Mother de Yip
Par Jean-Jacques Birgé, lundi 2 décembre 2024 à 00:27 :: Expositions :: #5759 :: rss
J'ai la chance d'avoir quelques amis plasticiens qui me font rêver. Parmi eux les peintres sont les moins bien lotis. À moins d'être une star, chose rare de nos jours, ou un produit de spéculation promue par une bande organisée dont les fondations tiennent le haut du pavé, la peinture m'apparaît souvent comme un sacerdoce. Le matériel est cher et le processus parfois long, d'où la relative cherté des œuvres, ajoutez que les galeries sont limitées et le statut social pourri. Si en plus on est dans le figuratif, on peut rapidement comparer sa vie à celle d'un moine. mc gayffier organise régulièrement des portes ouvertes, associant souvent texte et peinture. D'elle je possède deux tableaux, deux assemblages et de merveilleux petits fascicules où les mots ressemblent à des coups de pinceau portés sans les gants. Ella & Pitr sont ceux qui s'en sortent le mieux, se servant avec malice des ressorts de la communication et trouvant leur équilibre entre de généreuses interventions en plein air et la vente en galerie. Ils ont collé un ange déchu dans mon escalier, peint un trompettiste sans tête sur la façade de ma maison et deux scènes sur le porte-vélos.
En trente ans de pratique assidue Sun Sun Yip a souvent changé de support, passant de la gravure à la programmation algorithmique, de la sculpture sur bois ou en mousse expansée à la peinture à l'huile. Bobby Lapointe chantait : "La peinture à l'huile c'est bien difficile, mais c'est bien plus beau que la peinture à l'eau." Sun Sun prépare ses toiles un an à l'avance, il soigne ses fonds comme on le faisait à la Renaissance ou chez les Hollandais. Si sa précédente exposition représentait des quartiers de viande, la nouvelle est consacrée à la végétation et à l'océan. Dans la philosophie chinoise le sens des choses n'a rien à voir avec notre perception. Ses titres en attestent, comme Un jour mon prince viendra, Murmure ou Jungle Fantasy, éclairant les œuvres d'une lumière que je ne connaissais pas. Le petit tableau de viande accroché dans mon salon s'intitule Première pierre ! Cette difficulté à saisir leur essence produit un mystère qui pourrait à terme le sortir de l'ombre.
Son exposition Mother renvoie explicitement à la nature, plus intimement au souvenir d'une mère récemment disparue. Les sous-bois cachent une vérité indicible, les vagues recopient cent fois le verbe aimer (dirait Cocteau), les lianes se dénouent si l'on plonge dans la forêt. En chinois Yip signifie feuille. L'huile semble se diluer comme une aquarelle dans ces paysages aussi réels qu'imaginaires. Ce va-et-vient est le secret des poètes. L'inspiration vient autant en dormant qu'en se réveillant. Saturé d'art conceptuel duchampoin et d'abstraction picassiette, les tableaux figuratifs apportent un apaisement qu'il n'est pas forcément nécessaire d'aller piocher dans le passé. Il suffit d'ouvrir les yeux pour qu'ils chantent à nos oreilles. Par quel miracle ai-je senti les embruns et l'humus dans les tableaux de Sun Sun Yip ?
→ Sun Sun Yip, Mother, exposition à l'Espace Culturel Bertin Poirée, jusqu'au 7 décembre 2024
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