"Comment ai-je pu passer à côté de Byard Lancaster ?", ai-je demandé à Théo Jarrier qui tient le magasin Souffle Continu et en dirige le label avec Bernard Ducayron. Il me répond que Lancaster n'est resté que trois ans à Paris, contrairement à Archie Shepp, Sunny Murray ou même l'Art Ensemble of Chicago. Fin des années 60 et début des années 70, la situation politique et les conditions économiques étaient très compliquées, voire dangereuses, aux États Unis. Nombreux jazzmen émigrèrent à Paris, Stockholm ou Berlin. L'American Center, situé boulevard Raspail à l'endroit actuel de la Fondation Cartier, accueillait régulièrement les musiciens de free jazz et bien d'autres, puisque nous y jouâmes aux tout débuts d'Un Drame Musical Instantané. C'était un lieu de rencontre pour tous les expatriés afro-américains, parfois proches des Black Panthers. La fiche Wikipedia (anglaise) de Byard Lancaster est très incomplète, aussi le long texte de Pierre Crépon inclus dans le coffret deluxe (cinq 30cm + un 25cm et un 17cm) est-il extrêmement précieux. Sans parler des photographies de Thierry Trombert, Jean-Jacques Pussiau et Gérard Rouy, les quatre disques publiés à l'origine par Palm, le label de Jef Gilson, en 1973-1974, ont été remarquablement restaurées et remasterisés. Ajoutez Love Always, un morceau de 15 minutes en bonus, et vous serez partis pour un voyage dans le temps accompagné par un guide virtuose, polyinstrumentiste épatant qui mérite d'être (re)découvert. Il semble aussi à l'aise au piano, à la flûte, à tous les saxophones, à la clarinette basse, qu'il joue en solo, en trio ou dans de plus grandes formations.
Le premier disque, US, avec Sylvin Marc et Steve Mc Call, étant dans la lignée radicale du free, je préfère Mother Africa et ses rythmes répétitifs inspirés de la soul, avec Clint Jackson III à la trompette, Jean-François Catoire à la basse et à la contrebasse, Keno Speller aux percussions et Jonathan Dickinson à la batterie. Dans le troisième, Exactement, les six solos et deux duos avec Speller sont d'une rare intensité. Le dernier, Funny Funky Rib Crib, insiste sur la diversité de la Great Black Music. Y participent le trompettiste Clint Jackson, le tromboniste Joseph Traindl, les saxophonistes Eric Denfert et Del Rabena, le pianiste François Tusques au Fender Rhodes, le guitariste François Nyombo, les bassistes Sylvin Marc et Zizi Japhet, les batteur Frank Raholison et Steve McCall. Lancaster y chante même. Rien d'étonnant à cette proximité de la soul, du funk et du free ; rappelons-nous, par exemple, les derniers albums d'Albert Ayler ! S'y exprime une véritable joie de vivre, une utopie qui semblait accessible, la révolte la fleur au fusil, même si Jésus vient de temps en temps rendre ivre ces musiciens rebelles.
J'avais oublié avoir vu et entendu Byard Lancaster avec Sunny Murray, Alan Silva et Frank Wright au Festival d'Amougies en octobre 1969. C'est là que j'avais découvert le free jazz, saisi par l'Art Ensemble, Archie Shepp, Don Cherry ou Steve Lacy. En enchaînant d'une seule traite l'intégrale de cette réédition je me rends compte que la découverte ne cesse jamais et qu'il est passionnant d'en chercher la logique.

→ Byard Lancaster, The Complete Palm Records (1973-1974), 4 CD Bundle (Us, Mother Africa, Exactement and Funny Funky Rib Crib) 45€ ou coffret deluxe 5LP+12”+7” 139€, Souffle Continu records