Mardi j'ai enregistré Hiatus, un étrange trio animé par seulement deux musiciens. Si Raphaël Godeau joue de plusieurs guitares et du luth, la flûtiste Claire Marchal contrôle simultanément un virginal en se déplaçant dans l'espace. En utilisant un Arduino et le système Midi, elle déclenche les touches graves en avançant, les aiguës en reculant, mais le petit clavecin automatique de l'Atelier David Boinnard est préparé. Modes choisis ou percussion, il offre de nouvelles possibilités lorsqu'elle y ajoute une gomme, une feuille de papier ou des pinces crocodile. Les guitares de Raphaël sont également attaquées par toutes sortes d'objets vibrants, percutés ou frottés. Les deux improvisateurs enregistreront deux heures de musique, allant du plus calme ou plus énervé, Claire dansant entre deux microphones. Comme d'habitude je ne fais aucune correction de timbre, laissant aux virtuoses le soin d'équilibrer l'ensemble. Il suffit d'avoir de bons micros et de les placer aux bons endroits : un Royer à ruban pour les guitares, deux Neumann pour le virginal, deux Schoeps pour les flûtes (en do, basse ou traverso). L'une comme l'autre piochent dans mon instrumentarium (flûtes indiennes, appeau, fouets électriques, limes à ongles, bottleneck, etc.) pour élargir le spectre coloré qui est déjà le leur. Je suis absolument ravi que Raphaël adopte ma guitare folk à cordes en métal ou un petit monocorde fabriqué avec une boîte de sardine. Leurs improvisations sont généralement assez longues, les ambiances se succèdent, chaque nouvelle s'appuyant sur les derniers soubresauts de la précédente. Comme il est très rare que je me contente de faire l'ingénieur du son, j'en profite pour me laisser aller à la rêverie en les écoutant. Le studio ne possédant quasiment aucune réverbération, je choisis de situer l'ensemble dans l'Oratorium du Palais d'Esterhàzy en Autriche, autrefois Hongrie, grâce à la simulation d'une réverbération à convolution. Nicolas me raconte avoir joué dans ce château mythique où Joseph Haydn séjourna de 1766 à 1790. Les facéties instrumentales des deux compères ne seraient-elles pas les dignes héritières de celles de l'illustre compositeur autrichien ?