Naples, Parco della Rimembranza, 1981. Des membres d'alors de l'ARFI (À la Recherche d'un Folklore Imaginaire) viennent me demander si cela ne nous dérange pas qu'ils créent un ciné-concert comme nous venons de le faire. À l'époque cela ne s'appelait pas encore comme cela, mais avec Un Drame Musical Instantané nous étions les seuls sur la planète à renouer avec le temps du muet où tous les films étaient accompagnés par un orchestre, un pianiste ou un conteur. À part eux il n'y eut que le groupe Art Zoyd à avoir montré ce tact alors qu'évidemment nous n'étions nullement détenteurs de l'exclusivité de ce genre de spectacle que nous avions seulement remis au goût du jour. Lorsque c'est devenu une mode, en particulier après que nous ayons lancé le mouvement au Festival d'Avignon, j'ai préféré, peut-être un peu bêtement, passer à autre chose. Nous avions tout de même créé des partitions originales pour 26 films différents, du trio au grand orchestre. Il est étrange que ce soient majoritairement les œuvres qui nous avaient alors séduits qui ont été ensuite les plus choisies par les compositeurs qui ont suivi, alors qu'il en existe des milliers d'autres.
Le nouveau projet de l'ARFI, des musiciens dont la plupart n'étaient peut-être même pas nés en 81, est néanmoins totalement différent. Si leur spectacle s'inspire du film de George A. Romero, leur nuit des morts-vivants ressemble à une évocation radiophonique jouée en direct sur scène. Sans autre image que celle de l'orchestre.


Ils et elles sont sept : Loïc Bedel (voix bruitages), Olivier Bost (sons de synthèses, guitare et trombone), Christophe Gauvert (contrebasse, bruitages), Damien Grange (voix, chant, harmonica, bruitages), Pauline Laurendeau (bruitages, clavier, voix, chant), Marie Nachury (voix, chant, clavier et bruitages), Willy le Corre (percussion, voix, chant, bruitages). À l'énoncé de l'instrumentation on comprend le style du spectacle qui, également par le jeu théâtral, se rapproche fondamentalement des évocations radiophoniques des années 70 façon ACR (l'Atelier de Création Radiophonique de France Culture). Leur traitement est fidèle aux effets que les films d'horreur provoquaient lors des séances de minuit du cinéma Napoléon avenue de la Grande Armée à Paris : épouvante et grosse rigolade, probablement pour conjurer la peur. Personne ne triche, ils jouent le jeu sans craindre la ringardise. Un commentateur décrit les scènes comme si nous vivions à l'intérieur du découpage. Les descriptions techniques qui encadrent la mise en scène font partie intégrante de la fiction. Je pense aussi à Cold Blood, une pièce du cinéaste Jaco van Dormael et de la chorégraphe Michèle Anne De Mey, où le public assiste au tournage d'un film en temps réel dans un studio miniature, les rôles étant tenus par des doigts marionnettisés, tandis que le résultat est projeté sur un grand écran juste au dessus des manipulateurs, donnant l'impression d'un décor géant. La nuit des morts-vivants est à voir évidemment, mais cette interprétation purement sonore, le CD, est très réussie. On s'y croirait. La musique oscille entre les Residents, Danny Elfman et Henry Cow, soit un rock lourd et martelé, répétitif et inventif.

La nuit des morts-vivants, CD ARFI (et sur les plateformes), dist. Inouïe