70 mars 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 31 mars 2025

Énormément bizarre + Paris Noir


Pour une fois j'avais reçu le catalogue de l'exposition Énormément bizarre avant d'aller à Beaubourg où il n'était pas encore arrivé, mais que j'avais eu le temps d'arpenter. Cela m'évita de me casser le dos pour lire les cartels qui m'obligent d'habitude à jongler avec plusieurs paires de lunettes. Léguée à la Fondation Antoine de Galbert qui en a fait don au Centre Pompidou, la collection Jean Chatelus m'apparut moins glauque que je ne m'y attendais, peut-être grâce à la scénographie de Pauline Phelouzat qui donne de l'espace aux œuvres d'art et aux objets accumulés. À l'entrée le lit de Chatelus, Surveillance Bed IV, fabriqué sur mesure par Julia Scher en 1954 pour qu'il rentre dans sa chambre qui n'est pas reproduite telle quelle, contrairement au salon et au bureau, cabinets de curiosités où s'agglutinent les œuvres les plus disparates, souvent provocantes et chargées d'un humour noir qui montre que l'on n'est jamais débarrassé de son passé.


Il est logique que cette collection rappelle celles qui nous enchantaient à La Maison Rouge et qui nous manquent depuis sa fermeture et le départ d'Antoine de Galbert pour Grenoble. Elle porte bien son titre. Les choix dressent des portraits en creux de chaque collectionneur et Énormément bizarre est celle d'un homme qui certes aimait recevoir, mais vivait seul avec ses obsessions et sa manière de les transgresser. Si l'on y rencontre des masques africains, nombreuses photographies et des objets d'art brut choisis pour leur étrange résonance, on y découvre aussi des œuvres de Delvoye, Spoerri, Aeppli, Witkin, Oursler, Vostell, Nitsch, Gabritschevsky, Ernst, Boltansky, Berkhemer, Michaux, Kusama, des frères Chapman, etc. L'etcétéra est de mise dans cet extraordinaire capharnaüm de 400 pièces qui tient parfois de la magie noire.


Si elle est passionnante d'un point de vue sociologique, l'exposition Paris Noir m'a moins plu, parce qu'il y a moins d'urgence chez les artistes en titre que chez nombreux anonymes ou que le besoin de s'échapper du réel s'y fait moins sentir. Elle reste néanmoins indispensable, mais il faut y faire son chemin et découvrir celles ou ceux qui nous touchent et que nous ignorions. Il est logique que les artistes afro-américains y sont moins représentés que les africains ou caribéens, colonialisme oblige. De 1950 à 2000, c'est une histoire de Paris, comme un quartier d'une capitale qui s'étend sur tout son territoire.


Au dernier étage, cette très grande exposition est structurée chronologiquement comme tant d'autres, les commissaires se sentant obligés de nous donner chaque fois une leçon qui n'y échappe pas. D'où ma préférence pour celles guidées essentiellement pour le plaisir, comme les pratique Jean-Hubert Martin par exemple. Ici se succèdent Paris panafricain, Édouard Glissant, Paris comme école, Surréalisme afro-atlantique, Le saut dans l'abstraction, Paris Dakar Lagos, Solidarités révolutionnaires, Retour vers l'Afrique, Nouvelles abstractions, Affirmation de soi, Rites et mémoires de l'esclavage, Syncrétismes parisiens, Les nouveaux lieux du Paris Noir.

Illustrations : Franz West, Nam June Païk, Justin Lieberman, Jonathan Borofsky, Jesse Wine, Meyer Vaisman... / Folkert de Jong, Alexander Kosolapov, Huang Yong Ping, Jon Pylypchuk, Damien Deroubaix... / Valérie John / Ousmane Sow

Énormément bizarre, exposition au Centre Pompidou, jusqu'au 30 juin 2025
Paris Noir, exposition au Centre Pompidou, jusqu'au 30 juin 2025

samedi 29 mars 2025

NEWSLETTER de mars-avril 2025


La Newsletter de mars-avril fête le 50e anniversaire du label GRRR en annonçant les sorties des CD Les déments avec Denis Lavant et Lionel Martin, Pique-nique au labo 4 avec Léa Ciechelski, Catherine Delaunay, Maëlle Desbrosses, Matthieu Donarier, Bruno Ducret, Helene Duret, Antonin Trí Hoàng, Emmanuelle Legros, Mathias Lévy, Fanny Meteier, Roberto Negro, Rafaelle Rinaudo, Alexandre Saada, Olivia Scemama, Isabel Sörling, Fabiana Striffler et ma pomme évidemment, ainsi que les albums en ligne Album avec Catherine Delaunay et Roberto Negro et Le violon dingue avec Fabiana Striffler, plus le podcast Les chroniques du bulbe de Sonia Cruchon. Ajoutez les CD Animal Opera, Tchak et les 3 premiers volumes de Pique-nique au labo, enfin Radio Drame qui est passée à plus de 200 heures non-stop de musique aléatoirement choisie.

vendredi 28 mars 2025

Récifs - Étocs de Joris Rühl


Mardi dernier je suis passé à ma boutique de disques favorite déposer mes tous nouveaux CD. Nous avons l'habitude de discuter des us et coutumes des amateurs de musiques bizarres, soit tout ce qui sort de l'ordinaire commercial correspondant à l'immense majorité du marché. Les petites niches où nous sommes réfugiés en combattants de l'ombre ne sont pas touchées directement, mais nous en subissons néanmoins les effets de bord. Par exemple le flux des plateformes de streaming comme Spotify ou Deezer réduit considérablement les ventes de disques, même si nos musiques n'y sont pas. De même l'acculturation qui en découle réduit la curiosité des jeunes auditeurs.
Comme je suis en confiance j'interroge mon camarade pour savoir si je suis réactionnaire de considérer la plupart de la scène noise et drone comme rébarbative, menée par des jeunes gens qui ne connaissent pas grand chose à la musique, sans que ce soit de l'art brut pour autant. Mon interlocuteur me le confirme, ce serait une manière de se produire sur scène, fantasme convenu de notre époque, sans prendre le temps d'apprendre, une sorte de nouveau mouvement punk sans l'aspect social. Il est en effet excitant de faire du bruit et son écoute produit de l'ivresse, le live s'y prêtant bien. Cela tiendrait de la rage, de la colère, un nouveau cri primal, somme toute assez sain, mais parfaitement ennuyeux pour quiconque possède une culture générale où la composition est soutenue par un propos personnel, structuré comme un langage, architecturé, en quête d'une nouvelle syntaxe qui organise le passé avec une vision du futur. Ce point de vue très personnel pourrait s'appliquer à n'importe quelle musique. Rares sont les voix véritablement originales, car cela demande énormément de travail en plus d'être inspiré.
Du rejet du monde qui nous est proposé naissent toujours de nouvelles utopies. Il existe donc, par exemple, des pièces de noise ou de drone formidables, mais elles sont rares. Ainsi le courant minimaliste que nous appelions répétitif abrite des génies comme Steve Reich dont la science permet de jouer sur les harmoniques comme personne, ou les drones de La Monte Young et Marian Zazeela renvoient à leurs sources indiennes grâce aux leçons de kirana guarana du Pandit Prân Nath qui influença également Terry Riley et Don Cherry, tandis que nombreux imitateurs pensent qu'une phrase en boucle fera l'affaire ou qu'il suffit de jouer fort pour entraîner à sa suite l'auditeur.
En matière de drone je saluai encore récemment le magnifique quatuor de clarinettes Watt. Un autre compositeur et clarinettiste dont j'avais évoqué l'album Feuilles il y a dix-huit mois, l'Alsacien Joris Rühl, s'attaque cette fois à cette configuration avec son Ensemble Quartz, composé avec trois autres clarinettistes, Léa Castello, Alexandre Morard et Thibaud Tupinier. Sa précision d'écriture produit des effets aussi sublimes que subliminaux, vaguelettes glissant sur ses Récifs, cliquetis de Pneumatiques, Rebonds des clarinettes basses, battements des retenues dans Vitrail... Si Watt ou Rühl fascinent là où tant d'autres ne sont que supercherie, c'est que leur propos s'appuie sur une observation des plus rigoureuses qui les inspire. Rühl regarde les reflets mouvants d'une grande bouée flamant rose dans une piscine, suit la ligne électrique d'un caténaire depuis la fenêtre d'un train, se laisse hypnotiser par les néons d'un tunnel ou admire les figures géométriques mystérieuses d'un voilage de tulle. On s'y croirait. C'est là que réside la beauté du geste. Cocteau clamait : ne pas être admiré, être cru. Rühl projette ses partitions graphiques en vidéo. Des vidéos il en montre sur la page Bandcamp du disque (regardez, cela vaut vraiment le coup et cela explique peut-être mieux mon premier paragraphe), extraits de chaque pièce où les ongles des musiciens sont de couleurs différentes. Mais il faut leurs durées réelles pour que la magie prenne. Hypnose. Le temps retrouvé.

→ Joris Rühl et l'Ensemble Quartz, Récifs - Étocs, CD Umlaut, sortie le 6 avril 2025

jeudi 27 mars 2025

Le clip d'Etienne Mineur pour notre nouveau CD


Étienne Mineur vient de m'envoyer le clip vidéo annonçant la sortie du volume 4 de la série Pique-nique au labo. Il a utilisé les sources graphiques de l'habillage du CD qu'il a réalisé, un digisleeve 3 volets avec un livret de 8 pages. Pour quelqu'un comme moi qui adore les couleurs, pas seulement visuelles, mais aussi sonores, je suis comblé. J'avais déjà une maison polychrome, des lunettes polychromes, des rêves en couleurs.


Pour la piste son j'ai commis un petit montage de 30 secondes à partir des 9 pièces du disque de manière à ce que les 16 musiciens et musiciennes soient présents : Léa Ciechelski, Catherine Delaunay, Maëlle Desbrosses, Matthieu Donarier, Bruno Ducret, Hélène Duret, Antonin-Tri Hoang, Emmanuelle Legros, Mathias Lévy, Fanny Meteier, Roberto Negro, Rafaelle Rinaudo, Alexandre Saada, Olivia Scemama, Isabel Sörling, Fabiana Striffler et ma pomme évidemment !

→ Jean-Jacques Birgé, Pique-nique au labo 4, CD GRRR, dist. Socadisc, sortie officielle le 18 avril 2025, déjà sur Bandcamp

C(or)N(e)T de Pierre Bastien et Louis Laurain


En voilà deux qui se sont trouvés ! Comme les deux gosses qui se montrent mutuellement leurs dernières trouvailles dans le train au début du film de Jean Vigo Zéro de Conduite. L'un comme l'autre posent leurs lèvres sur leurs embouchures sans craindre les bruits bizarres, l'un et l'autre aiment les petites machines bricolées qui font des rythmes rudimentaires comme lorsqu'on mettait un bout de carton dans les rayons de sa bicyclette pour donner l'illusion d'une mobylette. C(or)N(e)T, c'est de l'art brut musical comme La fleur de barbe de Dubuffet.


Mais Pierre Bastien et Louis Laurain sont de vrais musiciens avec une rigueur de compositeurs. Simplement ils se lâchent, retrouvant leur âme d'enfant, en galipettes virtuelles à l'heure du goûter. Le vinyle tourne autour de l'axe, il craque un peu, participant à cette techno préhistorique où les cornets exposent de drôles de couleurs, grinçantes ou aériennes, et où les jouets se mettent en mouvement comme la parade du film Paprika de Satoshi Kon. C'est bien cela, leur disque est de la trempe de Zéro de conduite et Paprika, impertinent et délirant.


J'ai choisi ces deux extraits exogènes, histoire de donner de la profondeur historique et allégorique à leur disque étonnant, mais vous pouvez écouter les six pièces de Pierre Bastien et Louis Laurain sur Bandcamp...

→ Pierre Bastien et Louis Laurain, C(or)N(e)T, LP Rosehill Records

mercredi 26 mars 2025

Full River Red de Zhang Yimou


Oubliant mon article du 2 mai 2023, je revois Full River Red du Chinois Zhang Yimou, grâce au nouveau master HD distribué par Carlotta. J'aurais pu espérer mieux comprendre l'intrigue à l'image du labyrinthe qui ponctue le film comme des têtes de chapitre, mais les références historiques, politiques et poétiques me manquent. Si certains de mes lecteurs ou lectrices sont à la fois cinéphiles et sinophones, j'aimerais savoir ce que clament les raps hystériques géniaux qui accompagnent les courses dans les couloirs labyrinthiques, et dont les sous-titres sont étrangement absents. Ont-ils à voir avec le poème final, connu de tous les Chinois ? La diction théâtrale soulignée par les percussions, le scénario avec meurtres en cascade, le rythme général entretiennent pourtant un mystère engendré par la musique d'une langue inconnue dont on ne saisit que le ton sans en comprendre les ramifications. La partition sonore reste néanmoins ce qui m'a le plus plu, encore cette fois.

Zhang Yimou enfonce le clou


J'ai beau avoir tenu les 2h38 du nouveau film de Zhang Yimou et lu ensuite plusieurs résumés je n'ai pas compris grand chose à ce labyrinthe de trahisons à tiroirs. Mais peut-être me manque-t-il les connaissances historiques ? Comme pour Everything Everywhere All at Once dont Sonia me dit qu'il est truffé de références au Bouddhisme qui rendent le film particulièrement drôle, ce qui m'échappe. Full River Red est une sorte de peplum chinois dont la majorité des scènes sont plutôt intimistes, sorte de thriller humoristique à l'ère de la dynastie des Song du sud (1127–1279). L'intrigue se passe quatre ans après la mort du général Yue Fei, suite à la trahison du premier ministre Qin Hui qui ne semble pas en être resté là. Ce n'est donc pas ce qui m'a le plus intéressé dans ce flux un peu indigeste et répétitif, pas plus que la propagande sous-jacente concernant Taïwan, sujet épineux et bombe à retardement, mais l'utilisation du son dans certaines scènes. Le film se termine explicitement sur le célèbre poème Man Jiang Hong souvent attribué au général Yue Fei : « Ce n’est qu’en récupérant les territoires perdus que nous répondrons à la demande du peuple ». Effet plaqué, mais résumant bien le film qui évoque essentiellement la loyauté et la trahison.


L'utilisation des instruments de percussion de l'orchestre traditionnel chinois m'a par contre énormément plu, voire m'a donné des idées ou les a confortées. Ils soulignent ou remplacent des bruitages au point de composer une sorte de musique varésienne aux timbres riches et variés. Les intermèdes récurrents accompagnant les déambulations dans le corridor extérieur sont particulièrement épatants, un rap chinois hystérique hurlé dans une haute tessiture, soutenu par les percussions, une basse électrique et, de temps en temps, des instruments traditionnels à cordes. En dehors de cela, malgré son immense succès en Chine, il ne me semble pas que ce soit le meilleur film du réalisateur des films à grand spectacle que sont Épouses et concubines, Hero ou Le secret des poignards volants...

Full River Red, Blu-Ray Carlotta, sortie le 1er avril 2025

mardi 25 mars 2025

Pique-nique au labo, volume 4


Non, non et non, il n'y aura pas de volume 5 à la série Pique-nique au labo (1/2, 3). Le volume 4 qui sortira le 18 avril (déjà en ligne sur Bandcamp) est trop beau, d'une magnifique homogénéité malgré la diversité des seize musiciens et musiciennes invités. Une fois de plus il rend hommage à cette génération de jeunes artistes dont certains n'ont pas trente ans et d'autres sont devenus des quinquagénaires sans que nous, ou eux-mêmes, nous en apercevions. Ils et elles sont tous compositeurs et improvisateurs. Entendre que l'improvisation, que j'ai toujours préféré appeler composition instantanée en opposition à composition préalable, n'est pas un style, mais l'action de réduire au minimum le temps entre la conception et l'interprétation. Chacune des neuf pièces de ce nouveau disque est issue d'une rencontre d'une journée, générant un album virtuel mis en ligne quelques jours après son enregistrement. Les auditeurs, surpris par la qualité de la musique, me demandent souvent si j'ai coupé ou sélectionné. Si je livre tous les morceaux dans l'ordre où ils ont été joués sans aucun montage, cherchant à retrouver l'émotion de l'instant, j'interviens fondamentalement au mixage, privilégiant ce qui me semble le plus juste par rapport à l'ensemble. Pour ce faire je normalise (mise au même niveau de toutes les pistes) et je repars de cette mise à plat dans le même état semi-second où j'étais face à mes machines et mes instruments acoustiques. Ce même état qui m'a fait choisir une pièce de chaque album pour constituer ce disque. Je suis à la fois dans l'instant et dans la globalité, car c'est toujours l'à propos et l'avant-propos qui guident mes choix, une idée souvent scénaristique, une ambiance, une raison de vivre. Si les quatre premières pièces de 2023 ont obéi au même protocole que les trois volumes précédents, à savoir passer une journée entière dans le studio avec pause déjeuner où je cuisine au mieux pour satisfaire le palais de mes deux invités, puisque cette fois il s'agit exclusivement de trios, les cinq suivantes de 2024 ont été enregistrées en public selon le nouveau concept d'Apéro Labo. Nous nous retrouvons un dimanche à 14h pour nous installer et les spectateurs sont conviés trois heures plus tard au concert, suivi d'une délicieuse collation ne nécessitant pas de dîner ensuite !

"Il s'agit donc de jouer pour se rencontrer et non le contraire comme il est d'usage. Que ce soient pour les musiciens et musiciennes qui ont accepté l’invitation, histoire de retrouver l’innocence de nos premiers pas, ou pour le public venu partagé cette joyeuse complicité, pendant et après chaque concert, ce sont de véritables moments de grâce où la musique joue pleinement son rôle, à la fois onirique et social. La thématique de chaque pièce est tirée au sort juste avant de jouer."

Je ne souhaite pas publier de volume 5 parce que tout roule trop bien. À continuer dans ces conditions avec d'autres invités, et ils sont nombreux et nombreuses avec qui j'aimerais croiser le faire, je sais que cela se passera si bien que je finirais par m'ennuyer. Or je ne m'épanouis réellement que face au danger de l'inconnu. Rendre public nos rencontres eut cette fonction, en plus de la sympathie partagée et du confort de n'avoir pas à plier mon matériel à l'issue de la représentation, ce qui me privait d'une autre rencontre, celle du public, parti avant que j'ai eu le temps de ranger, sommé par les organisateurs. Ces Apéro-labo ont donc lieu devant une trentaine de personnes au Studio GRRR, là où j'enregistre tout depuis toujours, déménagements compris. Je continuerai donc à y organiser des concerts en public, mais je cherche une nouvelle formule, de même que je suis en transition d'écriture, ma soif d'invention étant inextinguible. Période pas facile, mais absolument nécessaire pour continuer à avancer. Le sur-place n'est pas ma tasse de thé.


En attendant, je suis totalement enchanté de vous faire découvrir les cocktails alchimiques de ces rencontres ayant eu lieu en 2023 et 2024. Y ont participé Léa Ciechelski au sax alto, Catherine Delaunay à la clarinette, Maëlle Desbrosses à la contrebasse, à l'alto, percussion et appeaux, Matthieu Donarier au sax ténor, Bruno Ducret au violoncelle, à la guitare, cosmic bow et voix, Hélène Duret aux clarinette, clarinette basse et percussion, Antonin-Tri Hoang au synthétiseur et percussion, Emmanuelle Legros à la trompette et percussion, Mathias Lévy au violon, Fanny Meteier au tuba et voix, Roberto Negro au piano et tube harmonique, Rafaelle Rinaudo à la harpe électrique, Alexandre Saada au piano, Olivia Scemama au ukulele basse électrique, Isabel Sörling à la guitare électrique, Fabiana Striffler au violon et harmonica. Quant à moi je me retrouvai aux claviers, synthétiseurs, guimbarde, harmonicas et anches. En parler de mon point de vue équivaudrait à une réduction. J'aime plus que tout ce que ces musiques inspirent d'évocations, des plus variées en fonction de l'écoute de chacun/e. On peut écouter ou acquérir le disque sur Bandcamp, mais rien ne vaut l'objet, objet auquel je reste attaché comme au concept d'album, résistance contre la mode et l'usage du flux imposé par les plateformes de streaming, d'autant qu'encore une fois le design graphique d'Étienne Mineur me comble de joie.

Avec le double album Les déments enregistré avec le comédien Denis Lavant et le saxophoniste Lionel Martin, qui sort officiellement le 9 mai, voilà de quoi fêter le 50ème anniversaire du label GRRR ! Et comme GRRR vous en donne toujours plus, vous trouverez sur drame.org et Bandcamp Le violon dingue de Fabiana Striffler traité en temps réel par mes soins, enregistré et mixé le 17 de ce mois.

→ Jean-Jacques Birgé, Pique-nique au labo 4, avec Léa Ciechelski, Catherine Delaunay, Maëlle Desbrosses, Matthieu Donarier, Bruno Ducret, Hélène Duret, Antonin-Tri Hoang, Emmanuelle Legros, Mathias Lévy, Fanny Meteier, Roberto Negro, Rafaelle Rinaudo, Alexandre Saada, Olivia Scemama, Isabel Sörling, Fabiana Striffler, CD GRRR digisleeve 3 volets avec livret 8 pages, dist. Socadisc, sortie officielle le 18 avril 2025, déjà sur Bandcamp

lundi 24 mars 2025

D'actualité, Canadian Bacon de Michael Moore


Face aux pires absurdités et aux criminels contre l'humanité qui se reproduisent comme des gremlins, l'humour reste un rempart contre la peur qu'ils inspirent à la majorité. Le dictateur de Charles Chaplin ou To Be or Not To Be d'Ernst Lubitsch en sont d'excellents exemples. Par contre, les films à message m'ennuient, ne convaincant que celles et ceux qui veulent être convaincus. Il n'est pas toujours indispensable de comprendre la folie de ceux qui dirigent le monde. L'arrogance et le sentiment d'impunité les perdent le plus souvent, mais ils font hélas des millions de morts entre temps. On peut toujours espérer survivre à Trump, Musk, Poutine, Nétanyahou, el-Hassad, etc., même si cette satisfaction est bien vaine puisque tout le monde finit dans le trou. En regardant Canadian Bacon on appréciera la perspicacité de Michael Moore quant à son analyse critique de la politique étatsunienne. On peut pourtant penser qu'il était loin d'imaginer en 1995 que trente ans plus tard un président américain prônerait l'annexion de son voisin canadien. C'est un peu comme pour Woody Allen, ses premiers films sont les plus réussis, leurs systèmes perdant progressivement la fraîcheur de leurs jeunes années rebelles. Le futur réalisateur de Bowling For Columbine et Fahrenheit 9/11 n'avait encore commis que Roger and Me qui inspirera d'aiileurs le Merci Patron ! de François Ruffin.


Cela n'a absolument rien à voir, mais j'ai pensé au 49e Parallèle, le film de Michael Powell, et à Passeport pour Pimlico de Henry Cornelius, association d'idées que peut-être quelques cinéphiles comprendront. En tout cas, j'ai bien ri devant cette comédie satirique, rire jaune évidemment, comme avec Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Si l'un de ces grands paranoïaques avaient l'idée ou la maladresse d'appuyer sur le bouton, espérons qu'il mouillera son doigt juste avant pour constater d'où vient le vent. Quant au bacon, ce n'est en effet pas tout à fait le même de chaque côté de la frontière, et le terme énerve certains nationalistes étatsuniens quand vient la comparaison.

dimanche 23 mars 2025

Estuaire


Anne, mon frère Anne, ne vois-tu rien venir ? À gauche la Loire me fait croire que la mer de nuages est déjà l’Atlantique. Tout n'est qu'illusion. Il y a une couleur qui se promène et des gens cachés dans cette couleur.

vendredi 21 mars 2025

Le violon dingue de Fabiana Striffler


Venue de Berlin à Paris pour un concert à l'Atelier du Plateau avec le violoncelliste Karsten Hochapfel et le trompettiste Timothée Quost (La plume du dimanche) dans le cadre des ateliers du violoncelle, la violoniste Fabiana Striffler m'a proposé d'enregistrer une petite séance en duo au Studio GRRR comme nous l'avions réalisée en 2022 pour *** en trio avec Csaba Palotaï et en 2024 Apéro Labo 4 avec Léa Ciechelski. Fabiana figure donc sur le volume 3 du CD Pique-nique au labo et le volume 4 qui sortira le 18 avril prochain.
En but à de nouvelles expériences, plutôt qu'un duo "classique" je lui proposai qu'elle joue seule du violon et que je traite en temps réel ses sons avec quelques unes des machines que j'aime bien. Fabiana sauta évidemment sur l'occasion. Je branchai donc les multi-effets H3000 et H90 d'Eventide en parallèle, ce dernier branché sur la réverbération infinie Nightsky de Strymon et le délai aléatoire Cosmos de Soma. Aucun re-recording ni montage.


De la matinée nous avons conservé dix petites études que nous avons mixées l'après-midi-même pour rééquilibrer les voies. Comme je le fais souvent pour conserver la logique qui nous dépasse, nous avons laissé les pièces dans l'ordre où elles furent jouées : Jaco, Le petit pois, Pluie de fer, Doppelgänger, Firmament, Claquettes, Brume, Metal, Harmonica. Sur la dernière, L'heure du crime, j'éteins les machines pour un petit duo où je jouai du piano préparé échantillonné par l'Ircam, histoire d'entériner le fait que Le violon dingue est bien un duo. Fabiana ignorait l'allusion au violon du peintre, qui me fit penser à la revendication de mon camarade Bernard Vitet qui aimait se considérer comme un dilettante. Nous restons des amateurs, étymologiquement ceux qui aiment. C'est rien de dire que nous nous sommes beaucoup amusés.
Nous avons terminé la journée à la Philharmonie de Paris où se donnaient Un survivant de Varsovie de Schönberg et la 13e symphonie Babi Yar de Chostakovitch.

→ Fabiana Striffler & Jean-Jacques Birgé, Le violon dingue, en écoute et téléchargement libres sur drame.org et bientôt sur Bandcamp.

jeudi 20 mars 2025

Construire un arc musical


Parmi les petits sujets tournés en 1993 pour mon film Idir & Johnny Clegg a capella je n'avais jamais regardé le petit bonus inédit où Clegg fabrique des arcs musicaux avec les bambous de son jardin. Je l'ai conservé ici dans la continuité comme s'il s'agissait d'un didacticiel. Il n'y aurait qu'à suivre chacune des étapes. Une petite démonstration de lutherie roots.


Collectionneur de tout ce qui peut produire du son et virtuose de la guimbarde, je n'osai pourtant pas demander à Clegg de m'offrir l'un de ces arcs ou de m'en construire un tant cela lui avait donné du mal. Mais je possédais au moins le mode d'emploi. Vingt ans plus tard, les bambous de mon jardin ont largement atteint la maturité requise. Eux, moi pas.

P.S. : Pendant que j'y suis, voici le film en version française (les sous-titres sont pour Clegg, dans la version angaise ils sont pour Idir !), tel que diffusé dans le cadre de Là-bas si j'y suis...



Article du 28 février 2013

mercredi 19 mars 2025

J'accuse...! (1989)


Je publie de temps en temps d'anciens articles en les réactualisant, essentiellement les liens qui ont changé depuis 21 ans que je tiens ce journal extime quotidien. L'exposition Alfred Dreyfus. Vérité et justice, qui se tient au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (mahJ) de Paris, jusqu’au 31 août 2025, m'incite à reproduire celui que j'écrivis le 22 février 2013.

Les archives se suivent, mais ne se ressemblent pas. 1989, c'était le Bicentenaire de la Révolution française. Trois ans avant de monter Le K avec Richard Bohringer qui nous valut une nomination aux Victoires de la Musique, nous avions choisi l'acteur pour incarner Émile Zola dans son célèbre pamphlet J'accuse, modèle du genre et article historique de 1898 sur le racisme dont l'antisémitisme publié à l'occasion de l'affaire Dreyfus. L'article était paru sous la forme d'une lettre ouverte au président de la République française, Félix Faure, dans le journal L'Aurore. Un film de notre spectacle avait été tourné, mais personne ne le vit jamais, du moins à ma connaissance.


Ce 18 novembre 1989, Christian Gomila tourna le spectacle à cinq caméras, mais la coupure des instrumentaux au montage me contraria tant que j'oubliai le film dans sa boîte jusqu'à aujourd'hui. Dommage, car la captation donne une bonne image du genre de spectacle que nous montions à cette époque, même si l'orchestre frigorifié jouait complètement faux !
Avec Bernard Vitet et Francis Gorgé nous avions choisi d'accompagner un texte pour changer de nos ciné-concerts qui commençaient à devenir à la mode. Notre trio d'Un Drame Musical Instantané en composa donc la musique. Arnaud de Laubier nous présenta le metteur en scène Ahmed Madani qui apportait dans sa musette le scénographe Raymond Sarti, le créateur lumière Thierry Cabrera et la costumière Malikha Aït Gherbi. De notre côté nous amenions Bohringer alors au plus haut de sa cotte de popularité, la chanteuse Dominique Fonfrède et les 70 musiciens de l'Orchestre Départemental d'Harmonie des Yvelines dirigé par Jean-Luc Fillon !


Raymond Sarti avait collé un chapiteau gonflable de cinq étages de haut le long de l'une des tours de Mantes-la-Jolie destinée à être détruite. La façade de l'immeuble comme l'ancien parking ainsi recouverts étaient entièrement bleus avec de grosses croix blanches ici et là. Il avait fait creuser une tranchée pour notre trio, monter une colline pour l'orchestre et empiler des sacs de jute au milieu de la scène. Des croisillons plantés dans la terre donnaient au décor des allures de Verdun. Tout avait été repeint, un étrange mélange de Yves Klein, Christo et Kubrick ! Richard arpentait les étages jusqu'aux balcons. Son rôle lui permettait les envolées lyriques qu'il affectionnait. La même année, nous avions repris la partie de l'orchestre sous le titre de Contrefaçons à la Maison de la Radio. Comme d'habitude, Bernard Vitet jouait des trompettes, Francis Gorgé des guitares, et j'étrennai mon synthétiseur Ensoniq VFX-SD. Plus les 70 musiciens...
De même que nous avions choisi une image du Ku Klux Klan pour annoncer le spectacle, nous avions demandé à Dominique de reprendre Der Hass ist der Armen Lohn que je chantais dans l'album Kind Lieder, histoire d'universaliser notre propos. Comme nous jouions au milieu des tours de Mantes, Ahmed Madani avait engagé comme service d'ordre les gars plus méchants de la cité, ce qui n'empêcha pas la femme du vice-président de Louis Vuitton, dont la Fondation pour l'Opéra et la Musique nous aidait, de recevoir un caillou sur la tête ! Cela marqua la fin de notre collaboration ! Trois ans plus tard, Dominique Cabrera tourna Chronique d'une banlieue ordinaire sur les anciens habitants de la tour qui allait être détruite et j'en composai la musique...

mardi 18 mars 2025

Les garçons de la bande


Il fallait être gonflé pour réaliser en 1970 un film sans tabou sur le milieu homosexuel à New York. Adapté d'une pièce de Broadway au succès imprévisible, Les garçons de la bande (Boys in the band) reprend la distribution de la pièce dont les comédiens sont tous exceptionnels. Produit par son auteur Mart Crowley, le film est un tour de force cinématographique pour le jeune William Friedkin qui tournera French Connection l'année suivante. Mise à part l'introduction présentant rapidement chaque personnage dans les rues de l'Upper East Side et que l'on ne résistera pas à revoir dès la projection terminée, l'action se passe en temps réel dans l'appartement d'un des neuf garçons. Le découpage est à la hauteur des dialogues ciselés et de la qualité de l'interprétation. Une merveille !
Si les personnages pourraient être les mêmes aujourd'hui, les conditions sociales ont changé depuis quarante ans. Il faut imaginer ce que cela signifiait d'être homosexuel en 1967, date où la pièce fut écrite par Crowley. Si cette sortie en DVD [aujourd'hui épuisé] par Carlotta [tombait] au moment du débat sur le mariage pour tous et toutes, les réactions de l'époque étaient autrement plus brutales, au mieux une incompréhension totale. La sexualité des garçons passe au-dessus des clivages religieux, sociaux ou raciaux. Encore que sur ce dernier point le rappel à l'ordre sera particulièrement douloureux. Commencé comme une comédie exubérante, le film glisse doucement vers le drame psychologique, les visages fondant sous la chaleur de l'orage. La critique sentimentale dépasse largement l'inclination sexuelle des boys, même si on a rarement déployé au cinéma autant d'intelligence et de sensibilité sur le sujet. Le film n'a pas toujours été bien perçu, accusé d'Uncle Tomisme ou de stéréotype par les uns, de perversion par les autres. Sa découverte est aujourd'hui époustoufante. Ce film du réalisateur de Killer Joe est un chef d'œuvre qui ravira les amateurs de comédie, queer ou pas.

Depuis cet article du 13 février 2013 j'ai revu ou découvert tous les films de Friedkin, dont Sorcerer, Cruising, To live and die in L.A., Killer Joe figurent parmi mes préférés...

lundi 17 mars 2025

Defiant Life de Vijay Iyer et Wadada Leo Smith


Après les déferlantes du 7 mars, les ruines de Gaza et les cigales amazoniennes de mardi dernier, entrer en contemplation grâce à la sobriété du trompettiste Wadada Leo Smith et du pianiste Vjay Iyer est tout à fait salutaire. Que le premier soit d'origine indienne et que le second ait atteint ses 83 ans influencerait-il le calme olympien de cette musique qui respire entre les notes ? On a le temps de penser. Or lorsque les deux musiciens américains se penchent calmement sur le monde, ils ont tragiquement mal à l'homme. Après un prélude d'une sobriété exemplaire évoquant la souffrance et la résilience, ils réfléchissent le sumud, comme on nomme la persévérance des Palestiniens à rester sur leurs terres et à résister à la colonisation israélienne. Se référer cette fois à mon article de lundi dernier ! Le Floating River Requiem de Smith s'anime quelque peu en mémoire de Patrice Lumumba, leader congolais indépendantiste assassiné en 1961, comme le Kite d'Iyer pour Refaat Alareer, écrivain et poète palestinien tué à Gaza en décembre 2023. Tout le disque est dédié à cette "vie de défi" où les idées nobles sur le monde sont broyées par l'absurdité criminelle. Ne se déparant pas d'une absolue sérénité, les deux musiciens rendent ainsi hommage à la résistance. Hélas seulement le temps d'un disque, on fait ce qu'on peut, et des minutes qui suivent, on n'oublie surtout pas. Attaquer l'art, l'interdire ou tenter de le faire taire économiquement ou politiquement, annonce toujours le pire. On dit que la musique adoucit les mœurs. Sans misanthropie aucune, lucides et catastrophés, Vijay Iyer et Wadada Leo Smith font passer un magnifique souffle salvateur qui nous réconcilie avec l'humanité.

→ Vijay Iyer / Wadada Leo Smith, Defiant Life, CD ECM / Universal Music, sortie le 21 mars 2025

vendredi 14 mars 2025

Les déments sur Bad Alchemy


Traduction, tant bien que mal de ma part, de l'article de Rigobert Dittmann dans le numéro 128 de la revue allemande Bad Alchemy.

Déjà avec 'Fictions' (2022), JEAN-JACQUES BIRGÉ et le saxophoniste ténor LIONEL MARTIN avaient feuilleté 'La bibliothèque de Babel', 'Le jardin des sentiers qui bifurquent', 'La loterie de Babylone', 'L'implacable mémoire' chez Borges. Pour Les déments (GRRR - OUCH !, 2xCD), ils ont fait appel au comédien DENIS LAVANT, connu pour "Les Amants du Pont-Neuf" et "Beau travail". Il a choisi quatre textes, sa voix swinguant et se brisant dramatiquement, tandis que jouent Martin avec Birgé aux claviers, synthétiseurs, shahi-baaja, flûtes, harmonica, guimbarde, sifflets et percussions : 'M'accorderez-vous ?' du rebelle anarchiste Marcel Moreau (1933-2020) et...

'Cantode du Lobélisque', un texte en « paralloïdre » d’André Martel (1893-1976) :

Salutoi !
Longobo Lobélisque
Dela Concorderie !
Quantou zadmire Élyse,
Toa, tutenfous :
Tu gestes !
Enfaçatoi,
Dé blableurs grandiloques
Izonbo
Linguer à follaglottes
Mirobolesques ;
Toa, tutenfous :
Tu gestes !
Paloindatoi,
Poperkicons pédapopules
Izonbo
Sencourser à suésouffle
Por lagagne du croustidien,
Toa, tutenfous :
Tu gestes !

Puis 'Les déments', poème du Breton Xavier Grall (1930-1981) qui se termine par les mots :

Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments
À quel orme
Pour quel suicide ?
Seuls ils rient tels des idiots
Des choses de la vie et des grimaces de la mort
Et l’aube bondissante les trouve ainsi
Affalés dans leur fêlure mentale
La soif des gnôles meurtrières et flamboyantes
Reprend alors leur esprit solitaire
Et c’est en titubant
À Botmeur, Commana et Brasparts
Qu’ils arpentent les chemins du néant
Face à la haine des pierres et au cynisme des ifs
Nos déments, nos semblables, nos frères…

Enfin 'Petit chien sans ficelle', près de 34 minutes tirées des 'Mémoires d'enfance' d'André Schlesser (1914-1985), qui fut l'époux de Maria Casarès (la Nathalie des « Enfants de l'Olympe » et la maîtresse de Camus), acteur de théâtre, chanteur et artiste de cabaret. C'est justement parce que je ne comprends pas le français et que les quatre poètes, évidemment non traduits, restent pour moi énigmatiques, que je suis reconnaissant à Birgé, Martin et surtout Lavant, pour la manière fascinante dont ils font de la France un pays authentiquement français, sans se laisser influencer par l’étranger.

→ Le double CD Les déments est déjà sur Bandcamp, sortie officielle le 9 mai 2025, dist. Inouïe

jeudi 13 mars 2025

Pentadox, comme si c'était demain


Il y a six ans déjà j'avais évoqué Between, le premier disque du groupe Pentadox. Arrive le second, As if it were tomorrow. Suis-je condamné à aimer tous les disques où joue le batteur belge Samuel Ber ou seulement ceux où il compose tout ou partie du répertoire ? C'est peut-être une histoire de peau. Peau des tambours accordées comme chez Max Roach ou Éric Échampard, sans que les cymbales viennent noyer l'orchestre dans un bruit blanc homogénéisateur. Puisque tout cela est principalement affaire de goût, je rêve d'un contexte moins explicitement jazz, même si ses deux comparses, le ténor Sylvain Debaisieux et le pianiste Bram De Looze sont aussi excellents. Envoient-ils tendrement des messages dans l'au-delà pour ressusciter Ornette ? Touche-t-on à l'infini lorsque les trois musiciens, avançant sur des voies parallèles, se retrouvent au même endroit ? Le temps passe. Est-on vraiment demain ou y était-on hier ? La musique de Pentadox nous accompagne, claire, précise, délicate, libre comme jazz.

→ Pentadox, As if it were tomorrow, CD Challenge Records

mercredi 12 mars 2025

Trois nouveaux articles sur Audion 81


Alan Freeman chronique trois de mes albums sur le numéro 81 de la revue Audion (mars 2025). Le premier, Solo Studies, n'est accessible qu'en ligne sur drame.org et date d'avant mon premier disque, soit 1974. Le second, Animal Opera, est le plus récent ; il rassemble l'opéra Nabaz'mob pour 100 lapins Nabaztag et un enregistrement de field recording, sans aucun mixage, réalisé l'été dernier en Amazonie. Un extrait de chacun de ces albums figure sur la version multimedia de la revue. Le troisième, Tchak, est un disque de 2000 inédit d'Un Drame Musical Instantané, dernier enregistrement avec Bernard Vitet, accompagné de Nem et du guitariste Philippe Deschepper.

Jean-Jacques Birgé, SOLO STUDIES (GRRR 3086) Online 119mn

Musicien des plus talentueux et explorateurs, dont les sorties s’étalent sur cinq décennies, le Français Jean-Jacques Birgé est connu de certains d'entre vous grâce au merveilleux album de Birgé Gorgé Shiroc, DÉFENSE DE, où il jouait principalement du synthétiseur ARP 2600. Cet ensemble d'archives des années 1970 commence néanmoins avant même celui-ci, les deux premiers titres du début de l'année 1974 montrant à quel point il pouvait être créatif avec des outils plus primitifs entre les mains.
L'Étude Janvier Pour Bölde, qui ouvre l’album, inclut un collage de bandes, de la voix, de l’orgue Farfisa, de la flûte, de la guimbarde, de l’électronique, et s'apparente à une sorte de Dada bizarre, dans la lignée de ce que certaines personnes impliquées dans LAFMS (Los Angeles Free Music Society) faisaient aux États-Unis, ce qui est d'autant plus intriguant en français. Suit Un Dernier Écho qui est entièrement composé à l’orgue Farfisa, et ressemble à une sorte de Terry Riley dyslexique et chaotique !

Jean-Jacques Birgé, ANIMAL OPERA (GRRR 2038), CD 63mn

Ce tout nouveau disque de Jean-Jacques Birgé est tout à fait différent de ce que l'on trouve dans la collection d'archives ci-dessus. ANIMAL OPERA est le résultat de différents types de musique et de palettes sonores créées par Jean-Jacques et que l'on peut assimiler à des bruits animaliers. Les résultats sont extrêmement variés, allant de cacophonies électroacoustiques, de tissus sonores plus complexes et construits, jusqu'à de la quasi-musique. Deux des trois pistes, l'œuvre du début et celle de la fin, Nabaz'mob, sont réalisées avec « 100 lapins intelligents » en plastique, dont chacun contient un petit synthétiseur et un haut-parleur. La façon dont ils sont contrôlés, à moins qu'il ne s'agisse simplement d'une cacophonie aléatoire, n'est pas entièrement expliquée. Il se pourrait que nous ayons un indice à ce sujet, grâce à une photo qui montre Jean-Jacques en action, semblant diriger les lapins.
L'autre morceau, L'Aube À Shimiyacu, est constitué de sons animaliers authentiques que Jean-Jacques a enregistrés dans la jungle péruvienne. Il les considère comme une sorte de modèle musical. La méthode utilisée s'apparente à de la peinture sonore, et les résultats sont très inhabituels.
Dans l'ensemble, ANIMAL OPERA est certainement un disque véritablement unique, et tout à fait différent de tout ce que j'ai entendu auparavant, à l'exception peut-être d'un certain Luc Ferrari - dans la méthode, si ce n'est dans le son.

Un Drame Musical Instantané, TCHAK (Klanggalerie gg477), CD 58mn

Si vous pensiez savoir ce qu'était le groupe français Un Drame Musical Instantané, de leur style ou de leurs paramètres musicaux - eh bien, détrompez-vous ! TCHAK ne correspond pas, ou très peu, à ce qu'ils ont fait auparavant. Même le morceau d'ouverture Le Silence Éternel Des Espaces Infinis M'effraie, duo de Bernard Vitet (bugle) et Jean-Jacques Birgé (machines), est une surprise, de la musique de synthèse, atmosphérique et mélodique, un peu à la manière de Peter Frohmader avec au-dessus un très beau solo de bugle tout en retenue.
Sur le reste de l'album on trouve cependant Nem - apparemment un artiste techno qui est essentiellement crédité à la drum 'n bass et/ou aux vinyles. La musique va d’un truc étrange genre Frap à du hip-hop glitchy, en passant par de l'acid jazz et d'autres styles. L'autre morceau qui m'interpelle est l’index 6, intitulé 1936, dans lequel les vinyles de Nem consistent principalement en des sons de disques rayés et d'explosions, tandis que la musique sonne essentiellement comme un morceau perdu de Jac Berrocal. Ou encore le morceau final Machiavel Meeting, avec son côté « dansons avec les djeunz », donne l'impression que les neuf musiciens impliqués ont pris beaucoup de plaisir à le faire. Bien entendu, c'est le cas pour toute leur musique, en fonction de votre adhésion aux styles qui y sont inclus. J'assimilerais ce disque d’Un Drame Musical Instantané à l'avant-hip-hop de Nurse With Wound façon ROCK 'N' ROLL STATION.

mardi 11 mars 2025

« Animal opéra » de Jean-Jacques Birgé : un acte pour les insectes, deux pour les lapins


Entretien avec François Mauger à propos de mon nouvel album Animal Opera pour 4'33 Mag. J'imagine que la photo (têtière, Marc Pascual, via Pixabay) qui l'illustre est juste, car mon interlocuteur se passionne pour l'écologie sonore. J'avais moi-même photographié plusieurs cigales dont celle ci-dessous qui lui ressemble grandement...


À Tarapoto j'avais aussi pris en photo des mantes religieuses, des fourmis paraponera dites "balle de fusil" et d'étranges papillons triangulaires et cornus, mais ce sont certainement des centaines de ces grosses cigales qui frottaient leurs élytres à l'aube et au crépuscule pour produire ce vacarme assourdissant, probablement une parade d'amour.


Les lapins de notre opéra Nabaz'mob étaient beaucoup plus délicats, mais non moins inquiétants !

lundi 10 mars 2025

From Ground Zero - Stories from Gaza


Dans les années 90 j'entretenais une petite correspondance avec John Zorn. Mais le jour où je lui ai exprimé mon point de vue sur le sionisme et la politique du gouvernement israélien, je reçus en retour un fax (oui à l'époque c'est ainsi que l'on correspondait) où il avait simplement dessiné une tête de mort. Là s'arrêtèrent nos échanges. Plus tard, comme il faisait la manche pour sauver son club The Stone à New York, je m'étonnais qu'un musicien aussi en vue, avec des cachets faramineux (du moins à l'étranger), capable de produire autant sur son label Tzadik, adopte un système qui me paraissait plus adapté à de jeunes musiciens ou véritablement dans le besoin. Le crossfunding (financement participatif) d'Agnès Varda et JR pour leur film Visages, villages m'apparut aussi choquant. Aussitôt Fred Frith, avec qui j'avais toujours entretenu d'excellents rapports, me raya de ses amis. Il avait choisi son camp. J'avoue avoir ressenti quelque tristesse, comme lorsqu'un vieil ami ou comparse vous trahit, sentiment qu'ils ont probablement partagé de leur côté.
J'ai repensé à cette histoire de tête de mort en regardant le film From Ground Zero réalisé par 22 réalisateurs et réalisatrices. Ce puzzle de documentaires, fictions, films d’animation et films expérimentaux réalisés par des Palestiniens qui ont tout perdu après les bombardements qui ont rasé leurs villages, m'a évidemment rappelé la série Chaque jour pour Sarajevo à laquelle j'avais participé en 1993. Pas le moindre mouvement de haine, les Israéliens ne sont même pas nommés, juste la peur et la tristesse qu'engendre la guerre avec ses milliers de morts civils. On y voit simplement les Palestiniens vivre, ou plutôt survivre, au jour le jour, dans la débrouille du rien qui reste. Comment les survivants pourront-ils se remettre d'une telle catastrophe ? Le film ne livre pas une seule pensée politique, ce qui a pu choquer les plus radicaux. Il nous touche parce que nous voyons des gens comme nous, sur qui le ciel est tombé jusqu'à transformer le paysage comme celui de Dresde après les bombardements alliés. Évidemment cela ne vient pas d'hier. Plusieurs témoins évoquent 1948, comparaison évidente avec la Nakba, fuite ou exil forcé de 750 000 habitants de la Palestine mandataire, ou la guerre de 2014 que les Israéliens nommèrent "bordure protectrice" !


Ce génocide, parce qu'il faut bien le nommer, même si le film évite habilement toute polémique, fait honte à mes origines, à ma culture. Soixante quinze ans de brimades, de spoliations, de crimes contre l'humanité. La colonisation engendre la terreur, de tous côtés, peu importe que ce ne soit pas à armes égales. Il est évident que le Hamas et le Likoud sont des alliés objectifs, les populations en assumant les conséquences. J'avoue avoir en horreur tout repli communautaire, et la collusion de l'église et de l'État en fait partie. Peut-être alors John Zorn a-t-il compris que je ne pouvais pas adhérer à sa revendication de "Radical Jewish Culture". Je me demande ce qu'il en pense aujourd'hui ? Se rend-il compte des conséquences d'un tel concept ?
Quelles que soient vos opinions il faut voir ce film, qui montre simplement la vie quotidienne au travers de petites anecdotes, bien filmées, car ce n'est pas du reportage, mais un documentaire digne, humble, profond et puissant. Y témoignent ou s'y mettent en scène des enfants, des adolescents, des mères de famille, un coiffeur, un maître d'école, des artistes, ce qui constitue une humanité.

samedi 8 mars 2025

Désir Nocturne (1975) et Nabaz'mob (2010) sur Audion 81


Grosse surprise de découvrir, par la page FaceBook d'Alan Freeman, des extraits de deux de mes pièces sur la version multimedia du numéro 81 de la revue Audion. Bien entendu je ne me souvenais pas du tout de Désir nocturne enregistré il y a 50 ans le 3 janvier 1975 sur mon ARP 2600. Il fait partie des études que j'ai publiées sur drame.org. La seconde pièce, Nabaz'mob des V2, est plus récente, puisque cet opéra pour 100 lapins connectés fut enregistré en 2010, mais il fait partie du nouveau CD Animal Opera qui vient de paraître. Vous pouvez écouter ces deux pièces suivies d'autres par différents compositeurs sur Bandcamp, et lire la revue pendant que vous y êtes...

vendredi 7 mars 2025

Mutants in Siberia / Life Is Cheap... But Toilet Paper Is Expensive


Coup sur coup je regarde un film américain d'une liberté qui n'est plus de notre époque et j'écoute un CD français qui zappe aussi démentiellement que lui. Détails importants, le film Life Is Cheap, But Toilet Paper Is Expensive est réalisé par un cinéaste chinois (émigré aux USA) et les deux musiciens de Mutants In Siberia, qui se sont rencontrés à Saint-Petersbourg, sont suisse et tchèque. Le long métrage, mix d'avant-garde hong-kongienne et de nouvelle vague godardienne, ne ressemble à rien, tandis que le disque rappelle Les petites marguerites de Věra Chytilová ou certaines expérimentations de Christian Marclay. Autant dire qu'il ne faut pas chercher de continuité scénaristique dans la fiction de Wang ni de sérénité dans l'album de Lanz et Vrba. J'aurais pu ajouter les tests graphiques et sonores d'Étienne Mineur qui a passé la semaine à torturer l'intelligence artificielle jusqu'à réaliser d'hallucinantes séquences hystériques au BPM survitaminé.


En réalisant en 1989, l'année de Tian'anmen, donc aussi avant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, Life Is Cheap... But Toilet Paper Is Expensive, le but de Wayne Wang était évidement de choquer, de provoquer de toutes les manières, et il ne nous épargne rien, avec un humour corrosif que l'on retrouve dans l'entretien qu'il donne avec son chef-opérateur, Spencer Nakasako. Wang avait 40 ans, il en aujourd'hui 76, mais les deux vieux garnements ont le rire communicatif. Il n'a d'ailleurs jamais cessé de remonter le film jusqu'en 2021, date de cette nouvelle restauration. Son commentaire passionnant sur Hong-Kong éclaire sa vision critique où la corruption rivalise avec les gangs mafieux. Tourné sans scénario préétabli, souvent caméra à l'épaule (la scène de poursuite depuis les hauts de la ville jusque dans ses entrailles est anthologique), rempli de références cinématographiques détournées, je retrouve dans le montage ce qui m'animait lorsque je tournai La nuit du phoque avec Bernard Mollerat.
Le lendemain soir j'écoutais donc le CD de Joke Lanz & Petr Vrba, le premier aux platines et à la voix, le second à la trompette et sons électroniques, comme le prolongement sonore de ce délire qui me mit radicalement sur les genoux. Mais l'important est que j'ai ri. C'est ce que produit parfois le paroxysme.

→ Wayne Wang, Life Is Cheap... But Toilet Paper Is Expensive, Blu-Ray Carlotta, sortie le 4 mars 2025
→ Joke Lanz & Petr Vrba, Mutants in Siberia, CD Circum-disc, sortie le 21 mars 2025

jeudi 6 mars 2025

Les déments avec Denis Lavant, Lionel Martin et Jean-Jacques Birgé


« Ode à la vie, mélange des sons, force et beauté des mots sublimés par la puissance et le charisme du comédien Denis Lavant en transe avec le saxophone de Madsaxx (Lionel Martin) sur la musique débridée et sans frontières de Jean-Jacques Birgé. Liturgie rock 'n roll ! ». Le 9 mai prochain sortira un double CD qui nous tient très à cœur. Nous sommes si impatients de le partager avec vous que vous pouvez l'acquérir dores et déjà sur Bandcamp. Après notre vinyle Fictions inspiré par Jose Luis Borges, publié sur le label OUCH! en 2022, Lionel Martin et moi-même avons invité Denis Lavant à se joindre à nous le temps d’une journée pour improviser ensemble sur des textes choisis par le comédien.

Je ne connaissais aucun des auteurs. Marcel Moreau (1933-2020), écrivain francophone belge, correcteur dans divers quotidiens, fut l’ami de Roland Topor, Anaïs Nin, Jean Dubuffet et Jean Paulhan. L’écrivain et poète André Martel (1893-1976), régent du Collège de Pataphysique, inventeur d’une langue dérivée du français, le paralloïdre, fut secrétaire de Jean Dubuffet. Xavier Grall (1930-1981) est un poète, écrivain et journaliste breton, ami d’Alain Gruel et Glenmor. D’origine gitane, André Schlesser (1914-1985), chanteur et cabarettiste, travailla avec Jean Vilar, chanta en duo avec Marc Chevalier sous le nom Marc et André, cofonda le cabaret L’écluse, écrivit Souvenance pour Barbara, et finit sa vie avec Maria Casarès qu’il épousa.

Nous avons travaillé sans filet. Nous ignorions quels textes Denis apporterait, les découvrant dans le feu de l'action. Je lui demandais simplement de quoi il était question. Lionel ne voulait rien savoir non plus des sons et des instruments que je sélectionnais en fonction. Il avait simplement apporté son saxophone ténor et une petite panoplie de pédales, alors que je bénéficiais de toutes les ressources du studio GRRR (claviers, synthés, shahi-baaja, flûtes, harmonica, guimbarde, percussion). Nous n'avons rien eu besoin de nous dire en amont. Denis laissait respirer la musique comme si tout était écrit, prévu. Nous accompagnions son récit en osmose ou contrepoint de manière à créer un décor, souligner une émotion, incarner la réplique. Le résultat est un trio, soudé, rebondissant, vibrant en sympathie comme si nous nous étions toujours connus.


De mon côté je pratique ce sport depuis longtemps en créant de très nombreux spectacles avec des comédiens. J'avais commencé les lectures en musique dès 1972. La liste des auteurs est longue : Arrabal, Philippe Soupault, Henri Pichette, Gilbert Lascault, Jean Vigo, Josef von Sternberg, Jules Verne, Edgar A. Poe, Michel Tournier, Régis Franc, Dino Buzzati, Alain Monvoisin, Dominique Meens, Charlie Mingus, Michel Houellebecq, André Velter, Pierre Senges... J'en oublie. Quant aux comédiens j'ai eu la chance de jouer avec Pierre Peyrou, Arlette Thomas, Michael Lonsdale, Daniel Laloux, André Dussollier, Bernard-Pierre Donnadieu, Sapho, Guy Pannequin, Eric Houzelot, Abdulah Sidran, Claude Piéplu, Frank Royon Le Mée... En 1988, j'assumai le rôle de directeur musical pour les cassettes des éditions Ducaté, Annie Ernaux lisait La place, Jane Birkin les Lettres de Katherine Mansfield, Ludmila Mikael Le chemin de la perfection de Sainte Thérèse d'Avila, Annie Girardot Maudit manège de Philippe Djian. Pour l'album Le Chronatoscaphe célébrant les 25 ans du label nato j'écrivis les dialogues de Nathalie Richard et Laurent Poitrenaux, et c'est Feodor Atkine qu'on entend dans mon court-métrage Le sniper... J'ai même fait l'acteur en lisant du Pessoa ! La première version scénique du K et Jeune fille qui tombe, tombe... fut créée avec Michael Lonsdale et Un Drame Musical Instantané en 1985, avant d'être reprise en alternance par Richard Bohringer ou Daniel Laloux. Publié en CD, Le K avec Richard Bohringer fut nommé aux Victoires de la Musique en 1992, Daniel Laloux enregistrant Jeune fille... pour le label in situ. En 1996 j'enregistrai deux CD avec Michel Houellebecq, l'un pour Radio France, l'autre dont l'auteur dit que "c'est sa seule collaboration réussie avec un musicien", Établissement d'un ciel d'alternance, sur le label GRRR.

Quant à Lionel Martin, il accompagne la poète Samira Negrouche depuis quelques années. Il a composé la musique d'un documentaire sur Patrick Chamoiseau, collabore intensément avec le metteur-en-scène Laurent Frechuret au théatre autour de Rimbaud, etc. Il a toujours adoré se produire avec de la poésie ou du texte dit, chanté ou hurlé comme avec le slameur Mehdi Kruger depuis 2010, et bien entendu au sein de No Suicide Act, acte théâtral performé avec le chanteur des ex-Bérurier Noir...

Et puis, même si sa notoriété est liée aux films de Leos Carax, Denis Lavant est avant tout un homme de théâtre, se définissant comme un saltimbanque. Il a aussi enregistré quelques disques fameux dont certains avec des musiciens comme Thierry Müller, Quentin Rollet, Sylvain Kassap, Ramon Lopez, Claude Tchamitchian, Serge Teyssot-Gay, Jérôme Voisin, Sylvain Lemêtre, Serge Bertocchi et d'autres.

Chaque fois l'enjeu réside pour moi à mettre en valeur le texte sans reléguer la musique à un fond sonore. Comme dans un film, l'acteur principal n'oblitère pas les autres protagonistes, le décor, la lumière, le montage, etc. Les évocations radiophoniques comme Les maîtres du mystère que j'écoutais enfant m'ont certainement marqué. Je connais encore par cœur les adaptations sonores de La marque jaune ou Buffalo Bill, mais ce sont certainement L'histoire du soldat de Ramuz et Stravinski, Un survivant de Varsovie d'Arnold Schönberg, les opéras du début du XXe siècle qui m'ont donné le goût de cette rencontre entre musique et littérature.


Voilà donc l'objet imprimé sur du carton retourné, une partie de plaisir vécue un jour où la neige tombait sur Paris. Ella & Pitr, qui avaient déjà réalisé la pochette du vinyle Fictions pour Lionel et moi, ont réitéré, avec des taches projetées sur un mur, avec des yeux comme deux oreilles sortant de chaque côté du digisleeve trois volets.

→ Denis Lavant, Lionel Martin, Jean-Jacques Birgé, Les déments, double CD GRRR+OUCH!, dist. Inouïe, sortie officielle le 9 mai

mercredi 5 mars 2025

"Album" de Birgé-Delaunay-Negro in Bad Alchemy 127


Dans le nouveau numéro de Bad Alchemy, le 127 daté de février 2025 (couverture Blinde Macht de Rudolf Schlichter, 1932/37), Rigobert Dittmann publie une traduction allemande de "Avant que ça commence", longue préface que j'ai écrite en anglais pour le livre de Steven & Alan Freeman, Twillight of The Alchemists, encyclopédie de musique française (rock progressif, expérimental, électronique, etc.). Suit une chronique du dernier Apéro-Labo intitulé ALBUM.

13 décembre 2024 : Jean-Jacques Birgé a de nouveaux invités au studio GRRR. Cette fois-ci CATHERINE DELAUNAY, connue pour « La Double Vie de Pétrichor » et, avec Tony Hymas, « No Borders » sur Nato, à la clarinette et percussions, et ROBERTO NEGRO, le pianiste et compagnon de jeu de Théo Ceccaldi, au piano, petites percussions, piano-jouet et tube harmonique. Pour « Album (Apéro Labo 6) », Eliott, le petit-fils de JJB âgé de 6 ½ ans, choisit des images au hasard dans un livre de photos éponyme (paru chez L'École des loisirs en 1995), qui servent ici de fil conducteur à leurs improvisations. Sa maman avait reçu ce livre de JJB lorsqu'elle était elle-même enfant, et il est donc logique de considérer la mise en musique de 'Un manège', 'Un chat', 'Des mariés', 'Un arbre', 'Une fourchette', 'Un garage', 'Une gare', 'Des lézards', 'Un lion' et 'Une main' à la fois comme un jeu d'enfant et une affaire de famille. Mais c’est aussi un nouvel échantillon du plaisir de jouer ensemble, sans contrainte, lui au clavier, sampling, synthétiseurs, guimbarde, inanga, erhu, flûte, harmonica, baudruche, etc., cette fois avec deux personnes totalement étrangères l'une à l'autre, prêtes à s'ouvrir mutuellement leurs âmes d'enfants. Ludique, mélodieux et philanthropique (enfants et lézards compris). All lives matter ! Le bruit de la mer transforme le monde entier en manège, les souris ont accroché des clochettes au chat. Le mariage est une fête de gaieté, de drôlerie et de vitesse. Dans l'arbre aux racines noueuses, la vie palpite, bruisse, gazouille, la fourchette se précipite au pays des merveilles au son du carillon et du piano en boum-train-staccato. Les garages français sont aussi des palais des merveilles pleins de beats dansants, de cornes gémissantes, de vrombissements de synthé, tandis que les gares révèlent les noces de l'adieu et de l'espoir, pleines de pianos mineurs et de souvenirs de pommes de terre sous la cendre et de chants d'oiseaux réveillés par l’harmonica et la guimbarde. Le Lizard-Wizardry se faufile en terrain bruitiste avec un piano-épave de Bolleter, le lion et la clarinette rêvant de xylobats dans un zoo genre Parc de Serengeti. Ah, ce que peut être une tête, ferraille et dancing, éponge de la nostalgie, de la mélancolie et de la magie tendrement amère de Delaunay.

Si vous avez des doutes sur ma traduction, voici le texte original en allemand : 13. Dezember 2024: Jean-Jacques Birgé hat wieder Gäste im Studio GRRR. Diesmal CATHERINE DELAUNAY, bekannt durch „La Double Vie de Pétrichor" und, mit Tony Hymas, „No Borders" auf Nato, an Klarinette & Percussion und ROBERTO NEGRO, den Pianisten und Spielgefährten von Théo Ceccaldi, an Yamaha U3, kleinen Schlaginstrumenten, Spiel-zeugklavier oder Bullroar. Als Leitfaden ihrer auf „Album (Apéro Labo 6)" (DL) versammelten Improvisationen diente ein gleichnamiger Fotoband (erschienen bei L'école des loisirs, 1995), aus dem JJBs 6 ½-jähriger Enkel Eliott zufällige Bilder auswählte. Seine Mutter hatte als Kind dieses Buch von JJB geschenkt bekommen, und so liegt es auch nahe, die Verklangli-chung von 'Un manège', 'Un chat', 'Des mariés', 'Un arbre', 'Une fourchette', 'Un garage', 'Une gare', 'Des lézards', 'Un lion' und 'Une main' als Kinderspiel und Family Affair zu betrachten. Aber zugleich als weitere Kostprobe der Freude am gemeinsamen, zwanglosen Spielen, er an Samplingkeyboard, Synthesizern, Maultrom-mel, Inanga, Erhu, Flöte, Mundharmonika, Ballon usw., diesmal mit zwei gänzlich Unvertrauten, bereit, einander ihre kindlichen Seelen zu öffnen. Spiellaunig, melodisch und menschenfreundlich (Kinder und Eidechsen inklusive). All lives matter! Meeresrauschen macht die ganze Welt zur Manege, die Mäuse haben der Katze Glöckchen angehängt. Die Hochzeit ist ein Fest aus Fröhlichkeit, Komik und Tempo. Im knorrig verwurzelten Baum pocht, huscht, zwitschert Leben, die Gabel eilt zu Windspielklingklang und Piano in Bum-melzugstaccato durchs Wunderland. Auch französische Garagen sind Wunderkammern voller tänzelnder Beats, stöhnendem Horn, Synthgedröhn, Bahnhöfe dagegen Zwitter aus Abschied und Hoff-nung, voller Pianomoll und mit Blues Harp und Maultrommel geweckten Erinnerungen an Kartoffelfeuer und Vogelgezwitscher. Die Lizard-Wizardry huscht durch bruitistisches Terrain und ein Bolleter-Klavierwrack, der Löwe und die Klarinette träumen im Zoo zu Xylobeats von der Serengeti. Ach, was ein Kopf nicht alles sein kann, Schrottplatz und Tanzlokal, Schwamm für Nostalgie, Melancholie und Delauneys zartbittere Magie.

mardi 4 mars 2025

Interrogations cinéphiliques


Je me demande ce que les jurys des festivals ont dans la tête lorsqu'ils accordent la Palme d'or à Anora de Sean Baker ou quatre Oscars, le Lion d'argent, plus quelques BAFTA et Golden Globes à The Brutalist de Brady Corbet. On peut comprendre l'enthousiasme pour Emilia Perez de Jacques Audiard sans le partager pour autant, ou s'emballer pour Miséricorde d'Alain Guiraudie, scandaleusement oublié des Césars, L'histoire de Souleymane de Boris Lojkine ou Le roman de Jim des frères Larrieu dont la tendre interprétation de Karim Leklou lui évite de sombrer dans le mélo, mais là ? Le film de Guiraudie met bien une heure à poser le décor avant de déjanter sévèrement, c'est nécessaire, avec un humour quasi buñuélien et une élégante propension aux suggestions. Celui de Lojkine est franchement déprimant, entretenant une tension permanente, parce que son sujet l'exige. Celui des Larrieu tient du feel good movie alors que le sujet pourrait être tout aussi déprimant. Mais l'hystérie répétitive d'Anora est d'un ennui pervers, si l'on se fiche du cynisme des riches oligarques russes et de l'arrogance imbécile du fric fêtard.
Quant à The Brutalist, on peut espérer le meilleur quand ça commence, mais après l'entr'acte on se rend compte que le comédien principal a un jeu tristement monotone, que les autres personnages ne sont absolument pas fouillés, que rien n'est développé, ni justifié ; plus on avance, plus son scénario est bâclé, avec des ellipses ridicules ou absconses. Dans la première partie, j'avais bien saisi les allusions au sublime The Foutainhead (Le rebelle) de King Vidor (un architecte visionnaire incompris et trahi, s'étant retrouvé manœuvre sur un chantier, construit un mausolée), mais à quoi servent les scènes de drogue, la séquence à Carrare, les paysages touristiques, le mutisme de la nièce qui retrouve la parole, son compagnon sorti d'un chapeau, la disparition énigmatique du milliardaire qui n'est pas celle de Louis II de Bavière, la révélation qui tombe comme un cheveu sur la soupe, quid du brutalisme, etc. Les références sont autant de croche-pieds qui font chuter Corbet et si tout le film n'est qu'une métaphore du camp de concentration, c'est tout aussi raté et on en prend pour 3h35. Et une grande partie de la critique de se gargariser. Mama mia.
Il est certain que j'ai regardé pas mal de daubes ces derniers temps. J'ai même eu du plaisir à The Gorge de Scott Derrickson, SF gore avec des monstres très réussis. J'ai aussi ri au charmant Un p'tit truc en plus d'Artus, on en a besoin de temps en temps. A Complete Unknown (Un parfait inconnu) de James Mangold (surtout le début avec Dylan, Seeger et Guthrie, très émouvant) ou The Room Next Door (La chambre d'à côté) de Pedro Almodovar furent de bonnes surprises, parce que les biopics sont rarement réussis (catastrophique Maria, encore une fois malgré les encensoirs) et que les meilleurs films d'Almodovar datent d'il y a longtemps. Ces films tiennent évidemment sur la qualité de l'interprétation. Bird d'Andrea Arnold est chouette aussi. Donc Miséricorde, Le roman de Jim, L'histoire de Souleymane, oui. Probablement pas encore vu ceux qui ne sont pas listés dans ce compte-rendu un peu foutraque ou bien je les ai déjà oubliés !

lundi 3 mars 2025

Armes, cycles et rubans


La ville de Saint-Étienne ne se limite pas à la praluline, la râpée forézienne et aux peintures murales d'Ella & Pitr ! Lors d'une précédente visite j'étais allé au Musée de la mine, et comme nous avions visité le Musée d'Art Moderne et Contemporain, dont les expositions actuelles m'ont un peu déçu, et que la Cité du design ne nous disait rien ce jour-là, nous avons dégringolé la rue sous la pluie jusqu'au Musée d'Art et d'Industrie. Armes, cycles et rubans ont longtemps fait la renommée de "Sainté", même si l'actualité se focalise aujourd'hui sur son sulfureux maire, Gaël Perdriau, qui s'accroche à son trône malgré sa mise en examen pour chantage, association de malfaiteurs et détournement de fonds publics. Nous descendons donc admirer l'ingéniosité des constructeurs de cycles en commençant par ce monocycle en bois tourné et sculpté, fabriqué à Brescia au milieu du XVIIIe siècle, sur lequel le voyageur s'installait à l'intérieur et faisait avancer la machine au moyen d'une manivelle sur une des deux petites roues roulant sur un rail intérieur de la grande !


Je suis aussi épaté par cet autre monocycle à cavalier intérieur, conçu à Londres par William Jackson en 1870, un système de bielles reliant les pédales à des manivelles : les mains peuvent donc soit tenir les repose-mains en forme de guidon, soit maniveller, les pieds sur les leviers ou sur les repose-pieds. Le site du musée montre, bien entendu, nombreux autres cycles, depuis une draisienne fabriquée en 1820 jusqu'aux dernières trouvailles.


Ma tendinite au genou me suggère de prendre l'ascenseur jusqu'à l'étage des armes, qui évidemment me passionnent moins. Elles rappellent néanmoins tous les films policiers, western ou médiévaux que j'apprécie, malgré mon inclination à la non-violence.


Le fusil à percussion centrale, construit par Jacques Rouchouse vers 1890 à La-Tour-en-Jarez, offert au pape Léon XIII, me laisse perplexe. Si j'apprécie les couteaux dont on me fit cadeaux pour la cuisine ou le camping, j'évite soigneusement les armes à feu !


J'avais oublié la taille gigantesque de certains métiers à tisser. Nous admirons également la variété des rubans, et au retour je reviens sur les trois parcours grâce au site du musée. Dehors il pleut toujours. La place du marché est vide. J'en profite pour aller m'acheter deux pantalons, puisque je n'arrive à faire ce genre de courses qu'en province. Ma gourmandise m'empêche de rentrer dans ceux que je préférais. S'il est une contrariété, c'est bien celle-ci, mais l'atavisme y est aussi pour quelque chose. En sortant du musée, il était logique de parler chiffons avant de remonter à Paris enfourcher mon fidèle destrier.