Depuis ce texte du 11 octobre 2012 je pense avoir résolu mon sentiment d'usurpation liée à ma formation musicale autodidacte. Il en aura fallu du temps. Peut-être une certaine reconnaissance de mon travail ? Quant à la reconnaissance, là aussi, il me semble que je suis plus serein, pour avoir compris qu'aucun artiste, quelle que soit sa notoriété, n'en est jamais satisfait. Je l'attendais de mes pairs, elle est surtout venue du grand public, certes en ordre dispersé, mais sans esprit de chapelle. Il suffit de vieillir sans fléchir ! J'aime bien la petite histoire où l'on raconte que l'on interrogeait un sculpteur de 95 ans sur le chemin difficile que représente la sculpture, justement en termes de notoriété ; le vieux monsieur répondit qu'il ne comprenait pas la question, car seulement les 85 premières années sont difficiles...
Théâtre Mouffetard, 1978. Francis, Bernard et moi jouons dans la
Compagnie Lubat. Ce soir-là je tiens le piano et réciproquement. C'est un contrat entre lui et moi. Il est droit, je suis un peu penché. Tandis que je frappe les touches, relevant la tête j'aperçois celles de trois autres musiciens de l'orchestre,
Michel Portal,
Bernard Lubat et
Patrice Mestral, qui dépassent derrière le cadre, tous premiers Prix de conservatoire. Accoudés au-dessus du couvercle, ils regardent mes mains. Je flippe méchamment, pensant que je suis démasqué ; ils vont s'apercevoir de la supercherie, ma carrière va en prendre un coup. J'ai déjà évoqué
ici le sentiment d'usurpation que ressentent souvent les autodidactes. Le concert se poursuit et, à son issue, le trio de virtuoses pour qui j'ai la plus haute estime vient me voir. Je n'en mène pas large. Michel, parlant pour les autres, me demande "où as-tu appris cette technique ?" Coup de théâtre. Je n'ose mentir et raconte que je n'en ai aucune, la preuve : j'en suis à ma troisième tendinite du bras gauche ! Cet épisode m'accordera évidemment ensuite un peu plus d'assurance...
Bernard Vitet et Francis Gorgé y seront aussi pour beaucoup, ainsi que les quelques 200 musiciens et musiciennes qui me ou nous rejoindront les 45 années suivantes !
J'ai arrêté le piano il y a longtemps, mais il m'arrive souvent de me servir d'un clavier pour imiter des instruments ou générer des sons électroniques. [À cette époque ayant] fait l'acquisition du
piano préparé de l'Ircam et de l'
Array Mbira de SonicCouture [j'avais] probablement forcé la dose, et taper toute la journée à l'ordi n'arrange pas les choses. [J'avais] une douleur terrible au coude qui [m'empêchait] de dormir. Où mettre le bras ? Notre masseuse chinoise [avait] travaillé mon poignet du bout de mes doigts jusqu'à la mâchoire. J'ai dégusté sec, espérant être remis d'aplomb d'ici le concert [...] au Pannonica de Nantes avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang.
Les bonnes manières étaient le titre d'une série animée de Daphna Blancherie et Natacha Nisic en papier découpé (cf. illustration) dont j'avais fait la musique et les bruitages en 1993. Ici
les mauvaises se rapportent à la façon gauche dont j'aborde parfois la vie. Je fais des efforts pour me corriger, en me prenant moi-même en charge ou en me faisant aider. En vieillissant on va certes de plus en plus mal, mais l'on apprend aussi à mieux gérer ses douleurs et ses contrariétés. Si l'on s'y prend correctement, la gestion prime sur les emmerdements. Ainsi, aujourd'hui, je me sens de mieux en mieux. C'est du travail. Il n'est hélas pas rémunéré, les heures passées ne sont pas prises en compte pour la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse) où [j'avais] rendez-vous [pour ma retraite]... Il y a quelque chose d'absurde et de merveilleux. Je trouve ça drôle.
Depuis, j'ai l'impression d'aller de mieux en mieux, physiquement et moralement. On oublie vite toutes les misères qui nous affligés lorsque nous étions plus jeunes... Je n'ai plus de tendinite depuis que j'ai acquis le Theragun, ni de lumbago depuis que je pédale sur mon vélo d'appartement. Quant au crabe, je lui avais fait la carapace dans les mois qui suivirent l'opération !