jeudi 29 mai 2025
Découvertes du label Neuma (1)
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 29 mai 2025 à 00:03 :: Musique

Petit colis arrivé de Saint Paul dans le Minnesota, la ville jumelle de Minneapolis. Philip Blackburn, producteur du label Neuma, m'avait contacté après mon article sur Denman Maroney.
J'attrape au hasard l'un des sept CD récents. Into The Night est la première incursion de Jeannine Wagar dans le domaine de l'orchestre viirtuel. La compositrice et cheffe d'orchestre, pianiste et organiste, basée en Arkansas, a travaillé avec des orchestres comme Bang On A Can (c'est le seul que je connaisse de son pédigrée). Sa musique m'accroche instantanément, peut-être parce qu'elle ressemble à des choses que j'ai adoré enregistrer pour des projets de commande, comme lorsque j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres d'Arles. Les instruments que nous utilisons, leur approche physique car la mécanique obéit à des réflexes humains, ont forcément une influence sur ce que nous jouons. Confrontée à elle-même et non à des instrumentistes comme elle en a l'habitude, Jeannine Wagar évoque une approche émotionnelle, comme si elle passait de la lumière à l'obscurité, du jour à la nuit. L'orchestre virtuel nous renvoie en effet au brouillard de l'inconscient, comme lorsque nous composons pour autrui, mais cette extraversion devient triviale au contact de la réalité.
The Force for Good de l'ensemble new-yorkais Hypercube, le second disque que je mets sur la platine, présente Hout (1991) de Louis Andriessen et The Force for Good (2020) de l'un de ses élèves, Michael Fiday. La saxophoniste Erin Rogers au ténor, le guitariste électrique Jay Sorce, la pianiste Andrea Lodge et le percussionniste Chris Graham ont choisi une pièce iconique d'Andriessen créée à l'origine pour l'enseble LOOS, "une mélodie à l'unisson avec des ramifications", particulièrement virtuose. Son "canon rapproché" à la double-croche l'associe évidemment aux minimalistes ou répétitifs. Son instrumentation inspira ensuite de nombreuses œuvres à d'autres compositeurs. Ainsi la pièce de Fiday qui s'inspire du Giant Steps de John Coltrane commence rythmiquement dans le corps du piano pour passer à une forme contemporaine plus jazzy qui flirte avec le vertige.
Inherit A Memory est le fruit d'un autre trio, basé à Londres, celui du batteur-récitant Sean Noonan avec Matthew Bourne au piano et Michael Bardon à la contrebasse, nettement plus jazz dans sa véhémence et son swing sautillant, mais c'est l'usage du sprechgesang, rythmé, répété, délayé, murmuré, qui le caractérise particulièrement. Noonan revendique l'influence de Nancarrow, Zappa, Milford Graves et du biologiste bergsonien et lamarckiste anglais Rupert Sheldrake, auteur de la « résonance morphique ». Il est compréhensible que la création artistique puisse inspirer une approche magique de la perception du monde. Pour des esprits éclairés le sacré y trouve probablement plus de confort que la religion. La confrontation avec la question sans réponse peut pousser à imaginer qu'il en existe une sous la forme d'un point d'interrogation aussi immense que l'univers. En tout cas, The Noonan Trio livre un jazz libre, savoureux et allumé.
La suite au prochain numéro...