mardi 13 mai 2025
La Collection Pinault, corps et âme(s)
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 13 mai 2025 à 00:01 :: Expositions

Critique du marché de l'art et des spéculations entretenues par les milliardaires collectionneurs, j'avais résisté à aller voir une exposition de la Collection Pinault. Nullement à l'abri d'une contradiction, j'avais pourtant visité plusieurs fois son homologue Vuitton, mais j'y allais toujours à reculons. Curieux d'admirer l'architecture de l'ancienne Bourse de Commerce de Paris, je suis finalement revenu sur mes réticences et me suis fait violence en jetant mon dévolu sur Corps et âmes. Le résultat est conforme à mes préjugés, qu'ils soient négatifs ou positifs.

En levant la tête vers la fresque marouflée qui entoure la coupole de la Bourse de Commerce, on constate que le colonialisme était bien la base des échanges, esclavagisme à peine dissimulé. Temple du capitalisme, il est logique que l’homme d'affaires François Pinault et sa famille y montrent quelques fleurons d'une collection revendiquée de 10 000 œuvres (Wikipédia d'argumenter entre 4350 et 5000, mais il est certain que ces dernières années leur ont été particulièrement profitables !). Sympa d'en partager quelques uns avec nous plutôt que de garder tout au coffre. Cocasse et parfaitement dans la logique de l'endroit, le choix prépondérant très en vogue d'artistes noirs me laisse pantois. Le politiquement correct y trouve son juste équilibre. Manière très ambiguë de classer les artistes, comme dans Paris Noir actuellement au Centre Pompidou. (Tout de même moins pire que le honteux Black Label à La Villette, avec Joey Starr qui aboie son texte sans y penser et une absence de mise en scène). Cela n'empêche pas que d'une part le lieu réaménagé par l'architecte Tadao Andō est somptueux avec des salles plus propices aux expos que chez Vuitton où seule la terrasse dessinée par Frank Gehry me semble réussie, et que d'autre part on peut y admirer certaines belles œuvres devenues privées grâce à la fortune de ces messieurs et aux avantages financiers dont ils bénéficient à coups d'exonération d'impôts. Petit a-parte pour rappeler que pour faire monter la cotte d'un artiste on peut se racheter les pièces les uns aux autres, car entre milliardaires il faut se serrer les coudes.

Beaucoup de belles œuvres heureusement. Pas question de bouder mon plaisir pour autant avec Kerry James Marshall, Kara Walker (belle expo en 2007 au Musée d'Art Moderne), Ana Mandieta, William Kentridge, Marlene Dumas, sans parler de Niki de Saint-Phalle (en 2014 au Grand Palais), Georg Baselitz (superbe rétrospective en 2019 à la Gallerie dell’Accademia à Venise), Rodin, Brancusi, etc. Pourtant aucun tableau, aucune photographie, aucune sculpture ne me remue comme il arrive parfois. Peut-être sent-on trop les intentions politiques de dédouanement moral dans leur choix ? Il faudra que j'y retourne pour une autre exposition qui ne revendique pas cyniquement "corps et âmes", car pour les corps ils s'y entendent, mais quant aux âmes comment les affranchir ?
→ Exposition Corps et âmes, Collection Pinault à la Bourse de Commerce, jusqu'au 25 août 2025
Illustrations : Georg Baselitz Avignon Series 2014 / Kerry James Marshall Beauty Examined 1993