On peut se réjouir que la bande dessinée, souvent désignée comme le « neuvième art », soit exposée au Centre Pompidou. Annoncée "à tous les étages", elle occupe en réalité le 6ème, se retrouve disséminée dans le Musée au 5ème et consacrée à Hugo Pratt à la BPI au 2ème. Ajoutez la librairie du rez-de-chaussée où sont évidemment proposés un certain nombre d'ouvrages dont le catalogue qui m'a, de fait, plus intéressé que l'exposition et vous vous retrouverez forcément avec les yeux qui piquent au bout du compte !
Si admirer les planches originales lorsqu'elles sont nettement plus grandes que leurs publications est une merveille, l'exposition sous verre au format imprimé tient surtout du fétichisme. Si l'on a suivi l'évolution du medium depuis 60 ans on pourra être heureux de découvrir deux ou trois auteurs passés entre les mailles du filet. Et si l'on n'y connaît pas grand chose on le sera d'autant plus devant la richesse des propositions. Pourtant scruter une planche avec ses philactères accrochée aux cimaises, alors qu'elle a été pensée pour être lue sur ses genoux, est très fatigant. Le labyrinthe découpe l'exposition en 12 thèmes (Contre-culture, Effroi, Rêve, Rire, Couleur / Noir et blanc, Histoire et mémoire, Écriture de soi, Au fil des jours, Littérature, Anticipation, Villes, Géométrie), dictés par le marketing comme le choix des artistes présentés. Il est en effet rare que les œuvres exposées au Centre Pompidou soient financièrement accessibles au grand public. Je n'évoque pas les planches originales dont le marché est d'un autre ordre, mais les publications comme les deux que j'ai commandées suite à ma visite et à la lecture du catalogue, soit Here de Richard McGuire et Feux de Laurenzo Mattotti. À en croire l'intéressant texte de Benoît Peeters, je possède déjà toutes les BD indispensables, à part les trucs de super héros et certains mangas qui ne sont pas particulièrement ma tasse de thé vert. Comme dans toute sélection, le choix est arbitraire, et il manque à mon goût des auteurs incontournables comme Joost Swarte, Francis Masse, Jens Harder, Dave McKean, Manu Larcenet, Rochette, Durandur, etc. On peut aussi regretter qu'il n'ait pas été fait commande d'œuvres spécialement conçues pour l'occasion à Marc-Antoine Matthieu ou Chris Ware, par exemple, artistes qui ont l'habitude de proposer des narrations ou des inventions graphiques adaptées à des formats inhabituels. J'imagine que c'est une exposition qui n'a pas coûté trop cher au Centre Pompidou, et c'est à Anne Lemonnier et Emmanuelle Payen que le travail a été confié ! Elles s'en sortent plutôt bien.
À l'étage d'en-dessous les dessinateurs de bande dessinée sont confrontés à des œuvres du Musée. Brecht Evens fait face à Paul Klee, David B à André Breton, Emmanuel Guibert à Robert Doisneau, Edmond Baudoin à Antonin Artaud, Catherine Meurisse à Mark Rothko, Eric Lambé à René Magritte, Anna Sommer à Francis Picabia, Blutch à Balthus, etc., plus quelques planches de Winsor McCay, Will Eisner, George Herriman, Hergé... À la BPI, l'exposition consacrée à Hugo Pratt est plus fouillée, les admirateurs de Corto Maltese devraient s'en réjouir. De même que les fans de Moebius, Bilal, Tardi, Spiegelman, Crumb, Tatsumi, Brétecher ou du journal Hara Kiri... Je ne peux pas citer tout le monde, mais beaucoup y sont réunis. J'ai été touché de voir que les Éditions Éric Losfeld étaient présentes avec Forest, Crepax et surtout Saga de Xam, qui me semblent marquer le véritable début de la bande dessinée adulte en France.

→ Exposition Bande dessinée 1964-2024, Centre Pompidou (en partenariat avec le fonds Hélène & Édouard Leclerc), jusqu'au 4 novembre 2024 (fermé le mardi)
→ Catalogue, 45€ comme d'hab