Si j'avais vu trois fois Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pasolini, chaque fois en ouvrant un peu plus les yeux, L'empire des sens d'Ōshima m'avait échappé, ou, plus justement, je lui avais échappé. Il n'est jamais trop tard pour découvrir un chef d'œuvre. Je ne m'attendais pas à ça. "Ça" comme le pastiche de Je t'aime, moi non plus interprété par Bourvil et Jacqueline Maillan ! Je comprends mieux le scandale que le film de Nagisa Ōshima déclencha à sa sortie en 1976, particulièrement dans un pays aussi coincé que le Japon. La réputation de la scène finale eut tendance à occulter l'amour fou partagé par Sada et Kichizo. J'avoue avoir cligné des yeux à ce moment-là, mais pendant les cent minutes précédentes ils sont restés ouverts comme des soucoupes. Disons que c'est cru et que tout est montré sans que ce ne soit jamais obscène contrairement aux gonzos pornos qui sont hélas devenus l'étalon de la sexualité pour le commun des mortels. Le désir d'exclusivité guide Sada et celui de l'abandon son amant, probablement motivé par la différence de classes et sa pulvérisation charnelle. Comme pour tous ses autres films, Ōshima provoque. Il provoque l'hypocrisie d'une société qu'il hait, que ce soit politiquement ou moralement. Dans l'un des excellents bonus, j'apprends qu'étudiant, il fut un des meneurs de la Zengakuren, s'opposant à la guerre du Vietnam et aux bases américaines sur le sol japonais. Après le film on a forcément envie de savoir ce que sont devenus les deux acteurs principaux, Tatsuya Fuji et surtout l'extraordinaire Eiko Matsuda, ce que nous révèlent les suppléments, comme l'aventure incroyable que le producteur Anatole Dauman permit en en faisant un film français.
Le luxueux coffret publié par Carlotta offre également les Blu-Ray de L'empire de la passion, que Ōshima tourna deux ans plus tard, et de La véritable histoire d'Abe Sada réalisé par Noboru Tanaka l'année précédente sur le même sujet, mais je ne les ai pas encore regardés. Ce dernier est un pink film, un pinku eiga comme les cinq que j'avais chroniqués jadis.
En plus des trois films, Carlotta offre donc de nombreux suppléments (un documentaire de David Thompson & Serge July sur L'empire des sens, l'histoire du film par des membres de l'équipe, un entretien inédit avec Tomuya Endo, chanteur japonais et historien du cinéma, sur Eiko Matsuda, etc.) et un luxueux livre de 160 pages de Stéphane du Mesnildot, La révolte de la chair, illustré de 45 photos exclusives et avec un texte inédit d'Oshima.

→ Nagisa Oshima, L'Empire des sens, Coffret Ultra Collector 27 - 4K UHD + Blu-ray + Livre, ed. Carlotta, 65€