Si je préfère ses incartades plus contemporaines, atonales, aléatoires ou dodécaphoniques, je suis totalement abasourdi par l'élégance du nouvel album du cymbaliste hongrois Miklós Lukács qui aborde avec la plus grande délicatesse des tubes qu'il a aimés dans sa jeunesse. Je l’avais découvert sur Cimbalom Unlimited avec les Américains Larry Grenadier et Eric Harland, sur les extraordinaires Bartók Impressions du trio formé avec mon camarade violoniste Mathias Lévy et le regretté contrebassiste Mátyás Szandai, véritable chef d'œuvre, sur les Responses To Ligeti en trio avec György Orbán et István Baló ou encore au Bal Blomet lors de l'hommage à Szandai. C'est chaque fois un ravissement.
Raymond Radiguet prétendait que l'élégance ne se remarque pas, discrète dans la plus grande simplicité. Comme on dit aujourd'hui, "je sors !", avec mes couleurs vives et mes chaussures de clown, mais je pense cela de la virtuosité. En choisissant des chansons lentes, Miklós Lukács joue sur les cordes sensibles. Ses interprétations de Gloomy Sunday (Sombre dimanche que j'évoquais lundi) de son compatriote Rezső Seress ou Aura - Hommage à Péter Eötvös, disparu cette année, sont bouleversantes. Il tire de son instrument des timbres bluffants qui rappellent le piano (My Song de Keith Jarrett), la guitare (Fields of Gold de Sting), le santour ou la basse (Norwegian Wood de Lennon-McCartney). J'adore le son des cordes métalliques du cymbalum qui frisent sous les mailloches lorsqu'il joue Somewhere Over The Rainbow (Harlen), Deborah's Theme (Morricone) ou Somewhere (Bernstein). J'imagine que Eötvös qui était ouvert aux musiques populaires se serait laissé porter par ces mélodies tendres et alanguies.

→ Miklós Lukács, Timeless, CD BMC, dist. Socadisc