En 2018 j'avais adoré l'album Origami Harvest qui mêlait la trompette d'Ambrose Akinmusire, des slameurs, piano, batterie et un quatuor à cordes. Un peu déçu qu'il n'y ait ce mélange des genres dans ses autres disques, je suis ravi de retrouver cette veine inventive dans le nouveau Honey from a Winter Stone, même si la surprise est évidemment moins grande. Pour cette saison 2 le compositeur est entouré du chanteur Kokayi, du pianiste Sam Harris, Chiquita Magic aux synthétiseurs, la batteur Justin Brown et le Mivos Quartet (Olivia Deprato, Maya Bennardo, Victor Lowrie Tafoya, Tyler Borden). Sa musique résolument contemporaine, cross-over de jazz, hip hop, tradition classique du quatuor à cordes, fait référence au compositeur Julius Eastman à qui Akinmusire rend ce très bel hommage. D'autres jazzmen afro-américains avaient auparavant pris le risque de mettre un pied dans la porte, comme Freddie Hubbard, Ornette Coleman, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell, John Tchicai, George Lewis ou Muhal Richard Abrams, et chaque fois je suis aux anges, parce qu'il n'y a rien qui me plaise plus que de quitter les rails d'un style pour brouiller les pistes qu'impose le marché et les habitudes. Composer pour ou avec un quatuor à cordes est aussi une constante chez les jazzmen et c'est souvent passionnant. En 1995, avec Bernard Vitet nous nous y étions délicieusement frottés avec Dee Dee Bridgewater et le Quatuor Balanescu pour Sarajevo Suite. Le nouvel album d'Ambrose Akinmusire possède une poésie unique où l'on semble flotter en état de lévitation, vertige imputable à des repères mouvants au gré de notre culture, de nos passions et de notre capacité à accepter les glissements qui s'y opèrent.

→ Ambrose Akinmusire, Honey from a Winter Stone, CD Nonesuch (sur Bandcamp)