J’imagine que c’était là sans que j’y pense, mais jouer pour la première fois avec des musiciens ou des musiciennes dans le cadre d’improvisations libres permet de les rencontrer dans le plus simple appareil, entendre qu’ils se mettent à nu, sans avoir le temps de contrôler leurs désirs ou leurs réflexes musicaux. Ce partage ne peut être que généreux, échange sans contrainte où règne une bienveillance exceptionnelle. Notre âme d’enfant peut s’y exprimer facilement. Chaque matin j’espère ainsi retrouver la passion de mes débuts et j’y travaille, sans autre motivation que le plaisir, ici de jouer ensemble.

J'ai souvent raconté qu'après avoir éteint et rangé mes instruments je ne me souviens absolument plus de ce que je viens de jouer ou de ce que nous avons composé ensemble dans l'instant. C'est seulement au moment du mixage que j'en découvre à la fois l'ensemble et le moindre détail. Et enfin, à la réécoute, je peux en apprécier la teneur et plonger dans la musique comme le public en profita le jour du concert. Lors du mixage je ne me dépare pas pour autant d'une certaine transe créative qu'un ingénieur du son ne se permettrait pas. Cela n'est néanmoins possible que grâce à une préparation d'une extrême rigueur.

La petite cuisine commence d'abord avec l'installation de mes invités, musiciens et spectateurs, pour les uns placer les câbles et choisir les microphones, pour les autres les fauteuils ! À la balance je ne corrige presque jamais les réglages de chaque voie (potentiomètres à midi) ; le secret est d'avoir de bons micros et de les placer correctement devant les instruments acoustiques, confiant dans l'appréciation et le talent des instrumentistes. J'enregistre simultanément sur 3 voies stéréophoniques de l'application Cubase (j'ai commencé avec son ancêtre Pro 24) et en témoin sur un petit Nagra qui reprend éventuellement les réactions du public. Au mixage je n'ai pratiquement jamais non plus recours aux égalisations ; par contre je normalise alors toutes les voies pour pouvoir inventer un nouvel équilibre en fonction de ma nouvelle écoute. J'ajoute un peu de réverbération sur certains instruments, et selon les besoins un filtre anti-pop ou quelque bidouillage replaçant tel ou tel dans l'espace. Dans l'ensemble j'essaie d'être le plus fidèle possible à ce qui fut réalisé le jour du concert.

Ces réflexions suivent le sixième Apéro Labo enregistré dimanche dernier avec le pianiste Roberto Negro et la clarinettiste Catherine Delaunay, que je dois mixer dès que j'en aurai le temps et qui deviendra l'album intitulé tout simplement Album. Cette fantastique partie de plaisir me rappelle l'expression de Jean Renoir lorsqu'il disait ne pas filmer une tranche de vie, mais une tranche de gâteau !