J'arrive après la bataille, car l'exposition Arpenteurs du souvenir, 80 ans après d'Ethel Buisson et Claude Philippot se termine après un an de présence au Mémorial de la Résistance en Vercors. Ces "dialogues photographiques" montrent comment le paysage porte l'Histoire. J'ai toujours pensé que la géographie et l'histoire figuraient les abscisses et les ordonnées du même repère. Dans leur noir et blanc d'éternité ou dans les couleurs de la nature les images suspendues sont aussi magnifiques qu'émouvantes. La carte s'efface lentement sous nos pas, mais les signes restent. Ils représentent les vestiges de notre mémoire. Les martyrs d'hier s'adressent aux jeunes d'aujourd'hui. Je me souviens des dernières paroles de Jean Cayrol à la fin du film de 1955 Nuit et brouillard d'Alain Resnais : "[nous] feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin." Je me rappelle aussi de celles d'un responsable de mission humanitaire qui revenait alors du Rwanda : "il y a des justes, mais ce ne sont pas toujours les mêmes." Voilà qui est terriblement d'actualité, me poussant plus que jamais à défendre les peuples opprimés, occupés, colonisés avec la plus grande violence. Les évocations de l'exposition ont pour moi le goût du jour.


J'arrive après la bataille, parce que les Résistants des maquis du Vercors ont fait le travail à l'époque, se battant contre l'occupant, ne baissant pas les armes devant la vermine fasciste. Ils en ont certes payé un prix très lourd. C'est celui de la liberté. La visite du Mémorial de la Résistance en Vercors est une expérience fantastique. C'est rare qu'une scénographie muséale soit aussi en adéquation avec son sujet. Nous avançons entre reconstitutions fictionnelles et documentaires. La traversée des salles aux murs de béton se fait un casque près des oreilles, mais pas sur les oreilles, car le mixage entre ce que nous y entendons et la musique diffusée par de discrets haut-parleurs donne un effet de perspective à la déambulation, perspective qui joue là encore entre l'histoire et la géographie. Le muséographe Jean-Pierre Laurent, le scénographe Max Schoendorff et le designer sonore Nicolas Deflache me semblent les principaux auteurs de cette visite immersive qui nous permet de voyager dans le passé comme si nous y étions, certes en spectateurs impuissants, mais vibrant en sympathie avec celles et ceux qui l'ont bâti.


Édifié à 1300 mètres d'altitude, le Mémorial offre un panorama imprenable sur la plaine de Vassieux et le massif du Vercors. Son architecture de bunker contraste avec la beauté naturelle du site. Il n'y a que le petit Mémorial des martyrs de la déportation situé au bout de l'île de la Cité à Paris qui m'ait fait cette impression, avec une scénographie qui permet à la fiction d'aujourd'hui d'évoquer au plus près le drame d'hier. Comme Ethel Buisson arpentant le camp de concentration de Birkenau sur les traces de son grand-père ou celles des maquis du Vercors...