Le documentaire Soundtrack to a Coup d'Etat du cinéaste belge Johan Grimonprez accumule les prix internationaux à la taille de sa distribution : d'un côté les jazzmen & women Louis Armstrong, Dizzy Gillespie, Abbey Lincoln, Max Roach, Nina Simone, Miriam Makeba, John Coltrane, Duke Ellington, Melba Liston, Eric Dolphy, Charles Mingus, Thelonious Monk, Ornette Coleman, les musiciens et musicienne de rumba africaine Grand Kallé, Rock-a-Mambo, Docteur Nico, Grand Kallé, Marie Daulne "Zap Mama", de l'autre Patrice Lumumba, Nikita Khrouchtchev, Fidel Castro, Malcolm X, Allen Dulles (directeur de la CIA de 1953 à 1961), John F. Dulles (secrétaire d’état américain de 1953 à 1959), Willis Connover (La Voix de l'Amérique), Dag Hammarskjöld (secrétaire général de l’ONU), le peintre René Magritte, le chanteur belge Eddy Wally, l'activiste Andrée Blouin, l'écrivain kino-congolais In Koli Jean Bofane, le diplomate irlandais Conor Cruise O'Brien, etc. Le film est de la trempe de ceux d'Adam Curtis (pour le montage, la musique et ses archives incroyables), Raoul Peck (qui avait consacré deux films à Lumumba) ou Jaffa, la mécanique de l'orange d'Eyal Sivan (pour son utilisation des chansons dans un documentaire politique).


Si le montage rythmique tient de l'agit-prop poétique, comme chez Adam Curtis, les citations affichées sont toutes sourcées. L'exportation du jazz participe à la fois au soft power et à la résistance anti-coloniale. Abbey et Max chantent la We Insist!: Freedom Now Suite. Dizzy se présente à la présidence. L'opposition poreuse entre le jazz et l'impérialisme américains souligne l'ambiguïté du lien entre l'Afrique et les États Unis, même si l'émancipation concerne évidemment tous les pays colonisés. Ce jazz montre que le choix de la musique dans n'importe quel film n'est jamais innocent. Le titre en atteste.
L'Afrique est riche de ses minerais, mais les Africains sont toujours pauvres. Le film tourne autour du Congo qui déclare son indépendance contre la Belgique, exemple dangereux s'il se répand sur le continent. Le fantôme du communisme a bonne mine. La C.I.A. est sur tous les fronts. Le Congo, c'est l'Union Minière. Lumumba est assassiné par les services secrets belges. Les discours et les témoignages se contredisent, évidemment. Les États Unis d'Afrique ne verront jamais le jour. Le film évoque discrètement, avec des spots de publicité pour Tesla ou l'iPhone, que le schéma n'a pas changé. Chaque fois qu'un dirigeant africain risque de mettre en péril la mainmise sur les matières premières de son pays, par exemple les terres rares ou le cacao, il est "mystérieusement" assassiné (vingt-trois depuis 1963 !), quand ce ne sont pas des peuples entiers qui sont poussés à s'entretuer par les forces colonialistes en présence, que ce soit la France, les États Unis, la Russie ou la Chine.

→ Johan Grimonprez, Soundtrack to a Coup d'Etat, 2h30