René Lussier est un peu comme le compositeur d'un tube. Les producteurs peuvent toujours espérer qu'il en fasse un second. Alors on lui fait crédit. D'un autre côté c'est lourd à porter parce que l'on se réfère toujours à ce succès en occultant le reste de son œuvre. Des chanteurs comme Nino Ferrer ou Henri Salvador l'ont plutôt mal vécu. Ils avaient fait rigoler, alors que c'était plutôt des sentimentaux. Ferrer a fini par se tirer une balle de fusil au milieu d'un champ, Salvador était suffisamment cynique pour s'en tirer. Toute proportion gardée, le guitariste et compositeur québécois René Lussier devra toujours assumer son chef d'œuvre Le Trésor de la langue alors qu'il a enregistré près d'une centaine d'albums absolument passionnants et d'une très grande sincérité (j'ai encore pleuré dimanche en le réécoutant). Fiat Lux, son nouveau duo avec le batteur Robbie Kuster est d'une très grande drôlerie, mais c'est surtout la complicité entre les deux musiciens qui est remarquable. Il est toujours très agréable de constater que des artistes ont conservé l'innocence et la créativité de leur enfance. Les deux s'amusent comme des petits fous et cela fait un bien tout aussi fou de les écouter jouer. Même s'ils sont devenus des virtuoses de leurs jouets, ils font du ping pong au-dessus de leurs tables d'harmonie. Lussier est à la guitare, à la basse et au daxophone, un instrument impossible inventé par Hans Reichel. Kuster joue de la batterie, de la scie égoïne et d'un orgue à clous (de toutes tailles, plantés sur une planche). Cela ne les empêche pas de manier la brosse à dents électrique ou la guimbarde. Ne croyez pas que ce n'est pas sérieux, bien au contraire, les enfants ne jouent jamais pour de rire, c'est fait avec le fond du cœur pour que jaillisse la lumière.

Il y a aussi une guimbarde dans Shishiodoshi, le nouvel album du quartet Kaze avec en invité le chanteur japonais Koichi Makigami. Cela fait du bien d'écouter cette autre bande de garnements qui s'en donnent à cœur-joie, produisant des bruits bizarres avec leurs trompettes, pour Natsuki Tamura et Christian Pruvost, avec ses baguettes pour le batteur Peter Orins, avec son piano pour la japonaise Satoko Fujii. Comme pour leurs autres disques, c'est riche et varié, en timbres, en rythmes et cette fois en facéties vocales. J'imagine que Cathy Berberian ou Annick Nozati auraient adoré donner la réplique à Makigami, ou l'inverse. Ses onomatopées, parfois scatologiques, sont aussi impertinentes qu'incisives, c'est dire leur pertinence ! Ne me dites pas que vous n'appréciez pas le Constipation Blues de Screamin' Jay Hawkins, vous me décevriez. Les shishi-odoshi sont des dispositifs pour effrayer les oiseaux. Vous vous y reconnaîtriez, non de nom ? Miaou ! Là encore la musique, composée ou improvisée, n'existe que grâce à la complicité des musiciens. J'ai toujours détesté la moindre rivalité, les petites mesquineries, qu'elles soient explicites comme il arrivait à Portal de s'y complaire malheureusement, ou à d'autres, quel que soit le milieu, classique ou jazz. La musique est une histoire d'amour, sinon à quoi bon !

→ René Lussier & Robbie Kuster, Fiat Lux, CD Spectacles Bonzaï avec Circum-Disc, sortie le 20 juin 2025
→ Kaze & Koichi Makigami, Shishiodoshi, CD Circum-Disc, sortie le 11 juillet 2025