La musique bretonne évolue sans cesse au gré des rencontres et des nouvelles générations qui s'emparent de leur patrimoine qu'ils renouvellent, recyclent, relisent, réinventent. À l'écoute du trio de Janick Martin, sous l'écorce on devine les rameaux du jazz et des musiques improvisées. C'est évidemment regarder l'image à l'envers, mais il y a tant de manières d'apprécier une œuvre. Les musiques traditionnelles n'ont pas attendu les minimalistes pour pratiquer la répétition, c'est même le fonds qui manque le moins. L'origine de l'album instrumental Sông Song est une épidémie de transe collective ou chorémanie qui eut lieu à Strasbourg en 1518. Mon père l'appelait danse de Saint-Guy. Et l'ami Gigi Bourdin, ce très cher disparu qui nous manque à tous, d'avoir offert le livre Les danseurs fous de Strasbourg de John Waller à Janick Martin. Julien Jack Tual à la guitare électrique et Simon Latouche au trombone ont rejoint l'accordéoniste chromatique. De temps en temps Robin Fincker avec son sax ténor leur prête main forte pour cette musique de fous, celle des derniers jours, que les musiciens ont imaginée en suivant la rivière. Toutes les rivières. Du Vietnâm (Sông signifie rivière en vietnamien) à Redon en passant par la kurde Dyarbakir, la béninoise Cotonou, le Mississipi, ils ont créé une immense farandole que l'on attrape comme lorsqu'on se glisse au milieu des danseurs des festoù-noz. Je dis ça, mais la dernière fois je me suis fait éjecter parce que je ne connaissais pas les pas ! Là ça va, je suis chez moi et j'enchaîne avec le huitième album du Quintet Hamon Martin (j'avais chroniqué leur cinquième en 2014).
Et si l'idée coulait de source commence avec Au gui l'an neuf, un très beau pilé-menu de Melaine Favennec et Mathieu Hamon. Il y a deux Hamon dans le quintet, Mathieu qui chante et Erwan à la bombarde et à la flûte traversière en bois, mais il n'y a ici qu'un accordéoniste qui s'appelle Martin, le même que celui du trio ! Ajoutez Ronan Pellen au cistre, instrument cousin des mandolines, et Erwan (ça se complique, c'est le deuxième du groupe) Volant à la basse. Cela fait du bien de comprendre les paroles aussi bien qu'on entend chaque instrument. Très bel enregistrement, mixage et mastering. Après un bal paludier, un rond paludier, une mazurka, un laridé 8 temps, je suis par terre avec le ridé de Guillac, Les pommes dans le poirier, de Gigi Bourdin qui manque définitivement à tant de monde en Bretagne et passé la frontière. Suivent encore une ridée 6 temps, un rond de Saint-Vincent (je crois que c'est là que j'avais giclé malgré mon élan volontariste) et un an dro. Tous participent aux arrangements, et à défaut de danser mon pied ne peut s'empêcher de battre la mesure...
Sous une toute autre latitude, Wassim Halal mêle sa darbuka aux huit joueurs du Gamelan Puspawarna, décollant de la tradition pour s'approprier le timbre unique de l'orchestre d'origine de Java et Bali. Il fallait s'y attendre, le gamelan s'affranchit progressivement de la tradition sans la renier pour autant, et ce n'est pas fini, plus de musiciens s'en empareront plus elle volera en éclats. Éclatant est le terme qui convient à ce mélange de gongs, cymbales, métallophones (saron, peking, demung, slentem, gender), xylophones (gambang) et tambours (ciblon, kendang). Les polyrythmies et les manipulations électroniques participent aux compositions originales et aux improvisations de Théo Merigeau, Sven Clerx, Jérémie Abt, Antoine Chamballu, Christophe Moure, Raúl Monsalve, Hsiao-Yun Tseng. Le gamelan fait tourner la tête, il rend ivre de sons, une nouvelle chorémanie nous guette ! En 2018 Rêve de Polyphème dans le triple album Le cri du cyclope anticipait ce nouveau Rêve de Polyphème comme s'il se réveillait. Wassim Halal et le Gamelan Puspawarna ont fait du chemin. Ils exposent, explosent, avant que je me repose (!), parce que c'est une musique qui vous absorbe totalement, corps et âme.

→ Janick Martin Trio, Sông Song, CD Arfolk, dist. Coop Breizh
→ Hamon Martin Quintet, Et si l'idée coulait de source, CD Le Grand Pas, dist. Coop Breizh
→ Wassim Halal & Gamelan Puspawarna, Le rêve de Polyphème, CD Pagans