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Petit reportage sonore au Palais de Justice pour un film d'architecture en 3D. Je ne me souvenais pas avoir passé un portique anti-métaux à ma dernière visite. Je divorçais [pour la première fois !]. C'est déjà loin. Vingt ans plus tôt [dans les années 70], j'avais vu un Maghrébin prendre six mois pour le vol d'un litre de lait ou quelque chose comme ça. J'avais compris ce que voulaient dire les camarades par justice de classe. Aujourd'hui il faut justement que j'enregistre le son du portique, le bruit des paniers sur les cylindres, mais j'ai surtout besoin d'ambiances, de grands halls où résonnent les pas et où s'étouffent les murmures des avocats et de leurs clients.

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Dans la gigantesque salle des pas perdus, le long des couloirs interminables, aucun effet de manches, les robes vite repliées dans les serviettes contrastent avec l'inquiétude feutrée des convoqués. S'il n'est pas nécessaire de demander une autorisation pour y enregistrer, "c'est un espace public" m'en informe la directrice de la communication, il est par contre interdit de rapporter quoi que ce soit d'une audience même si elle est publique. Ni image, ni son : aucune autorisation ne peut être délivrée. Je devrai donc recréer certaines scènes avec des acteurs. [Ce qui fut fait.]
Le Palais de Justice est incroyablement grand, et pourtant il ne suffit pas puisque Renzo Piano en [construisit] un nouveau sur la Zac Clichy-Batignolles dans le XVIIe arrondissement. De l'autre côté de la rue, l'ascenseur du parking qui nous ramène au troisième sous-sol nous parle d'une voix féminine impersonnelle comme dans les films de science-fiction terriblement datés. Chaque automatisme est commenté. Sous la pluie les touristes font sagement la queue pour visiter la Sainte-Chapelle.


Les jours qui ont suivi cet article du 31 octobre 2012, j'ai composé la partition sonore du film en 3D pour le concours dont Renzo Piano était finaliste et qu'il gagnerait. Dans le passé il fallait construire des maquettes en balsa. Aujourd'hui les simulations vidéographiques sont telles qu'on a l'impression que le bâtiment existe déjà. Cela privilégie considérablement les grandes agences qui peuvent se le payer. Comme Platform [motion], ce sont de grosses équipes avec des spécialistes des espaces, des automobiles ou des personnages qui évoluent dans le décor. Pour le son, je devais être redoutablement précis. Mais l'ambiance de la salle des pas perdus ne convenait pas du tout à l'architecte qui la trouvait trop réverbérée malgré l'immense espace qu'il avait conçu, alors qu'il avait vendu l'idée qu'elle serait absolument mate ! J'ai recommencé en réenregistrant dans une petite salle de la médiathèque de Bagnolet ! Pour l'escalator j'étais désespéré par les existants qui produisent un bruit du XIXe siècle. Un matin que j'étais sur le trône, la chaudière s'est mise en marche à la cave deux étages plus bas avec le son de sa turbine remontant par la bonde de la douche. C'était exactement le son velouté que je cherchais. Il n'en reste de toute manière pas grand chose dans le mixage, mais c'est le fin du fin pour qu'on y croit. Comme je ne suis jamais allé dans le nouveau Palais de Justice, j'ignore comment il sonne vraiment !