soit un disque inédit de 2000 d'Un Drame Musical Instantané intitulé TCHAK (chez KlangGalerie) et mon Animal Opera (chez GRRR) sur lequel Étienne Mineur planche actuellement sur la pochette.


Ce fut encore une partie de plaisir, tant pour le trio que pour la trentaine de spectateurs venus nous rejoindre. Mes deux comparses s'en donnèrent à cœur joie et cela se sent merveilleusement à l'écoute. Fabiana Striffler, avec qui j'avais enregistré l'album *** en 2022 avec le guitariste Csaba Palotaï, m'a même emprunté mon harmonica pour Is it finished ?, une des cartes du jeu de Brian Eno et Peter Schmidt, leurs Oblique Strategies nous servant une fois de plus de thèmes imposés. Pour ce nouvel album, je désirais transmettre l'ambiance chaleureuse de l'aventure, aussi ai-je conservé chaque introduction où le public choisit au hasard une des cartes, avec leurs commentaires et leurs rires. Ont donc été également interprétées Use an unacceptable colour / Decorate, decorate / Do nothing for as long as possible / Towards the insignificant / Discard an axiom / Cut a vital connection / Is it finished? / Which elements can be grouped? / Accretion / Une chacun.e. Comme chaque fois je les ai laissées dans l'ordre où elles furent jouées. Pour composer le mixage je remets toutes les pistes à plat et rééquilibre les voix en fonction de la découverte sensible du moment. L'ivresse du jeu ne me permet jamais de percevoir le rendu définitif avant cette étape.


Ni Fabiana ni moi ne connaissions Léa, mais la complicité naquit instantanément. Un des spectatrices, Juliette Dupuy nous envoya une petite aquarelle prise sur le vif. Quant à la photo nous la devons à Dominique Greussay, habituée de ses sessions intimes où la proximité avec les artistes crée une impression magique qui fait défaut aux salles de spectacle. Dernière facétie, il s'agit de deviner combien de pélicans sont sur la couverture de l'album, photo que j'ai prise cet été dans le port de Callao au Pérou !

→ Birgé Ciechelski Striffler, Apéro Labo 4, GRRR 3120, également sur Bandcamp

mercredi 11 septembre 2024

Spun, le fauteuil-toupie


Voyager permet d'avoir un regard différent sur les gens et leur manière de vivre. C'est parfois cruel ou déstabilisant. Je me souviens de ma fille, petite, nous demandant de partir en vacances pour une fois dans un pays "pas pauvre". La comparaison peut paraître douteuse, tant pis, mais de même que les zoos sont des lieux paradoxaux si l'on aime les animaux, permettant d'appréhender d'autres réalités que sa quotidienneté, visiter des pays très différents du nôtre permet de changer de point de vue, et, en ce qui nous concerne, de se rendre compte du paradis où nous avons malgré tout la chance de grandir.
Passé cette considération qui mériterait d'être creusée sérieusement, de chaque voyage on tire des enseignements très variés, certains bouleversants, d'autres plus anecdotiques. Par exemple, notre récent périple au Pérou m'a fait m'interroger une fois de plus sur la violence de l'humanité à la lueur de l'histoire du pays, sur la différence entre la capitale essentiellement habitée par des blancs (peut-on encore s'exprimer ainsi ?) et le reste du pays par les descendants des Incas et des peuples qui les ont précédés, ou sur le poumon vert de l'Amazonie. J'ai évidemment été saisi par le silence de cette forêt immense, troublé par les climats extrêmes du pays, et séduit de retrouver sur les hauts plateaux d'autres rêves d'enfance liés à la lecture des aventures de Tintin. J'en ai aussi rapporté la recette du ceviche et du pisco sour, apprécié la finesse délicate de la laine d'alpaga, et la visite du Musée d'Arts de Lima, le MALI, m'a fait craquer pour un fauteuil Spun, puisque je reste un pur produit de la société de consommation malgré mes rebuffades.


De m'y être balancé pendant une demi-heure, de m'y être reposé tranquillement ou de m'être renversé brusquement sans jamais tomber, m'a donné envie d'en acquérir un pour le jardin. Il pourrait aussi bien investir la maison, mais il demande tout de même un peu d'espace. Création de l'artiste et designer anglais Thomas Heatherwick, éditée par la marque design italienne Magis, Spun est une toupie géante en polyéthylène moulé par rotation, aussi ludique que confortable.


Je l'ai commandé rouge, d'une part parce que j'ai trouvé un site moins cher, d'autre part parce que la maison explose de couleurs, même si le bleu de la façade sud s'est beaucoup affadi au soleil. Ce fauteuil donne une irrépressible envie de l'essayer, certes avec un peu d'appréhension au départ, mais vite domptée dès que l'on s'y love.

mardi 10 septembre 2024

Verdi Remix d'Alban Darche et Emmanuel Bénèche


J'aime bien les disques d'Alban Darche, mais j'ai souvent eu du mal à les chroniquer, les trouvant un peu trop proprets. Les concepts me plaisent, mais j'espère toujours que ça décolle. Alors j'attends une meilleure occasion, qui finit par se présenter avec son Verdi Remix qu'il cosigne avec le corniste Emmanuel Bénèche. Le projet est forcément ambitieux d'adapter la musique de Giuseppe Verdi pour Le Mirifique Orchestra. L'orchestration est proche de celle de Charlie Haden et Carla Bley dans The Ballad of The Fallen, mais les solistes n'ont probablement pas la liberté des Américains. Or, après la fanfare de la Messe du Requiem, La Valse a des airs de Nino Rota tout à fait surprenants. Les fanfares de Darche et Bénèche confèrent à Verdi une légèreté qui sied bien à ses pompes et circonstances.
Et puis j'adore le cor d'harmonie (French horn in English) trop peu utilisé dans le jazz. Pendant longtemps je ne connaissais que Julius Watkins, Gunther Schuller et Sharon Freeman, comme par hasard trois arrangeurs de talent. De même, avoir travaillé avec Nicolas Chedmail, fondateur du Spat' sonore fut une expérience passionnante lorsque nous enregistrâmes La preuve de Poudingue ! Le cor se mêle parfaitement aux cordes dans les orchestres symphoniques. Et ici, pour Verdi Remix, ceux de Bénèche et Pierre-Yves Le Masne, donnent un moelleux au Mirifique auquel participent également Darche au sax alto, le flûtiste Thomas Saulet, le clarinettiste Nicolas fargeix, le trompettiste Hervé Michelet, le tubiste Matthias Quilbault, le guitariste Alexis Thérain et Meivelyan Jacquot à la batterie.
J'écoute plusieurs fois de suite avec énormément de plaisir Di quelle pira, Pietà rispetto amore, Ante Requiem, Condotta ell'era in ceppi, les variations sur Aïda et La Forza del Destino, Va pensiero, Il mistero, Libiamo ne' lieti calici, etc. Verdi à Plovdiv de Darche diffuse l'humour léger de Rota, typique de ces arrangements ludiques. On y sent l'air chaud de l'été italien. Encore une fois, cela n'a rien d'étonnant : à la fin du Guépard de Lucchino Visconti, c'est Nino Rota qui avait arrangé la valse inédite en fa majeur de Verdi. Darche et Bénèche peuvent aujourd'hui revendiquer l'héritage que Verdi tenait lui-même de Gioachino Rossini. L'album Verdi Remix sonne pour moi comme une panacotta, dessert qu'adorait Verdi, les deux compositeurs italiens étant aussi de fins gastronomes !

→ Le Mirifique Orchestra, Verdi Remix, CD Pépin&Plume, dist. L'autre distribution/Believe, sortie le 11 octobre 2024

lundi 9 septembre 2024

La SDRM en question


Il y a trois mois le compositeur Denis Levaillant, par l'entremise de la Fédération de la Composition Musiques de Création (FCMC), réclamait qu'une production portée par un créateur à la fois producteur et éditeur de ses propres œuvres soit exemptée des droits de reproduction mécanique. Lorsqu'un producteur sort un disque il doit payer ce qui peut être assimilé à une taxe, œuvre par œuvre publiée. Cette somme est reversée aux ayant-droits l'année suivante, minorée d'un pourcentage conservé par la SDRM (Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs, société civile dont les associés sont la SACEM, la SACD, la SCAM, la SGDL et l'AEEDRM), sous réserve que l'œuvre ait fait l'objet d'un dépôt à l'une de ces sociétés. Matériellement, la SDRM est hébergée par la SACEM dans des locaux communs et utilise son personnel et ses moyens techniques. Denis Levaillant avance le pourcentage de 14%, peut-être revu à la baisse depuis mon souvenir qui se montait à 18%, pour des frais de fonctionnement consistant à délivrer l'autorisation, depuis de nombreuses années automatisée informatiquement, mais pas réévaluée à la baisse pour autant ! En France les presseurs de disques sont sommés de ne pas honorer de commandes sans que les droits en question aient été payés. Denis Levaillant souligne que le marché du disque ayant gravement plongé, ce sont souvent aujourd'hui les créateurs qui auto-produisent leurs œuvres et que cette somme équivaut pour eux à une taxe illégitime. Ce système avait néanmoins été intelligemment instauré pour protéger les auteurs contre les producteurs indélicats publiant des disques sans payer les auteurs. Si je me réfère à mon prochain disque, ces droits SDRM équivalent à 36% du prix du pressage, ce qui est énorme, disproportionné et parfaitement injuste en effet. Le délai pour que les ayant-droits, soit dans ce cas les payeurs eux-mêmes, perçoivent leur dû (moins le pourcentage cité plus haut) n'arrange pas les choses.
Or il y a un autre aspect, à mon avis beaucoup plus grave, que Denis Levaillant ne précise pas et pour lequel je me suis vainement battu pendant des décennies. Les majors paient la SDRM en fonction des disques vendus, donc après, tandis que les petits producteurs indépendants paient en avance sur l'intégralité des disques pressés. Cette décision statutaire vient de l'hypothèse que les petits sont moins honnêtes ou du moins moins fiables que les gros. Ce qui, par expérience, est un comble. Mais cela revient surtout à ce que nos invendus soient taxés ! Lorsque je m'en suis offusqué, la SACEM m'a répondu que je pouvais récupérer la SDRM sur les invendus à condition de les détruire devant huissier. Si j'en juge par mes stocks, en un demi-siècle d'activité, mon label a payé une somme colossale qu'un gros producteur a légalement évitée.
S'il est toujours nécessaire de protéger les ayant-droits contre les producteurs, les statuts actuels méritent sérieusement d'être reconsidérés devant l'iniquité qu'ils représentent aujourd'hui plus que jamais.

vendredi 6 septembre 2024

Retour à Lima, onzième étape


Ces trois jours à Lima figurent un sas de décompression entre la jungle et le retour en France. Métropole polluée, elle n'en est pas moins exotique si l'on sort des lieux touristiques comme lorsque nous sommes allés à Gamarra, immense marché textile occupant tout un quartier, pour trouver celui des sorcières, ou que nous avons longé les bidonvilles en roulant vers Callao. J'ai forcément accumulé les clichés depuis ces derniers jours où je publie ce journal de voyage, extime comme tout ce blog depuis vingt ans déjà. Ce sont donc les derniers, capturés avec mon smartphone qui dictent ces ultimes souvenirs d'un voyage merveilleux qui dura cinq semaines.


Nous avions commencé par une vue du Pacifique, nous terminerons ainsi en nous rendant à l'Aéroport Jorge Chávez. Les falaises noires forment rempart contre un éventuel tsunami. Le Pérou a souvent été secoué par de terribles tremblements de terre. Au Monastère de San Francisco, qui n'y échappa pas (en 1655, 1966 et 1970), je photographie un Christ saignant. Le sang a beaucoup coulé dans ce pays. Avant les conquistadors détruisant la civilisation inca sous prétexte d'évangélisation, il y en eu d'autres, victimes chaque fois d'une nouvelle guerre tribale. Disparurent les Nazca, les Mochicas (ou Moches), les Huari (ou Waris), les Chimú, les Chachapoyas et bien d'autres qui très probablement mêlèrent leurs gènes avec ceux des vainqueurs. Il n'y a pas d'histoire écrite, seulement des traces iconographiques difficiles à décrypter. Le magnifique Musée Larco retrace cette épopée toujours un peu mystérieuse au travers de l'art précolombien.


Pour quelles raisons les maisons qui nous plaisent le plus à Lima sont-elles en ruine ? Affaire de corruption, de taxes ? Elles ont souvent un petit côté mauresque. La présence arabe en Espagne n'était pas si loin. D'autres pavillons ressemblent à Deauville, avec des colombages. À Callao, la rue vide a des airs de western...


La vue du port depuis Monumental Callao, superbe immeuble de la Casa Ronald réhabilité par des célébrités du street art, montre le mélange d'industrie, de rénovation proprette et de pauvreté insalubre.


De temps en temps je prends les murs peints comme à Barranco. Les couleurs égaient la ville. Lorsque j'ai fait repeindre ma maison en bleu, j'avais pris modèle sur ces pays chamarrés. Les voisins ont suivi le mouvement. Cela change du blanc sale et du gris déprimant.


Il n'empêche que l'on croise de temps en temps des épaves posées là depuis des lustres. Pneus crevés, vitres brisées, carrosserie rouillée. Il y a aussi beaucoup de magnifiques automobiles vintage qui roulent toujours.


Les points forts de notre voyage sont évidemment Machu Picchu, l'Amazonie et bientôt les îles Palomino. Dans la forêt il est extrêmement rare de croiser un jaguar, emblème terrestre du Pérou à côté du serpent pour l'eau et du condor pour l'air. Celui-ci a été capturé à l'ancienne gare de Lima, la Desamparados transformée en musée de la littérature péruvienne.


Mais l'image que je préfère est le tableau de Pecon Quena que m'a offert Christiane. Pour elle il représente La métamorphose de Kafka. Ma référence est plus prosaïque, c'est le Beetlejuice de Tim Burton ! Décroché pour l'emballer, il n'est pas sur la photo, mais on peut admirer d'autres œuvres de cette artiste shipibo-conibo qui vit sur les hauts-plateaux à 4000 mètres d'altitude au centre de l'Amazonie. Chaque personnage protège une plante particulière. Autodidacte en musique, j'ai toujours eu un goût très prononcé pour l'art brut. Si j'en avais les moyens je les aurais tous achetés.


Comme c'eut été un peu dur, après tout ce que nous avions vécu dans la nature, de retourner brutalement à la civilisation urbaine, j'ai trouvé sur Internet une excursion qui bizarrement ne figure sur aucun guide. Il s'agit d'une promenade en mer pour rejoindre les îles au large de Lima à partir du port de Callao, près de La Punta où nous dégusterons un dernier ceviche absolument délicieux. Après être passés au large de l'île San Lorenzo, base d'entraînement de l'armée péruvienne, et de l'île El Frontón (La Isla del Muerto porte bien son surnom : dans sa prison, aujourd'hui détruite, l'intégralité des militants maoïstes du Sentier lumineux y furent massacrés après leur mutinerie), nous serons sidérés par les 8000 otaries qui vivent tranquillement sur celle de Palomino.


Le point fort de cette matinée est la baignade au milieu des otaries qui, aussi curieuses que nous, plongent en faisant des bonds de dauphins et en criant. Mon blog ne me permet pas de mettre en ligne les vidéos incroyables que j'ai postées sur FaceBook et Instagram, ni de diffuser l'odeur de poisson de l'eau qui est entre 15° et 17°.


Aux esprits chagrins qui critiquent notre incursion, je répondrais que les énormes mâles alpha protecteurs restent sur les rochers, que les petits glissent sur leurs toboggans pour profiter de la fête, qu'une otarie contrariée possède une mâchoire pouvant vous sectionner un membre, et que dix glaçons par jour flottant parmi des centaines de lions de mer dans un site protégé ne risquent pas de chambouler le bel équilibre de l'immense communauté otariidée.


Souvenir inoubliable que ces pélicans qui nous regardent rentrer (petit jeu style "Où est Charlie ?" : compter combien il en a sur la photo ?), belle manière de conclure notre voyage avant de regagner nos pénates. Avant le départ, je fais quelques emplettes culinaires : éclats de cacao, piment charapita, maïs cancha serrana et cancha chulpi grillés, tisane de muña, pisco...


Alors un dernier pisco sour, pour l'envol (même si Air France préfère servir du Champagne sur les longs courriers) : 3 mesures de pisco, 1 de citron, 1 de sirop de sucre, ½ blanc d'œuf, 6 cubes de glace - passer tout cela au mixeur et ajouter un trait d'angostura... À votre santé !

jeudi 5 septembre 2024

MMXXIV AD par Philippe Deschepper & Noël Akchoté


C'était il y a 25 ans. Je crois me souvenir que la première fois que j'ai demandé à Philippe Deschepper de se joindre à nous, c'était en 1998 pour l'album Machiavel d'Un Drame Musical Instantané. Mais j'ai l'impression de l'avoir toujours connu. Comment ne pas adorer ce musicien instinctif dont la sensibilité ressemble à un bijou ciselé ? Comme son autre métier d'art (l'œuvre reproduite sur la pochette est de lui), il sculpte le son avec ses six cordes. Peut-être parce que sa posture ressemblait à celle de Francis Gorgé avec qui j'avais joué de 1970 à 1992, penché sur sa guitare, tout à la musique, peu importe la scène ! On avait enchaîné avec le disque Un petit tour d'Aki Onda dont j'assurais la direction artistique, le film 1+1 une histoire naturelle du sexe dont j'avais composé la musique et la dernière mouture du Drame qui sortira d'ailleurs en octobre 2024 sur le label autrichien KlangGalerie sous le titre TCHAK (avec Bernard Vitet et Nem). Deux ou trois ans, assez pour apprécier l'homme autant que l'artiste. En 2021, lorsque François Corneloup me proposa de l'inviter pour un Pique-nique au labo, j'ai sauté sur l'occasion et bondi de joie, et cela a donné Exotica.
D'apprendre que Stéphane Berland l'enregistrait pour Ayler Records en duo avec un autre guitariste que j'aimais beaucoup, mais avec qui je n'avais pourtant jamais joué excitait ma curiosité, convaincu que la rencontre ferait forcément des étincelles, de celles qui brillent sur les gâteaux d'anniversaire. J'avais découvert Noël Akchoté au début des Recyclers, aussi inventif que ses deux acolytes, Benoît Delbecq et Steve Arguëlles. Je l'avais enregistré pour Sarajevo Suite, un autre album dont j'assurais la direction artistique, tandis qu'il faisait partie du quintet de Henri Texier, ce cher Henri dont ils reprennnent Nebbia sur MMXXIV AD. C'est le titre du disque de ce duo magique.
Ils improvisent aussi sur des morceaux de Paul Motian, Steve Swallow, Ornette Coleman comme sur les leurs. Treize pièces tissées à douze cordes, six pour la trame, six pour la chaîne. Le jeu des deux guitaristes est très différent, mais l'alliage prend merveilleusement, comme lorsque l'on rencontre un nouvel ami et que l'on sait immédiatement que cela va coller...

→ Philippe Deschepper & Noël Akchoté, MMXXIV AD, CD Ayler Records, dist. Orkhêstra, sortie le 6 septembre 2024

mercredi 4 septembre 2024

Tarapoto, dixième étape


Quelle bonne idée avons-nous eue de nous reposer à Tarapoto, porte de l'Amazonie ! Pour nous c'est plutôt la porte de sortie, mais pas tout de suite... Dans six jours nous regagnerons la civilisation à Lima.


Nous avons dégotté un havre de paix, encore cette fois tout en haut de la ville, à l'orée de la forêt. Est-ce un hasard si nous avons souvent choisi les endroits les plus excentrés ? Pour y accéder nous subissons quotidiennement un massage costaud en empruntant le chemin caillouteux de terre, conduits par un moto-taxi à trois roues. Nous avons beau faire le trajet jour après jour, le lodge est toujours plus loin que nous le pensions. Le chauffeur a un mal fou à gravir les côtes, mais leurs moteurs sont robustes.


La maison ronde sur pilotis n'a pas de fenêtres, mais elle est entièrement encerclée d'une moustiquaire, avec en son centre une sorte de grand lit à baldaquin et une salle de bain derrière la tête du lit. Un filet tient lieu de hamac au-dessus du vide. C'est absolument idyllique.


À la tombée du jour un drone aigu, d'une intensité insoupçonnable, monte à nous casser les oreilles, comme un son de synthétiseur strident qui se tait avec la disparition du soleil. Cette musique d'une modernité inouïe dure exactement une heure le soir de 6 à 7, et une demi-heure le matin de 5h45 à 6h15. Vient s'y superposer le cri d'un coq, des aboiements de chien, des chants d'oiseaux et des bruits d'insectes que nous sommes évidemment incapables de reconnaître. Au bout de quelques jours, j'ai l'idée de produire un nouveau disque où j'associerai L'aube à Shimiyacu à Nabaz'mob, l'opéra pour cent lapins connectés que j'avais composé en 2004 avec Antoine Schmitt. Ne faisant ni une ni deux, je réaliserai le montage de ces deux opéras pour bestioles dès mon retour et je demanderai une fois de plus à Étienne Mineur de réaliser une de ses pochettes magiques dont il a le secret. Sur place je commence à rédiger les notes du livret, excité comme une fourmi paraponera, seul animal dont il faut ici éviter la piqûre, connue comme la plus douloureuse au monde provenant d'un insecte, assimilée à un coup de feu, d'où son surnom de fourmi balle de fusil. Pendant le voyage, je croiserai ainsi trois de ces jolis insectes solitaires, mesurant deux centimètres et demi.


Comme lors des précédentes étapes nous alternons les jours denses et les moments de repos, pour ne pas dire de détente tant nous nous laissons aller au plaisir du far'niente, entendre par là la lecture sur liseuse de romans envoûtants.


Si la plantation d'orchidées nous laisse sur notre faim, la balade à Lamas vaut son pesant de noix amazoniennes. Il y a une vingtaine d'années un maboul italien y a fait construire une sorte de château de la Renaissance kitchissime, castillo avec peintures et sculptures du même acabit.


Comme raconté dans l'article sur Iquitos, nous visitons avec beaucoup d'intérêt le Centre Urku qui récupère et soigne des animaux sauvages victimes de trafic illicite. Non, le dragon fait seulement partie du délire de l'industriel turinois Nicola Felice Aquilano. Les papillons à la forme étonnante photographiés près d'une cascade non plus..


Nous passons beaucoup de temps à écouter la symphonie de la nature qui nous entoure. J'y ajouterais bien les instruments acquis pendant le voyage, flûte double, ocarina, sifflets à coulisse, maracas fabriqués dans les villages indigènes, mais non, je vais laisser agir la magie pure du field recording...


Les autres rares pensionnaires du lodge sont venus poursuivre un stage d'ayahuasca situé tout à côté dans la montagne qui nous surplombe. Pendant deux jours ils se vident avant d'absorber le breuvage, préparé à partir d'une liane de la forêt, sous la direction d'un chaman. Certains sont bouleversés positivement par cet hallucinogène, d'autres le vivent moins bien. Bien que j'ai expérimenté de nombreuses drogues dans ma jeunesse pour ouvrir les portes de la perception, je n'ai plus la même appétence pour ce genre d'aventure. Je garde en mémoire la phrase de Henri Michaux qui me guidait : "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir."

mardi 3 septembre 2024

La BD à tous les étages du Centre Pompidou


On peut se réjouir que la bande dessinée, souvent désignée comme le « neuvième art », soit exposée au Centre Pompidou. Annoncée "à tous les étages", elle occupe en réalité le 6ème, se retrouve disséminée dans le Musée au 5ème et consacrée à Hugo Pratt à la BPI au 2ème. Ajoutez la librairie du rez-de-chaussée où sont évidemment proposés un certain nombre d'ouvrages dont le catalogue qui m'a, de fait, plus intéressé que l'exposition et vous vous retrouverez forcément avec les yeux qui piquent au bout du compte !
Si admirer les planches originales lorsqu'elles sont nettement plus grandes que leurs publications est une merveille, l'exposition sous verre au format imprimé tient surtout du fétichisme. Si l'on a suivi l'évolution du medium depuis 60 ans on pourra être heureux de découvrir deux ou trois auteurs passés entre les mailles du filet. Et si l'on n'y connaît pas grand chose on le sera d'autant plus devant la richesse des propositions. Pourtant scruter une planche avec ses philactères accrochée aux cimaises, alors qu'elle a été pensée pour être lue sur ses genoux, est très fatigant. Le labyrinthe découpe l'exposition en 12 thèmes (Contre-culture, Effroi, Rêve, Rire, Couleur / Noir et blanc, Histoire et mémoire, Écriture de soi, Au fil des jours, Littérature, Anticipation, Villes, Géométrie), dictés par le marketing comme le choix des artistes présentés. Il est en effet rare que les œuvres exposées au Centre Pompidou soient financièrement accessibles au grand public. Je n'évoque pas les planches originales dont le marché est d'un autre ordre, mais les publications comme les deux que j'ai commandées suite à ma visite et à la lecture du catalogue, soit Here de Richard McGuire et Feux de Laurenzo Mattotti. À en croire l'intéressant texte de Benoît Peeters, je possède déjà toutes les BD indispensables, à part les trucs de super héros et certains mangas qui ne sont pas particulièrement ma tasse de thé vert. Comme dans toute sélection, le choix est arbitraire, et il manque à mon goût des auteurs incontournables comme Joost Swarte, Francis Masse, Jens Harder, Dave McKean, Manu Larcenet, Rochette, Durandur, etc. On peut aussi regretter qu'il n'ait pas été fait commande d'œuvres spécialement conçues pour l'occasion à Marc-Antoine Matthieu ou Chris Ware, par exemple, artistes qui ont l'habitude de proposer des narrations ou des inventions graphiques adaptées à des formats inhabituels. J'imagine que c'est une exposition qui n'a pas coûté trop cher au Centre Pompidou, et c'est à Anne Lemonnier et Emmanuelle Payen que le travail a été confié ! Elles s'en sortent plutôt bien.
À l'étage d'en-dessous les dessinateurs de bande dessinée sont confrontés à des œuvres du Musée. Brecht Evens fait face à Paul Klee, David B à André Breton, Emmanuel Guibert à Robert Doisneau, Edmond Baudoin à Antonin Artaud, Catherine Meurisse à Mark Rothko, Eric Lambé à René Magritte, Anna Sommer à Francis Picabia, Blutch à Balthus, etc., plus quelques planches de Winsor McCay, Will Eisner, George Herriman, Hergé... À la BPI, l'exposition consacrée à Hugo Pratt est plus fouillée, les admirateurs de Corto Maltese devraient s'en réjouir. De même que les fans de Moebius, Bilal, Tardi, Spiegelman, Crumb, Tatsumi, Brétecher ou du journal Hara Kiri... Je ne peux pas citer tout le monde, mais beaucoup y sont réunis. J'ai été touché de voir que les Éditions Éric Losfeld étaient présentes avec Forest, Crepax et surtout Saga de Xam, qui me semblent marquer le véritable début de la bande dessinée adulte en France.

→ Exposition Bande dessinée 1964-2024, Centre Pompidou (en partenariat avec le fonds Hélène & Édouard Leclerc), jusqu'au 4 novembre 2024 (fermé le mardi)
→ Catalogue, 45€ comme d'hab

lundi 2 septembre 2024

La forêt amazonienne, neuvième étape


Au début du voyage entre Iquitos et le lodge d'Amazonia nous croisons de nombreux bateaux échoués nous rappelant Fitzcarraldo, le film de Werner Herzog. Au début du XXe siècle ce fan d'art lyrique totalement allumé rêvait de construire un opéra à Iquitos, dont une artère principale porte son nom, composante essentielle de l'image de la ville "frontière". Plus loin ce sera Aguirre qui remontera à la surface.


Dans la selva nous marchons dans la boue en nous aidant d'un bâton puisque nous ignorons quelles sont les plantes vénéneuses qu'il est fondamental de ne pas toucher. Mais s'enfoncer dans le marécage jusqu'aux genoux procure une sale impression. Avec sa machette notre guide laisse régulièrement des entailles sur les arbres qu'il croise, comme le Petit Poucet. Il guette le moindre bruissement de feuilles en haut des cimes pour débusquer les animaux qui s'y cachent.


Au gré des promenades, nous croiserons de grands dauphins roses un peu balourds, de plus petits gris qui sautent très haut, un paresseux (très paresseux puisqu'il ne nous a exposé qu'un quart d'épaule), des singes, de minuscules marmousets ou de plus grands dont je ne me souviens plus du nom, des loutres, des oiseaux, rapaces surtout, hérons petits patapons avec de gros becs bleus, perroquets, martin-pêcheurs de toutes tailles, tous d'un magnifique bleu électrique, de grands papillons aux couleurs éclatantes...


Mais pas un seul serpent (un guide prétendit que les faucons les avaient tous dévorés, humour ou mauvaise foi, allez savoir, quand on connaît la taille d'un anaconda), ah si, une grosse tarentule dans l'escalier du lodge, et, contre toute attente, très peu de moustiques ! Nous n'avons jamais été piqués, mais nous portions pantalon et chemise à manches longues. Le soir nous nous enduisions de produit toxique. Partout d'énormes nids de termites, ressemblant à de gros sacs de jute, phagocytent les arbres ; c'est l'anti-moustique naturel des indiens.


Chaque pas est mesuré. J'use mes yeux à surprendre le moindre mouvement de branches ou les flaques où s'embourber. Tandis que nous avançons lentement parmi les lianes, notre guide s'évertue à nous donner le nom espagnol et quechua de chaque arbre et bestiole rencontrés.


J'ai tout de même réussi à me faire piquer par une guêpe nocturne. La douleur ne dure heureusement qu'une quinzaine de minutes. Pendant ce séjour chaud et très humide, nous avons vogué allègrement, de jour comme de nuit, en pirogue et en bateau à moteur. La nuit noire, le spectacle céleste, loin de toute civilisation, est absolument merveilleux. Je pense à la balade de La nuit du chasseur alors que la barque glisse doucement sur l'eau noire, encerclés par des centaines de lucioles dont certaines traversent héroïquement la rivière devant nous. De temps en temps un petit caïman noir plonge devant nous.


Nous admirons la mythique constellation du lama au sein de la Voie lactée et je fais un vœu à la première étoile filante. Mais je n'ai pas entendu la sublime symphonie batracienne dont je garde un souvenir inoubliable à Nong Kiaw, lors d'un voyage au Laos. Je me rattraperai plus tard, à Tarapoto.


La forêt amazonienne est magnifique, envahissante, absorbante. Loin du monde. Nous sommes en effet à cinq heures d'Iquitos en speedboat. Peu nombreux, seulement sept touristes pour une armada de guides, cuisiniers, personnel hôtelier, dans un superbe lodge sur pilotis qui me rappelle le labyrinthe du Nom de la rose. Une drôle de comparaison, mais si vous vous étiez perdus sur ces hautes coursives vous auriez peut-être appelé à l'aide, surtout si vous croisiez dans la nuit un gentil kinkajou.


Le petit mammifère aux grands yeux ronds avait commencé par lécher la chaussure de l'Américain avant d'y enfoncer ses canines. Conclusion, rapatriement d'urgence à Atlanta pour se faire vacciner contre la rage !


À la saison sèche les coursives sont à cinq ou six mètres de haut, moins que le circuit de tyroliennes, quarante mètres encore au-dessus, qui nous permettent d'admirer la canopée...


Mais lorsque vient la saison des pluies diluviennes l'eau monte presque jusqu'en haut des pilotis.


Les bateliers doivent faire des prouesses pour naviguer alors que le niveau de l'eau est très bas. Ils inclinent plus ou moins le gouvernail au bout duquel est fixée une minuscule hélice. Les arbres ont des racines si peu profondes qu'ils s'écroulent facilement. Il faut souvent pousser les troncs tombés au milieu de la rivière. Je me demande si l'on pourra encore passer la semaine prochaine. Comme nous sommes de plus en plus paresseux, nous privilégions les balades en pirogue à la marche dans la forêt, forêt qui sera totalement submergée en été, transformée en mangrove. Il n'y aura plus d'autre choix que la navigation, sous la pluie évidemment, pluie que nous aurons presque tout le temps évitée, sauf une fois, où nous étions justement en bateau et où nous avons été trempés jusqu'aux os.