From Ground Zero - Stories from Gaza
Par Jean-Jacques Birgé, lundi 10 mars 2025 à 00:07 :: Humeurs & opinions :: #5851 :: rss

Dans les années 90 j'entretenais une petite correspondance avec John Zorn. Mais le jour où je lui ai exprimé mon point de vue sur le sionisme et la politique du gouvernement israélien, je reçus en retour un fax (oui à l'époque c'est ainsi que l'on correspondait) où il avait simplement dessiné une tête de mort. Là s'arrêtèrent nos échanges. Plus tard, comme il faisait la manche pour sauver son club The Stone à New York, je m'étonnais qu'un musicien aussi en vue, avec des cachets faramineux (du moins à l'étranger), capable de produire autant sur son label Tzadik, adopte un système qui me paraissait plus adapté à de jeunes musiciens ou véritablement dans le besoin. Le crossfunding (financement participatif) d'Agnès Varda et JR pour leur film Visages, villages m'apparut aussi choquant. Aussitôt Fred Frith, avec qui j'avais toujours entretenu d'excellents rapports, me raya de ses amis. Il avait choisi son camp. J'avoue avoir ressenti quelque tristesse, comme lorsqu'un vieil ami ou comparse vous trahit, sentiment qu'ils ont probablement partagé de leur côté.
J'ai repensé à cette histoire de tête de mort en regardant le film From Ground Zero réalisé par 22 réalisateurs et réalisatrices. Ce puzzle de documentaires, fictions, films d’animation et films expérimentaux réalisés par des Palestiniens qui ont tout perdu après les bombardements qui ont rasé leurs villages, m'a évidemment rappelé la série Chaque jour pour Sarajevo à laquelle j'avais participé en 1993. Pas le moindre mouvement de haine, les Israéliens ne sont même pas nommés, juste la peur et la tristesse qu'engendre la guerre avec ses milliers de morts civils. On y voit simplement les Palestiniens vivre, ou plutôt survivre, au jour le jour, dans la débrouille du rien qui reste. Comment les survivants pourront-ils se remettre d'une telle catastrophe ? Le film ne livre pas une seule pensée politique, ce qui a pu choquer les plus radicaux. Il nous touche parce que nous voyons des gens comme nous, sur qui le ciel est tombé jusqu'à transformer le paysage comme celui de Dresde après les bombardements alliés. Évidemment cela ne vient pas d'hier. Plusieurs témoins évoquent 1948, comparaison évidente avec la Nakba, fuite ou exil forcé de 750 000 habitants de la Palestine mandataire, ou la guerre de 2014 que les Israéliens nommèrent "bordure protectrice" !
Ce génocide, parce qu'il faut bien le nommer, même si le film évite habilement toute polémique, fait honte à mes origines, à ma culture. Soixante quinze ans de brimades, de spoliations, de crimes contre l'humanité. La colonisation engendre la terreur, de tous côtés, peu importe que ce ne soit pas à armes égales. Il est évident que le Hamas et le Likoud sont des alliés objectifs, les populations en assumant les conséquences. J'avoue avoir en horreur tout repli communautaire, et la collusion de l'église et de l'État en fait partie. Peut-être alors John Zorn a-t-il compris que je ne pouvais pas adhérer à sa revendication de "Radical Jewish Culture". Je me demande ce qu'il en pense aujourd'hui ? Se rend-il compte des conséquences d'un tel concept ?
Quelles que soient vos opinions il faut voir ce film, qui montre simplement la vie quotidienne au travers de petites anecdotes, bien filmées, car ce n'est pas du reportage, mais un documentaire digne, humble, profond et puissant. Y témoignent ou s'y mettent en scène des enfants, des adolescents, des mères de famille, un coiffeur, un maître d'école, des artistes, ce qui constitue une humanité.
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