Quelle bonne idée avons-nous eue de nous reposer à Tarapoto, porte de l'Amazonie ! Pour nous c'est plutôt la porte de sortie, mais pas tout de suite... Dans six jours nous regagnerons la civilisation à Lima.


Nous avons dégotté un havre de paix, encore cette fois tout en haut de la ville, à l'orée de la forêt. Est-ce un hasard si nous avons souvent choisi les endroits les plus excentrés ? Pour y accéder nous subissons quotidiennement un massage costaud en empruntant le chemin caillouteux de terre, conduits par un moto-taxi à trois roues. Nous avons beau faire le trajet jour après jour, le lodge est toujours plus loin que nous le pensions. Le chauffeur a un mal fou à gravir les côtes, mais leurs moteurs sont robustes.


La maison ronde sur pilotis n'a pas de fenêtres, mais elle est entièrement encerclée d'une moustiquaire, avec en son centre une sorte de grand lit à baldaquin et une salle de bain derrière la tête du lit. Un filet tient lieu de hamac au-dessus du vide. C'est absolument idyllique.


À la tombée du jour un drone aigu, d'une intensité insoupçonnable, monte à nous casser les oreilles, comme un son de synthétiseur strident qui se tait avec la disparition du soleil. Cette musique d'une modernité inouïe dure exactement une heure le soir de 6 à 7, et une demi-heure le matin de 5h45 à 6h15. Vient s'y superposer le cri d'un coq, des aboiements de chien, des chants d'oiseaux et des bruits d'insectes que nous sommes évidemment incapables de reconnaître. Au bout de quelques jours, j'ai l'idée de produire un nouveau disque où j'associerai L'aube à Shimiyacu à Nabaz'mob, l'opéra pour cent lapins connectés que j'avais composé en 2004 avec Antoine Schmitt. Ne faisant ni une ni deux, je réaliserai le montage de ces deux opéras pour bestioles dès mon retour et je demanderai une fois de plus à Étienne Mineur de réaliser une de ses pochettes magiques dont il a le secret. Sur place je commence à rédiger les notes du livret, excité comme une fourmi paraponera, seul animal dont il faut ici éviter la piqûre, connue comme la plus douloureuse au monde provenant d'un insecte, assimilée à un coup de feu, d'où son surnom de fourmi balle de fusil. Pendant le voyage, je croiserai ainsi trois de ces jolis insectes solitaires, mesurant deux centimètres et demi.


Comme lors des précédentes étapes nous alternons les jours denses et les moments de repos, pour ne pas dire de détente tant nous nous laissons aller au plaisir du far'niente, entendre par là la lecture sur liseuse de romans envoûtants.


Si la plantation d'orchidées nous laisse sur notre faim, la balade à Lamas vaut son pesant de noix amazoniennes. Il y a une vingtaine d'années un maboul italien y a fait construire une sorte de château de la Renaissance kitchissime, castillo avec peintures et sculptures du même acabit.


Comme raconté dans l'article sur Iquitos, nous visitons avec beaucoup d'intérêt le Centre Urku qui récupère et soigne des animaux sauvages victimes de trafic illicite. Non, le dragon fait seulement partie du délire de l'industriel turinois Nicola Felice Aquilano. Les papillons à la forme étonnante photographiés près d'une cascade non plus..


Nous passons beaucoup de temps à écouter la symphonie de la nature qui nous entoure. J'y ajouterais bien les instruments acquis pendant le voyage, flûte double, ocarina, sifflets à coulisse, maracas fabriqués dans les villages indigènes, mais non, je vais laisser agir la magie pure du field recording...


Les autres rares pensionnaires du lodge sont venus poursuivre un stage d'ayahuasca situé tout à côté dans la montagne qui nous surplombe. Pendant deux jours ils se vident avant d'absorber le breuvage, préparé à partir d'une liane de la forêt, sous la direction d'un chaman. Certains sont bouleversés positivement par cet hallucinogène, d'autres le vivent moins bien. Bien que j'ai expérimenté de nombreuses drogues dans ma jeunesse pour ouvrir les portes de la perception, je n'ai plus la même appétence pour ce genre d'aventure. Je garde en mémoire la phrase de Henri Michaux qui me guidait : "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir."