70 septembre 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 septembre 2025

2 CD chroniqués par Franpi Barriaux sur Citizen Jazz


Publiés le 28 septembre 2025 sur Citizen Jazz.
J'ajouterai seulement que Les déments est un double album et que figure une longue pièce de 33'52 sur le second CD avec Petit chien sans ficelle d'André Schlesser, un texte d'un ton totalement différent des trois autres, presque documentaire, sur la banlieue-est de Paris au début du XXe siècle vue par un petit gitan, d'autant que Denis Lavant le découvrait en le lisant. Contrairement à plusieurs disques qu'il avait enregistrés avec d'autres musiciens, la musique est jouée en même temps. C'est un trio. La complicité nous permet d'improviser totalement sans que nous connaissions le texte et sans aucune indication préalable. Magique !



BIRGÉ, LAVANT, MARTIN
Les Déments

Denis Lavant (voc), Jean-Jacques Birgé (cla, fx), Lionel Martin (ts)
Label : GRRR-OUCH! / Distribution : Inouïe

Parmi les acteurs ayant toujours nourri une passion et un intérêt pour les musiques improvisées dans leur champ le plus large, il convient de compter Denis Lavant. La musique lui a d’ailleurs rendu cet amour au centuple, tant avec Sylvain Kassap qu’avec Quentin Rollet. Voix puissante, théâtrale et d’une clarté sonnante, Denis Lavant est un homme de texte et de lecture. De musicalité des mots ; il dit, bien sûr, pour des livres-disques et des pièces de théâtre. Tout comme d’ailleurs André Schlesser, ancien acteur de la troupe de Vilar - beaucoup ont grandi avec sa voix sur les disques de Thierry la Fronde. Car Les Déments est un recueil de textes, mis en musique par deux sorciers du son aux goûts, eux aussi, théâtraux : Lionel Martin est un saxophoniste passionné par la frise temporelle du jazz ; quant à Jean-Jacques Birgé, inutile de le présenter, un Drame Musical Instantané a son content de théâtre, et ce travail avec Lavant en rappelle immédiatement un autre, avec Richard Bohringer autour du K de Buzzati.

Les Déments, c’est avant tout une ivresse de mots ; pas une orgie, non, mais des phrases ciselées, comme construites pour la faconde de Denis Lavant. « M’accorderez-vous », premier texte de Marcel Moreau, est une lente valse qui se démantibule dans l’entrechoc des claviers de Birgé, un délitement qui passe du chaleureux au glaçant à mesure que le lecteur fait tournoyer le texte. Si « Les Déments » est un texte de l’auteur breton Xavier Grall, sorte d’anti-Pierre-Jakez Hélias qui travailla avec Dan Ar Braz, c’est bien le texte magnifique d’André Martel, pataphysicien parmi les plus illustres, qui donne le ton et le corps de cet album qui se goûte et s’apprivoise par la multiplication des écoutes, pour mieux saisir la musique intime des syllabes.

Martel et son paralloïdre, langage tangentiel du français qui l’augmente et le radicalise par des simplifications convexes, à la mesure du louchébem ou du javanais. Denis Lavant l’adopte, et Lionel Martin comme Jean-Jacques Birgé lui donnent toutes les couleurs possibles, et toutes les déviations nécessaires. Voici un petit bonheur qui se paie de mots et qu’on écoute, surpris par la fluidité de son parler. Les Déments est un disque qui fait lui-même un pas de côté pour convaincre l’auditeur de le suivre ; un chemin que connaît bien Jean-Jacques Birgé.



JEAN-JACQUES BIRGÉ
Pique-nique au labo 4

JJB+invités
Label : GRRR / Distribution : Socadisc

Il fait toujours bon retourner sur les rives du fleuve intranquille cher à Jean-Jacques Birgé lorsqu’il nous invite à faire un Pique-nique au labo. C’est le quatrième du nom, et il est toujours aussi riche de surprises. Fondé sur un axiome simple et inchangé : « Il s’agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire comme il est d’usage », on découvre les différentes pérégrinations du multi-instrumentiste auprès des figures de la musique improvisée européenne. Certaines sont coutumières des pique-niques, comme Antonin-Tri Hoang ou Fanny Météier, d’autres découvrent l’univers de Birgé presque naturellement, comme Catherine Delaunay (remarquable trio avec Roberto Negro sur « Des Fourchettes ») ou Matthieu Donarier. Ce qui est intéressant dans ce nouveau pique-nique, c’est la forte présence de la seconde génération des « affranchis », pour reprendre la terminologie birgéenne [1]. Essentiellement féminine, très aventureuse et particulièrement douée, de Fanny Météier à Léa Ciechelski en passant par Hélène Duret, elles sont la couleur de cette nouvelle collection. Si on reste particulièrement sensible à la grande complicité avec Hoang et Mathias Levy sur « Yemen », c’est « Codex », avec le duo Météore qui attire l’attention, notamment grâce au travail de la tubiste. Un morceau foutraque et joyeux, dans le pur esprit de ces rencontres où le goût des images et les multiples déviations rendent compte de l’esprit ludique de ces rencontres. On appréciera également le long « Célèbre ton erreur comme une intention cachée » avec le violoncelle de Bruno Ducret et la basse d’Olivia Scemama. Tiré de l’album Fŭtur, disponible sur le site de Jean-Jacques Birgé, c’est un peu de noirceur qui s’invite dans ces pique-niques, avec de multiples chemins de traverse dans des forêts primaires. Plus que jamais, ces disques de rencontres nous démontrent la vigueur de la scène improvisée et sa capacité à sans cesse se renouveler et proposer de nouveaux terrains d’expérimentation.

P.-S. : [1] Voir son article. Devoir de vacances : quel nom pourrait-on donner à cette nouvelle génération, née dans les années 90 ?

Les déments sur Bandcamp
Pique-nique au labo 4 sur Bandcamp

lundi 29 septembre 2025

Bal[l]ade poétique au Père Lachaise


J'ai beau avoir été un féru Père-Lachaisien, j'ai adoré la Bal[l]ade poétique de Frédéric Giner de samedi après-midi. Ayant habité treize ans en face de la bouche de métro et de la petite entrée place Auguste Métivier, j'y promenais régulièrement ma fille enfant. Depuis mes dernières visites, de nouveaux pensionnaires sont venus rejoindre les anciens, mais la promenade thématique fut absolument délicieuse, d'abord parce que ce début d'automne se prête merveilleusement à l'exercice, ensuite grâce aux commentaires de Fred et d'une historienne dont la culture générale apporta de nombreux détails passionnants que j'ignorais. Baudelairien, notre guide avait trouvé des références au poète enterré à Montparnasse, mais il put réciter en situation Musset, Nerval, Anna de Noailles ou Apollinaire. Ailleurs des citations gravées dans la pierre ou le marbre livrèrent Hugo, Rimbaud, La Fontaine, Villon ou Brassens. Nous y passâmes près de quatre heures sans que nous sentions le temps passer. Dans ce lieu, l'un des plus magiques de Paris, cette promenade parmi les arbres et les oiseaux arrêta ce temps, métavers du réel ou sandwich quantique où toutes les siècles sont de la même époque. L'invitation au voyage me rappela évidemment comment Bernard Vitet chantait Henri Duparc avec Un drame musical instantané. Pour Bashung, Fred avait choisi La nuit je mens, mais je pensais à Résidents de la république. À côté de lui, devant la sépulture de Higelin, comment oublier la terreur que celui-ci m'inspirait lorsque j'avais cinq ans, mon père lui ayant fourni son premier rôle, un peau-rouge hurlant, dans la comédie musicale New Orleans qu'il avait produite. Pourquoi l'Épitaphe de Nerval me fit étonnamment penser à Bobby Lapointe ? C'est vrai que les poètes me font souvent plus d'effet chantés que dits. Prévert et Kosma ou Aragon et Ferré restent pour moi des références. Quant à la musique de Brassens, les versions instrumentales de Jean-Claude Vannier m'ont fait comprendre son génie harmonique en plus de ses vers incroyables. Plus tard nous avons d'ailleurs terminé la soirée en chansons après que Manu ait joué trois valses manouches à la guitare. Balade ma ballade (c'est le titre d'une chanson que j'avais écrite avec Bernard et qu'interpréta en 1998 la Japonaise Makiko Sakurai !)... Ce saute-moutons littéraire parmi les tombes facilita notre entrée vers l'automne, période propice à la poésie. Et Marie-Jo de citer Virgile : sit tibi terra levis !

vendredi 26 septembre 2025

Aventures alsaciennes


Faire le papou n'est pas une sinécure. Ses parents jouant deux fois par jour pendant deux semaines au festival Musica de Strasbourg, j'ai emmené mon petit-fils faire un tour en Alsace avec le village de Riquewihr en épicentre. Je pensais que le côté médiéval façon Blance-Neige et les sept nains lui plairait, surtout qu'à proximité j'avais en vue le château du Haut-Koenigsbourg, la Volière des aigles et la Montagne des singes. J'ai mal commencé en oubliant mon sac à dos dans le taxi qui nous avait déposés au loueur de voiture près de la gare. Le problème promptement réglé, nous avons pris la route sous la pluie. Le château où Jean Renoir a tourné La grande illusion (ach, de Boëldieu et von Raffenstein !) était dans le brouillard, nous privant de la vue magnifique et de l'édifice dans son ensemble. Nous pensions nous rattraper en allant regarder les rapaces en vol libre (rien à voir avec le Greed d'Eric von Stroheim), mais les averses annulèrent le spectacle. Nous pûmes tout de même admirer les bestioles carnassières au bec acéré dans leurs cages, certaines nous abreuvant d'un discours dont je ne possédais pas les clefs. Les déjeuners et dîner furent par contre à la hauteur de la réputation de la région, viandes énormes et plats délicieusement nourrissants.


Le lendemain fut plus propice à nous balader parmi les deux-cent-quarante macaques de Barbarie de la Montagne des singes. Nous étions seuls avec les animaux en liberté dans le parc, tout à l'écoute des explications des gardiens du lieu. Eliott en savait déjà pas mal sur les mœurs des primates, il était tout ouï ! Ce sont les mêmes que ceux que nous avions croisés au Maroc près de Chefchaouen il y a deux ans. Cette fois-ci j'ai pensé à récupérer un parapluie dans le coffre de la voiture. Nous aurions peut-être dû éviter les péripéties censées nous mettre dans la peau des singes : le chemin suspendu était particulièrement ardu, surtout sous la pluie diluvienne, mon parapluie à la main, fermé évidemment ! En bas du toboggan final nous nous sommes retrouvés avec nos fonds de pantalon totalement trempés !


Si j'ai évoqué certaines difficultés, j'étais surtout inquiet pour l'état de santé de mon petit-fils confronté à un virus à forte fièvre, mais il le géra en main de maître. Ces instants de complicité me donnent envie de réitérer ces voyages que nous partageons sans ses parents. Cherchant des endroits qui pourraient lui plaire je pense que la prochaine destination pourrait être Venise. Comme je ne poste jamais aucune photo de lui sur les réseaux, je choisis ce vieil ancêtre parmi mes clichés de vacances.


Retour à Strasbourg où nous nous promenons avec ma fille et ma petite-fille dans la Petite France. C'est une des villes de France que je trouve les plus belles. En plus, le centre est entièrement piétonnier et, ville universitaire, on y croise une population très jeune en plus des nombreux touristes, majoritairement allemands. J'y suis souvent venu pour participer aux activités de la HEAR, anciennement Arts décos, ou pour des concerts au Musée d'Art Moderne et Contemporain... Si c'était plus près de la mer, moins froid en hiver et moins chaud en été, ce serait parfait !

jeudi 25 septembre 2025

Riquewihr


Riquewihr hors saison et sans Internet.
Demain je serai plus loquace !

mercredi 24 septembre 2025

Remèdes de grand-mère


L'année dernière j'ai commencé à avoir mal au genou avant que la douleur s'amplifie au point de m'empêcher de dormir. Le scanner et l'IRM ont confirmé une absence quasi totale de cartilage entre le fémur et le tibia. Après piqûre de corticoïde puis infiltration d'acide hyaluronique je me suis remis à gambader comme un cabri. L'idée est évidemment d'éviter toute opération, la moitié des amis qui l'ont pratiquée sont heureux et l'autre moitié a encore plus mal qu'auparavant, sans compter une maladie nosocomiale catastrophique. Le rhumatologue, à qui je demandai si le petit coussin artificiel n'allait pas se tasser, me répondit que je revienne le voir dans un an, un an et demi, lorsque j'aurai à nouveau mal et que l'on recommencerait. Jusque là je pensais que l'arthrose était un truc en plus alors que c'est le contraire. Cet été, pendant nos vacances où il nous est arrivé de marcher jusqu'à six heures d'affilée, la douleur a remontré le bout de son nez. J'étais essentiellement inquiet d'arriver au bout et me massais régulièrement avec du Ketum. Cela a tenu.
À son retour des Philippines, Vilma m'a rapporté une petite bouteille d'huile en m'indiquant d'y faire macérer deux noyaux d'avocat râpés avec quelques feuilles de laurier, des clous de girofle, un citron avec son zeste coupés en petits morceaux et un peu d'alcool, et de me masser matin et soir avec. Elle, qui avait du mal à monter ou descendre un escalier, ne ressentait plus aucune gêne après un mois de ce traitement. N'ayant rien à perdre, je suivis donc la prescription et après une semaine seulement mon genou est comme neuf, du moins au niveau de la sensation. Cela ne remplacera pas le cartilage manquant. On verra bien comment cela évolue, mais pour l'instant, après trois semaines de ce traitement, c'est quasi magique.
Comme j'en suis aux remèdes de grand-mère, et que je suis tout de même conscient que la médecine allopathique s'appuie souvent sur la nature quitte à l'imiter avec des substances de synthèse, je signale une autre petite aventure qui m'est récemment arrivée. Il était minuit, j'étais couché, lorsque j'ai entendu une machine tourner. Je suis même allé ouvrir la fenêtre sur la rue pour l'identifier. Rien, mais le pouf pouf pouf qui n'affectait que mon oreille droite était synchrone à mes battements cardiaques ! Je suis descendu interroger ChatGPT qui m'a décrit les symptômes d'acouphènes pulsatiles. Les jours suivants le rythme revenait dans mon oreille et repartait. J'avais pris l'avion deux jours plus tôt et enfoncé un coton-tige dans la foulée. Un post-scriptum doctissimesque soulignait que certaines personnes se mettaient de l'huile d'olive dans l'oreille ! Je m'emparai donc de la burette de la cuisine et buvardai dix minutes plus tard. Les acouphènes disparurent instantanément sans ne jamais revenir. Attention, ce sont des pulsatiles, pas une sinusoïde aiguë ou je ne sais quoi d'autre.
Parmi d'autres expériences récentes un remède chinois fourni par Sun Sun eut raison de crampes intestinales persistantes, peut-être après avoir ingéré une dose de piment irraisonnable. Ce n'est pas la première fois que la pharmacopée chinoise me sort d'embarras. Là c'était des granules de la taille de petits plombs de chasse dans un tube en verre, comme ceux qui m'avaient fait passer une toux persistante qu'aucun médecin n'avait enrayée. Sinon j'ai eu souvent recours au sirop qu'on trouve partout à Belleville et qui est génial contre les maux de gorge.
L'avantage de ces machins est l'absence d'effets secondaires graves. Mes amis allopathes évoquent l'éventualité de l'effet placebo. Qu'importe si ça marche ! Tous les médicaments ne soulagent pas tous les patients. Si la médecine occidentale a à son actif des découvertes fondamentales aux résultats parfois exclusifs, elle se croit seule efficace et se rit de l'acuponcture, de l'ostéopathie, de la magnétothérapie, des huiles essentielles, des plantes, etc. Didier, que j'ai convaincu d'acquérir un pistolet masseur, peut danser à nouveau sans douleurs au pied. Je ne vais pas faire l'inventaire de tout ce qu'on peut faire soi-même simplement au lieu de courir chez le médecin ou de grimper sur la table d'opération. Mais aujourd'hui je danse !

mardi 23 septembre 2025

Brigitte Vée honorée en Estonie


Incroyable découverte qui me fait bizarrement penser au début de chaque épisode de la formidable série Fargo produite par les frères Coen, car la pianiste Brigitte Vée est si connue en Estonie qu'elle a sa rue à Pärnu et que les Estoniens l'appellent par son seul nom de famille. J'en suis d'autant plus touché que j'ai appris, depuis l'enregistrement de son album des Grands Inédits sorti sur le label GRRR en 1996, que nous avions de lointains liens de parenté (d'après l'arbre généalogique qui s'était un jour rempli tout seul parce que j'avais coché la case WikiSearch correspondant aux archives des Mormons).


C'était il y a bientôt trente ans, et Brigitte doit en avoir environ quarante aujourd'hui. Nous nous sommes perdus de vue, mais j'avais aperçu son nom plusieurs fois sur des œuvres multimédia ou à un générique de film. Je pensais que c'était la plupart du temps le lot des jeunes prodiges de rentrer dans le rang après une gloire prématurée, sans imaginer qu'elle avait pu s'expatrier dans un pays balte. Parfois les rencontres poussent à de sérieuses bifurcations. Qui sait ce qui nous attend demain ? Bernard Vitet avec qui j'avais assuré la direction artistique de cet album magique nous a quittés il y a déjà douze ans et je suis triste de ne pouvoir l'appeler pour lui raconter cet étonnant rebondissement.

Sur l'album se succèdent la Sonate anglaise attribuée à Domenico Scarlatti, Praeambulum en mi bémol majeur de Bach, Le saule de Schubert, Romance en mi bémol mineur de Chopin, Les adieux de Liszt, Minuetto en la mineur de Brahms, Prélude en la bémol mineur de Rachmaninov, Nénuphars de Fauré, Kite Ribbons de Debussy, Un chat andalou de Debussy, Crevette haltérophile de Satie, À l’école de Ravel, Impressions flamandes de Roussel, Lettre à Marina Scriabine, Pour les enfants de Bartók.

lundi 22 septembre 2025

Diriaou par Kristen Noguès et John Surman


Si je préfère, ou plutôt espère, les découvertes qu'offre l'actualité, parce que je suis (de) mon temps, un temps mouvant où chaque jour recèle ses surprises et ses mystères, un temps qui avance vers l'inconnu, absolu, les trésors d'antan sont tout aussi jouissifs. Antan est relatif à l'échelle d'une vie, invisible à celle du cosmos. Je plonge parfois jusqu'aux racines de l'humanité, du moins ce que l'archéologie musicale autorise (je tiens par exemple de Leroi-Gourhan des percussions russes sur os de mammouth !), les couches géologiques révèlent des strates que l'on devinait présentes, mais qui nécessitaient que l'on creuse un peu. C'est ainsi que fait surface un duo inattendu enregistré en 1998 par le sonneur Tanguy Le Doré, pendant des concerts en centre Bretagne du 2 au 5 juillet, dans une chapelle, un cabaret nomade, une abbaye et une église. Ce n'est pas si loin 1998, mais ça l'est terriblement lorsqu'on a perdu une amie et que l'on essaie de se souvenir. Quant au Dre Ar Wenojenn Festival, les camarades bretons diront que c'est le trou du cul du monde, la Bretagne profonde.
Grand admirateur de la harpiste bretonne Kristen Noguès dont j'ai salué ici deux de ses disques, la compilation Logodenning (1952-2007) et le vinyle Marc'h Gouerz, j'ai le plaisir de l'écouter à nouveau avec John Surman que j'ai toujours considéré comme un musicien planant, qu'il joue des saxophones soprano, baryton, ou de la clarinette basse. C'est dans une plénitude apaisée que la rencontre a lieu ainsi autour de mélodies qui tiennent tant du renouveau celtique que d'un jazz particulièrement lyrique. Kristen y tisse si bien chaîne et trame que la navette de Surman en suit le dessin avec l'évidence d'une rivière dans son lit, le Scorff, peut-être, dont ils sont aux sources. Tout se passe dans un mouchoir de poche, et pourtant c'est le monde qui s'y reflète, en ondulations irisées, si fraîches qu'on y voit boire des libellules. Mais moi rien, je vous le promets, pas une goutte, juste la musique.

→ Kristen Noguès & John Surman, Diriaou, LP 27€ /CD 14€ Souffle Continu

dimanche 21 septembre 2025

J'y pense sans cesse

Peut-être qu'un jour Netanyahou et Trump seront arrêtés, condamnés et emprisonnés comme le furent Pinochet et Milosevic... A moins que ces fous de Dieu se fassent sauter entraînant le reste de la planète avec leurs bombes nucléaires... On peut s'attendre à tout puisqu'il semble incompréhensible que nous continuions à laisser faire l'horreur...
Partout, ceux qui se rangent enfin à reconnaître l'état palestinien après nous avoir traités d'islamo-gauchistes, de terroristes ou de self-hated jews, sentent le vent tourner... On oubliera le temps qu'il leur a fallu. L'important est d'arrêter le génocide et l'opération immobilière et économique qui le sous-tende.

vendredi 19 septembre 2025

Café Flesh et Dr Caligari


J'ignorais tout du cinéma de l'Américain Stephen Sayadian lorsque j'ai lancé Café Flesh, son film tourné en 1980. Sur la jaquette du DVD, Carlotta annonce un "véritable OVNI cinématographique orchestrant une orgie aussi délirante que jouissive entre les performances ritualisées du Cabaret de Bob Fosse et l’humour subversif d’un John Waters ou l’univers troublant et capiteux de David Lynch". Il aurait même suscité l’enthousiasme de Frank Zappa à Hunter S. Thompson et Bertrand Mandico, de quoi exciter ma curiosité. J'assistai donc médusé à la projection d'un film explicitement pornographique, d'une époque où le X avait déjà été promulgué en France depuis cinq ans. En 1975 Jean-Luc Godard avait d'ailleurs regretté qu'il n'y aurait plus dorénavant que des films qui se passeraient au-dessus ou en dessous de la ceinture, ce qui condamnerait le genre à glisser lamentablement vers le gonzo et la banalité la plus trash pour des raisons économiques. Les films pornos avec scénario avaient connu leurs heures de gloire avec Derrière la porte verte, Le sexe qui parle, Deep Throat, The Devil in Miss Jones, les Vixen et autres films qui figuraient dans l'enfer VHS de mon père !
L'argument de science-fiction dystopique de Café Flesh donne tout son piment à la chose : "Après l'apocalypse nucléaire, l'humanité est partagée en deux groupes : les « positifs » qui ont conservé la faculté de faire l'amour et la grande majorité des « négatifs » qui sont devenus impuissants. Pour accéder à un succédané de plaisir, ces derniers n'ont plus d'alternative que de regarder les « positifs » se donner en spectacle sur des scènes de théâtre telles que celle du Café Flesh." Les situations incroyables, comme il en existait probablement dans les spectacles érotiques de la capitale (j'ignore si c'est toujours en vigueur) faisant la promotion dans Pariscope, par exemple, d'un couple faisant l'amour dans un filet au-dessus du public, sont quasiment surréalistes avec un humour décapant que le maître de cérémonie remarquablement interprété par Andy Nichols (Max Mélodramatique) excite avec cruauté. C'est drôle, cru et évidemment totalement kitsch. De quoi me donner envie de regarder l'autre film de Sayadian que sort en même temps Carlotta, Dr Caligari (1989), présenté comme un "film d'horreur érotique d'avant-garde".


Ces qualificatifs promotionnels me semblent là aussi à côté de la plaque. Dr Caligari (1989) est plutôt une pochade psychédélique dont les dialogues de Jerry Stahl ressemblent aux chansons graveleuses de Frank Zappa seconde période des Mothers of Invention (1970-72 avec Mark Volman & Howard Kaylan, cf. son film 200 Motels). Rien d'étonnant à ce qu'il encense ce drôle de truc ! La référence au film culte de Robert Wiene est évidemment un prétexte. Les décors pop et la musique de Mitchell Froom participent au délire d'un asile psychiatrique décalé, petit théâtre de la cruauté dont les personnages sont stylisés. Il faut être très perché pour y ressentir le moindre érotisme ou les frissons d'un film d'épouvante. On est plus proche d'élucubrations psychotropiques.



→ Stephen Sayadian, Café Flesh, édition Prestige Limitée UHD + Blu-ray + Memorabilia Carlotta, 35€ (avec denombreux entretiens sur le disque, plus un petit livre de 40 pages écrit par Lelo Jimmy Batista, un livret collectif exclusif de 44 pages, un jeu de 8 lobby cards, une planche de 7 autocollants et l'affiche, soit de quoi ravir tous les fétichistes !)
→ Stephen Sayadian, Dr Caligari, 4K UHD ou Blu-Ray Carlotta, 25€, avec toujours autant d'entretiens passionnants en suppléments


P.S.: La même semaine, en cherchant un film mis en musique par Pauline Oliveros (accordéon et jazzo-flûtes !), je tombe par hasard sur The Sluts and Goddesses Video Workshop – Or How To Be A Sex Goddess in 101 Easy Steps d'Annie Sprinkle et Maria Beatty. Décidément, ma cinéphilie est bien lacunaire, et j'en suis comme deux ronds de flan en regardant ce brûlot féministe, aussi trash que Café Flesh, expliquant comment jouir entre filles avec un humour décapant et des effets vidéo kitchissimes encore en vogue en 1989/90.

jeudi 18 septembre 2025

Helsinki (14ème et dernier épisode)


Après un mois de crapahutage dans les pays baltes il était tentant de traverser le bras de mer qui sépare l'Estonie de la Finlande. Deux heures de ferry plus tard, nous voilà arrivés à Helsinki où je ne suis pas venu depuis une bonne vingtaine d'années, la dernière fois pour une conférence sur le design sonore interactif en m'appuyant entre autres sur le CD-Rom Alphabet, un de mes hits avec le disque Défense de et l'opéra Nabaz'mob !


L'architecture date ici plutôt des années 1910-1920. Ce sont de hauts immeubles le long d'avenues et de rues larges. Comme Vilnius, Riga et Tallinn, tout peut se faire à pied, à condition d'y passer la journée ! Les magasins vintage et de seconde main y pullulent depuis quelque temps. Je ne résiste pas et acquiers quelques magnifiques chemises en soie pour un prix dérisoire. Le reste est cher. Comme à Tallinn, ce sont pratiquement les prix de Paris, parfois même au-dessus. Nous faisons des courses dans les marchés couverts ou extérieurs logés sous des tentes pour ne pas systématiquement manger au restaurant. Beaucoup de saumon évidemment (tel, fumé, gravlax, soupe), de délicieux pains comme on aimerait en trouver aussi en France (du noir qui ressemble presque à du pain d'épices), des myrtilles, des pommes de terre. Il fait trop froid dans les pays scandinaves pour qu'y poussent fruits et légumes.


Il y a partout de grands parcs, et nous croisons des oies bernaches qui se chamaillent sur l'une de ces pelouses qui me font mal aux cheveux, car cela empêche forcément la diversité et la prolifération d'insectes nécessaires à un bon équilibre de la nature. Ces dernières années les bernaches se sont multipliées et posent quelques problèmes aux habitants de Helsinki.


En longeant un des nombreux lacs ("des lacs, des forêts" scandait, amusée, ma compagne avant le départ !) nous croisons même une grue cendrée près d'un monticule de land art (quinze jours plus tard je croiserai bernaches et grue cendrée en liberté au Jardin des Plantes de Nantes !).


Nous visitons évidemment les deux célèbres musées d'art contemporain, Amos Rex et Kiasma. À Amos Rex qui ne présente que des expos temporaires, nous sommes agréablement surpris par celle d'Anna Estarriola, une Catalane résidant en Finlande depuis 2004. C'est tout un travail sur le corps fantasmé, jusqu'à faire tenir des acrobates sur la tête, posés simplement par les extrémités de leurs cheveux !


Mais la grande rencontre est celle de l'artiste pluridisciplinaire Marita Liulia. J'ai connu cette amie il y a plus de vingt-cinq ans lorsque nous œuvrions dans le multimédia. Marita avait signé deux CD-Roms impertinents, The Ambitious Bitch suivi de S.O.B. (Son of a Bitch). Lors de mon séjour à Helsinki j'avais adoré son travail avec le danseur-chorégraphe Tero Saarinen et l'accordéoniste Kimmo Pohjonen. En 2003 j'avais également posé pour son Tarot, y incarnant Le Jugement. Depuis, Marita est revenue à la peinture et son succès ne fait que grandir, internationalement. Comme pigment elle utilise souvent l'or sous toutes ses formes, me faisant parfois penser à Klimt. Rien d'étonnant à retrouver une influence viennoise chez elle : depuis le début de notre périple cette tendance est présente partout, plus particulièrement dans l'architecture. On peut aussi penser à Joan Mitchell, à l'abstraction lyrique ou un nouvel impressionnisme. Marita peint des tableaux organiques, comme des bouquets, qu'ils soient de fleurs imaginaires ou d'artifices flamboyants.


Marita et Timo sont venus nous chercher le matin à Torkkelinmäki pour aller marcher autour d'un lac avant de nous y baigner. Nous avons autant besoin de nature que de ville. Cet équilibre est indispensable aux citadins que nous sommes. J'aime plus que tout les grands espaces, les forêts primaires, la mer, les déserts et les hautes montagnes. Les nuages ont cédé devant le bleu du ciel toujours plus haut en montant vers le nord. L'eau est délicieuse. Elle rend la peau douce. Nous n'avons qu'à nous baisser pour cueillir myrtilles et airelles rouges. Nous rentrons déjeuner chez nos amis, une maison-musée, lieu où a été fondé Helsinki. Il fait beau. Nous rentrons à pied en nous guidant comme d'habitude avec le GPS de nos smartphones.


Le jour du départ nous profitons des dernières heures pour aller vers le quartier branché de Suvilahti (comme partout des friches industrielles converties) et le quartier ouvrier de Puu-Vallila où des petits jardins accompagnent les maisons en bois.


Voilà, c'est fini, ou tout peut recommencer. Théo a suffisamment arrosé le jardin pour qu'il ne dessèche pas en notre absence, et il a câliné les chats ! Nous passons les premiers jours à jardiner et je termine ce journal de voyage.

mercredi 17 septembre 2025

Freak Out!, My Life with Frank Zappa


Je possède des quantités de livres sur Frank Zappa et évidemment l'intégralité de sa discographie. Je dois bien cela au compositeur qui en 1968 me donna envie de faire de la musique, en en faisant à la fois mon métier et ma passion. Nos rencontres à partir du Festival d'Amougies l'année suivante marquèrent évidemment l'adolescent que j'étais. Certaines biographies, dont celle qu'il écrivit lui-même (The Real Frank Zappa Book) ou le film Eat That Question de Thorsten Schütte, sont passionnantes, mais j'ai été happé par la lecture des mémoires de son ancienne secrétaire, l'anglaise Pauline Butcher, qui livre un témoignage exceptionnel pour comprendre le bonhomme, tout en validant ce que j'avais senti dans nos discussions, en écoutant ses entretiens, en enquêtant auprès de témoins directs ou grâce à ma bibliothèque. Ces mémoires sont d'autant plus fondamentales qu'elles couvrent la période initiatique, tant pour moi que pour les Mothers of Invention, soit 1968-1971. Car, même si je continuais à le suivre de loin, j'arrêtai de voir Zappa à partir de 1972 pour ne m'y intéresser véritablement à nouveau qu'à la fin de sa vie lorsqu'il travailla avec l'Ensemble Modern. Début 1993, mon projet de film avec lui et Robert Charlebois pour lequel il avait joué sur son premier disque avait été refusé par FR3 (textuellement "no commercial potential") et le monde s'écroula quand à la fin de cette année-là j'appris sa mort alors que je filmais le siège de Sarajevo dans des conditions particulièrement éprouvantes.


Je fais partie des fans de Zappa de la première heure, entendre que j'ai toujours préféré le groupe initial, le trouvant le plus inventif, alors que les musiciens suivants seront certes bien meilleurs techniquement. Mais la virtuosité ne m'a jamais intéressé, même s'il est agréable d'être joué par de bons interprètes. La sincérité a toujours guidé mes choix. L'aspect business a de plus en plus façonné la musique de Zappa jusqu'à ce qu'il puisse enfin réaliser ses fantasmes symphoniques. Pauline Butcher a la distance nécessaire pour révéler l'intimité de son employeur et de son entourage. On comprend enfin le rôle qu'il assigne à sa femme Gail et qu'elle endosse, tant que les innombrables facéties sexuelles de son mari n'entrent pas chez eux. Parce que si Zappa ne prenait aucune drogue hallucinogène, il était totalement accroc au tabac, au café, au travail... et aux filles. Comme les marins, il avait des femmes dans chaque port. Pauline Butcher pointe son machisme qui ne passerait plus du tout aujourd'hui, présent dans les paroles de ses chansons, mais aussi son côté conservateur dans la vie courante, la rigueur intransigeante d'un patron, la conscience arrogante de son génie aussi. J'avais déjà été passionné par le livre de sa fille Moon Unit intitulé Earth To Moon. Pour l'avoir fréquenté au quotidien pendant près de quatre ans et bénéficié de sa confiance, et surtout grâce aux lettres qu'elle envoyait à sa mère et qu'elle a conservées, et la veuve ayant enfin décédé, elle peut livrer mille anecdotes éloquentes, dressant le meilleur portrait que j'ai lu du héros de ma jeunesse.

→ Pauline Butcher, Freak Out!, My Life with Frank Zappa (Laurel Canyon 1968 - 1971), version révisée et mise à jour en 2022 (il existe un audio-book, des traductions espagnole, italienne et tchèque, mais la française se fait attendre)

mardi 16 septembre 2025

Thalle de Tatiana Paris


J'ai reçu le second album de Tatiana Paris il y a plusieurs mois avec une forte envie de le chroniquer, mais comme cela arrive parfois la guitariste avait préféré que j'attende sa sortie officielle (Thalle sort là en numérique sur Carton Records, mais en vinyle avec pochette imprimée en riso seulement le 14 novembre). Cette redécouverte me fait le même effet que la première fois. Le facteur fait tomber d'excellents disques dans ma boîte, mais peu m'inspirent. Que ce soit du jazz, des improvisations, du drone, de la noise, des chansons, je finis par avoir l'impression de les avoir tous déjà entendus. Ils manquent cruellement du risque de déplaire. C'est cette même nécessité du danger qui me laisse actuellement dans un état de transition stationnaire lorsque je rêve de composer quelque chose de nouveau. À moins d'avoir besoin d'assurer fondamentalement sa subsistance ou d'entretenir l'amour de son public, qu'elle qu'en soit la taille, à quoi bon répéter les formules qui ont prouvé leur efficacité ?
En se laissant aller à faire ce qui lui plaît, sans modèle ou sans chercher à s'inscrire dans un courant à la mode, Tatiana Paris présente une garantie de longévité. Je me réfère toujours à l'exergue de Jean Cocteau au début du chapitre D'une histoire féline du Journal d'un inconnu : "ne pas être admiré, être cru". Le disque de Tatiana Paris est d'une sincérité absolue. On pourrait y voir une forme de minimalisme créé avec un bazar d'instruments (guitare préparée, voix, piezos, radio, acousmonium hertzien, synthé modulaire et divers objets), mais c'est simplement une musique tendre, à la fois légère et profonde, une intimité partagée comme une confidence versée dans le creux de l'oreille. Son "thalle" n'est pas sans feuille ni racine comme le sont les lichens, c'est un organisme intègre qui se suffit à lui-même. Les deux plus longues pièces, qui donnent le titre à l'album sont jouées aux grandes orgues par Rachel Langlais, des drones tranquilles qui mettent en valeur les miniatures chuchotées qui les suivent. À l'affût non de ce qui est original, mais personnel, je suis enchanté par cette musique de chambre dont l'épatante proximité transmet une vibration épidermique.

P.S.: il y a deux ans j'avais enregistré l'album Moite en trio avec Tatiana Paris et Violaine Lochu (de longues pièces instantanées carrément incisives !), et chroniqué Gibbon, son premier disque, que j'avais déjà adopté.

lundi 15 septembre 2025

Tallinn II (13)


Comme à Vilnius où Sigute nous a merveilleusement conseillés, nous avons la chance d'être guidés par Piret que Chistiane connaissait d'un précédent séjour à Tallinn et par sa sœur Maarit qui, le soir, nous invitera à un concert de guitare classique contemporaine au château de Kadriorg, le palais du tsar Pierre le Grand. Les deux sœurs sont musiciennes et travaillent toutes deux dans le monde de la musique classique.


Avant le joli concert de Helin Hallik et Sarah Badlissi je photographie le plafond de la salle qui me donne le vertige.


Piret nous fait découvrir des aspects de la vieille ville qui nous avait échappés, mais c'est au Poco que nous terminons notre périple, d'autant que notre amie n'y est encore jamais allée depuis sa récente ouverture. Le Pop & Contemporary Art Musueum est une collection privée où sont exposés aussi bien des Warhol et des Lichtenstein que des Banksy (qui s'en sort très bien) ou des jeunes artistes estoniens.


Nous résidons dans une sorte d'appart-hôtel où les lofts modernes ont investi d'anciens bâtiments industriels probablement en liaison avec le port qui est tout à côté. Le quartier de Rotermann est également tout près de la vieille ville qui est sous nos fenêtres. C'est encore un coin branché dont les jeunes cadres se sont emparés. Pour le petit déjeuner je préfère largement La boulangerie que le mythique RØST qu'on nous a conseillé.


Le long couloir qui mène à notre Airbnb est assez flippant. Il nous fait irrémédiablement penser à Shining ! Partout où nous allons nous ne pouvons nous empêcher d'y associer des références littéraires sérieuses ou des évocations cinématographiques fantaisistes qui nous amusent beaucoup.

vendredi 12 septembre 2025

Brunö Lapin bondit joyeusement


Le trio Brunö Lapin composé du violoncelliste Clément Petit, de la bassoniste Sophie Bernado et du flûtiste Jocelyn Mienniel, doit à chacun de ses membres son remarquable équilibre. Petit assure la cohésion orchestrale de l'ensemble, Bernado lui donne son timbre unique, Mienniel volète en virtuose. C'est très beau. Parmi leurs nombreuses collaborations je suis surpris que dans le livret ne soit nulle part fait référence au quintet Art Sonic (2012-2020) qui m'a permis de découvrir la bassoniste et où officiait le flûtiste rencontré plus tôt (attention danger, Pluto est un chien, la référence est le Peter Rabbit de Beatrix Potter paru en 1902) grâce à sa participation à l'ONJ de Daniel Yvinec (2009-2013), car on y décelait cette appétence pour la musique de chambre européenne, caractérisée entre autres par l'utilisation des bois, qu'ils soient à cordes ou à anche. J'eus la chance d'enregistrer avec l'une (Arlequin, 2015, et Défis de prononciation, 2017) et l'autre (Game Bling, 2014) et regrette bien de ne plus avoir croisé le faire avec eux depuis, et jamais encore avec le violoncelliste (Space Galvachers...), dont on sent partout la fibre lyrique et structurelle ! Tous les trois creusent leurs galeries, qu'ils cultivent l'excitation, la retenue ou ce savant mélange tension-détente qui donne tout son suc à la musique quelle qu'elle soit. Vous pourrez toujours tenter de mettre du sel sur la queue de ce charmant Brunö Lapin, vous ne l'attraperez pas. Il vous faudra l'écouter tandis qu'il bondit de son terrier, clapier (studio) ou garenne (live), magique apparition, et en lagomorphisme je m'y connais !

→ Clément Petit | Sophie Bernado | Jocelyn Mienniel, Brunö Lapin, CD BMC, dist. Socadisc

Sur le même label, le hongrois BMC, Sister Juniper du trio Dear Uncle Lennie avec Camille-Alban Spreng (piano, claviers), Marco Giongrandi (banjo), Benjamin Sauzereau (guitares) et en invité le clarinettiste Joachim Badenhorst, agréablement sautillant et délicatement lyrique (sortie le 26 septembre 2025), et Notice du trio belge Easy Pieces composé par le même Benjamin Sauzereau avec Hendrick Lasure aux claviers et Dorian Dumont au piano, plus enlevé et intelligemment chaotique, comme un film de celluloïd qui partirait en chandelle...

jeudi 11 septembre 2025

Tallinn I (épisode 12)


Au fur et à mesure du voyage je prends des notes qui me serviront plus tard quand, rentré à Paris, je rédigerai mes articles feuilletonnants. Il y a évidemment toujours un délai entre vivre ces aventures et les rapporter, mais en fin de course les derniers épisodes sont vierges et je dois tout écrire alors que je suis déjà complètement ailleurs. Comme pour les précédentes étapes je m'appuie sur les photos. C'est d'ailleurs la première chose à faire, trier et choisir celles qui illustreront le mieux le texte.


Nous voilà donc arrivés à Tallinn, capitale de l'Estonie et certainement la mieux conservée des trois pays baltes. Les bombardements soviétiques ont relativement peu abîmé la ville grâce à l'aviation finlandaise venue à la rescousse de sa cousine du sud. Ces deux pays ont beaucoup en commun, comme de leur côté la Lituanie et la Lettonie, les trois pays baltes ne partageant pas les mêmes bases linguistiques et culturelles. Nous grimpons en haut de l'église Saint-Nicolas (il y a un ascenseur !) admirer la ville sous tous les angles. On aperçoit là la cathédrale Alexandre-Nevski et quelques unes des vingt-sept tours des remparts qui encerclent la vieille ville. En redescendant nous sommes saisis par la Danse macabre sur toile réalisée par l'atelier de Berndt Notke à Lübeck.


Certaines maisons datent du XIIIe siècle, l'ensemble s'échelonnant jusqu'au début du XXe. Nous arpentons la ville haute, quartier de Toompea, et la ville basse en long, en large et en travers, passant par la rue de la jambe courte ou celle de la jambe longue. Le dernier jour nous irons du côté de Telliskivi, quartier branché ayant investi d'anciens entrepôts. À d'autres moments nous pousserons dans la ville moderne, en particulier à l'est pour visiter le Kumu, musée d'art exposant du XVIIIe à nos jours, en passant par la Seconde Guerre Mondiale et le réalisme soviétique.


C'est dans l'auditorium du Kumu qu'avec Antoine Schmitt nous avions réalisé en septembre 2011 plusieurs représentations de Nabaz'mob (entretien à la clef pour la télévision estonienne), notre opéra pour 100 lapins communicants dans le cadre de Gateways organisé par le Goethe Institut. Lors de ce premier séjour nous avions visité le Musée du KGB !


L'un des clous du Kumu est l'installation Kajakas (mouette en français) du sculpteur Villu Jaanisoo qui a rassemblé 83 bustes dont on entend la voix pour certains.


Christiane me fait poser parmi eux !


Sur le front de mer nous constatons le soin mis pour attirer et captiver les jeunes visiteurs du Musée maritime. Les pays du nord se préoccupent de l'intérêt que peuvent ressentir les jeunes de tous âges, y compris les plus petits. Nous retombons ainsi facilement en enfance, en particulier en descendant à l'intérieur du Lembit, un sous-marin de 1936 ayant rejoint plus tard la flotte soviétique. Mais les dinghy sur glace ou ice-boats sont tout autant fascinants. C'est l'été et l'on n'imagine pas forcément la couche de neige qui recouvre la ville et les lacs transformés en patinoires.


Les tramways sillonnent la ville, mais j'avoue avoir souvent cédé à la facilité (mon genou s'est réveillé et j'ai craint tout le voyage être à nouveau handicapé ; pourtant les heures de marche l'ont heureusement épargné) en empruntant des Bolt, compagnie estonienne comme feu Skype.

mercredi 10 septembre 2025

Baltique (épisode 11)


L'accueillant et vaste loft de Pärnu possède deux terrasses, l'une à l'est pour le lever de soleil, l'autre à l'ouest, je vous laisse deviner.


C'est de là que vient le vent qui fait rouler les vagues où je me baigne malgré le peu de déclivité de la plage. Même en allant au loin je n'ai de l'eau (elle est à 21°) que jusqu'à la taille. C'est à l'ouest aussi que nous admirons la pleine lune d'esturgeon. Sa rousseur annonce le beau temps. Il y a des parcs partout, mais toujours cette fâcheuse manie de raser le gazon comme s'il avait été livré la veille. Nous profitons de cette villégiature. Je m'aperçois que ma photo de la Baltique ressemble au drapeau estonien.


Si nous sommes ravis du choix de nos escales depuis un mois, on ne pourra pas en dire autant de Haapsalu qui n'a pas beaucoup d'intérêt en dehors de son château médiéval. Aucune plage à la ronde malgré la côte, et les locations sont étonnamment plus chères qu'ailleurs. Il y a des mystères qui ne peuvent incomber à la nomenclature des apparatchiks de l'ère soviétique (l'architecture y fait souvent penser). C'est plutôt la bourgeoisie de Tallinn qui descend se détendre, trouvant Pärnu trop loin et peut-être trop populaire. Walter Robotka m'explique que nous aurions dû traverser jusqu'à l'île de Saaremaa, absolument fantastique. Mais c'est ainsi, on ne peut pas tout voir, il reste toujours des merveilles à découvrir.
Un peu avant Tallinn je suis flashé pour excès de vitesse à 59km/h, attrape-nigaud à 50 km/h, 20 mètres après un panneau à 70 sans autre signalement visible. C'est partout pareil, les pièges sont forcément vicieux ! Ce n'est pas grave, jusqu'ici le voyage s'est très bien passé, les énormes averses dégringolant seulement lorsque nous n'étions pas dessous. Les autochtones sont accueillants, particulièrement en Lituanie et en Lettonie. Je comprends pourtant pourquoi les voyageurs vont plus souvent du nord au sud, on est toujours le méridional de quelqu'un ! L'Estonie est globalement plus sèche, plus scandinave. Partout j'essaye de dire quelques mots, il suffit de demander comment on dit merci (même en le sachant) pour que les visages s'illuminent. En dehors des trois capitales il n'y a pas grand monde.

mardi 9 septembre 2025

Le pays Seto (épisode 10)


C'est pour l'instant la partie la moins excitante du voyage. Un chevreuil passe. Des moustiques trépassent. Nous leur faisons la chasse jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun dans la cabane perdue au milieu des bois si nous voulons dormir ce soir. Ils sont plus gros et plus lents que les minuscules énervés qui me dévoreront à mon retour à Bagnolet. Nous sommes d'ailleurs surpris d'avoir été si peu ennuyés par ces morphales culicidés, contre toute attente. C'est là question de vent, d'humidité et de température. Nous sommes miraculeusement passés au travers des nuées voraces.


Le lendemain matin nous roulons jusqu'à Podmotsa regarder la Russie qui est à cent mètres de l'autre côté du lac. On y aperçoit les dômes d'une église orthodoxe.


Côté estonien, l'église orthodoxe Saint-Georges de Värska est fermée, comme chaque fois que nous espérons en voir l'intérieur polychrome. Nous nous contentons de nous promener dans le cimetière qui l'entoure, très fleuri comme de coutume, avec beaucoup de charme. C'est en général le propre des cimetières où que ce soit sur la planète.


Nous déjeunons à la ferme de Värska, préservée ou reconstituée comme on aime le faire dans les pays du nord. Les femmes, qui servent à table ou gardent la ferme-musée sont en costume traditionnel. Il y a une vache, des moutons, des poules, un lapin. On ne rentre pas dans l'étable, interdite pour risque de fièvre aphteuse ! Je prends la photo d'un vieux sauna. Je n'en ai utilisé aucun de ceux qui étaient disponibles dans les divers Airbnb, peut-être parce que je trouve le mien au fond du jardin beaucoup plus agréable que ceux qui jouxtent la douche, un peu étriqués.


Plus loin, toujours en Estonie, puisque nous avons franchi la frontière sans qu'il n'en soit fait mention, nous arrivons à Tartu, la ville universitaire du pays. Mais, avant, je dois régler un problème très contrariant, avec le loueur de la première voiture. Il nous facture 210 euros pour un pneu crevé, sauf que ce n'est pas notre Skoda que j'ai heureusement filmée avant d'en rendre les clés. La place du parking n'est pas celle où nous l'avons garée, et, en faisant un gros plan sur le pneu, je constate qu'il n'est pas de la même marque. Je réponds aussitôt au bureau de Vilnius qu'il y a un problème avec leur succursale de Riga où nous avons laissé l'engin, une voiture automatique affligée d'un ordinateur de bord qui produit des tas d'alarmes variées, passages à niveaux non gardés, commentaires sur ma façon de conduire, etc. Je critique, mais sa caméra m'aurait m'aurait évité de m'embourber dans un fossé plein d'eau avec la Skoda actuelle. Nos hôtes durent nous sortir de l'ornière en nous treuillant avec leur 4.4. Mais revenons à l'arnaque qui nous fiche en pétard. J'avais commandé la location, il y a plusieurs mois avec ma carte American Express, or elle n'est jamais acceptée dans les pays baltes ; j'ai donc versé la caution avec la Visa. Or, si l'intégralité n'est pas payée avec la même carte, ni l'American Express, ni la banque n'offrent d'assurance complète en cas de dommage ou litige. Vous êtes prévenus ! Je prouve donc et menace si la question n'est pas réglée dans les plus brefs délais. C'est efficace. Le surlendemain, le loueur m'explique que le dommages incombent au conducteur suivant, manière de se disculper alors que leur photo ne montre pas la voiture que nous avons louée. Il n'y figure d'ailleurs aucune plaque d'immatriculation ! Les "indélicats" appartiennent donc à la succursale de Riga. Au retour il faudra encore que je menace pour être finalement remboursé.


Comme nous sommes heureux d'avoir eu gain de cause, nous fêtons cela en déjeunant au Pussirohukelder, l'ancienne poudrière, soit la plus haute cave d'Europe. Je dois demander un doggy-bag pour remporter la moitié du jarret de porc que j'ai fait glisser avec un verre de kvass. Nous avons donc bien adopté cette boisson fermentée depuis le début de nos aventures, et nous comptons bien la mettre à la mode dès notre retour à Paris. Cette boisson délicieuse et désaltérante remplace le Coca qu'il est plus que jamais important de boycotter, d'une part comme produit de l'Amérique trumpiste, d'autre part pour son implantation en Israël.
Plus on monte vers la Scandinavie, plus les autochtones font penser à leurs voisins du nord. Les pelouses ressemblent à des crânes de G.I., et tout semble pensé pour qu'aucune pensée ne vienne perturber l'équilibre des habitants. La grande majorité des Airbnb où nous résidons sont exclusivement conçus pour la location. On sent que tout a été prévu, mais il manque des tas de choses parce que les loueurs n'y ont jamais vécu. Ou bien ils ne lisent jamais (aucune lampe de chevet) ou encore ils ne boivent que du café et de la bière (ni bouilloire, ni théière) ? Il n'empêche que nous avons choisi des maisons ou des appartements plutôt agréables, avec presque toujours accès à un espace extérieur, balcon, terrasse ou jardin.


À Tartu notre promenade préférée est celle du magnifique jardin botanique, le plus beau que j'ai vu jusqu'à maintenant. Et nous admirons toujours les nuages, absolument somptueux. Mais nous voilà déjà repartis vers la Baltique...

lundi 8 septembre 2025

150 rennes (épisode 9)


Le 2 août nous reprenons une voiture pour une douzaine de jours, ce qui nous permettra de franchir une nouvelle frontière, cette fois vers l'Estonie. Sur le chemin nous nous arrêtons au Château de Wenden à Cēsis. Dans ce château fort, le mieux conservé de l’Ordre Teutonique en Lettonie, on nous remet une lanterne à bougie pour découvrir ses ruines particulièrement bien mises en scène, à grand renfort de projections intégrées dans les décors d'époque. Fondé en 1214 par des chevaliers Porte-Glaive, des moines-soldats originaires du Saint-Empire romain germanique, il fut mis à sac par le tsar Ivan le Terrible en 1577.


Toujours En Lettonie, le hameau d'Annas est à la hauteur de nos espérances.
À la fin des années 70 et au début des années 80, j'habitais justement 7 rue de l'espérance à Paris, ce qui correspond au sommet de la Butte aux cailles. Suite à la séparation d'un couple d'amis, lui journaliste au journal Le Monde, elle responsable des programmes à France Culture et France Musique, j'héritai d'un loyer loi de 1948 dite surface corrigée. Pour une somme dérisoire, j'avais deux chambres et, donnant sur la cuisine, une cave aménagée en salon et studio où j'enregistrerai, entre autres, les deux premiers albums d'Un Drame Musical Instantané, Trop d'adrénaline nuit et Rideau !, et un garage ! La salle de bain, qui donnait sur la cuisine, d'où la loi de 48 (si l'échelle de meunier et la trappe au milieu de la cuisine n'avaient pas suffi !), avait une porte s'ouvrant sur une cour minuscule dont je n'avais aucune utilité, mais qui me faisait rêver. Je trouvais le logement idéal (il sera largement détrôné par l'immense loft de la future mère de ma fille en face du cimetière du Père Lachaise), mais, certains jours d'ébriété, j'imaginais que cette porte mystérieuse pourrait déboucher sur un parc avec des biches et des cerfs. "C'était tout ce qui me manquait !", disais-je, comblé. Dans la durée réalité la cour n'était occupée que par les toilettes à la turque de nos charmants voisins, un petit couple de vieux communistes, Angèle et Maurice, qui reposent au cimetière de Gentilly.
Notre halte à Annas fera glisser le rêve formulé un demi-siècle plus tôt vers une réalité quasi magique. La cabane située au bord d'un lac où s'écoule une rivière où nous pouvons nager est entourée d'un troupeau de 150 biches et cerfs. Ici on les appelle des rennes. En prenant tout de même mille précautions, nous caressons leur poils rêches et leur museaux humides. Je filme aussi leurs cavalcades dans les prés qu'ils ont ravagés, car il ne reste pratiquement aucun arbre sur les 40 hectares qui leur sont attribués.


Nos hôtes, dont les rennes sont leur passion, nous offrent une délicieuse liqueur de coing et nous font chauffer un jacuzzi à l'ancienne dont nous profitons à la nuit tombée en admirant les étoiles.


L'endroit est totalement idyllique. Nous nous baignons devant la maison et nous en faisons le tour à la rame.


Je fais durer le plaisir en publiant plusieurs photos, photographies qu'il me faut choisir tout au long du voyage parmi toutes celles que j'ai prises et qui me rappellent ces délicieux moments lorsque, de retour au bercail, j'aurai l'impression d'avoir rêvé ces cinq semaines de voyage dans les pays baltes.

vendredi 5 septembre 2025

Rīga II (épisode 8)


Autre souvenir inoubliable de Rīga, le musée du ghetto où l'on apprend beaucoup du génocide qui frappa la presque totalité de la population juive lettone. J'évalue la hauteur de la petite fenêtre d'un wagon de bestiaux, comme celui d'où mon père sauta tandis que le train roulait vers les camps de la mort... Je ne pensais pas qu'un jour je connaîtrais cette horreur à un autre bout du globe. N'avons donc nous rien appris que de tolérer un génocide sans broncher ? En Lettonie comme en Lituanie, la guerre, l'extermination des juifs baltes et l'occupation soviétique sont évidemment partout très présentes au travers des musées et des sculptures.


Il y a aussi le Mākslas muzejs Rīgas Birža, le musée de la Bourse, où nous allons pour les étonnants tableaux du peintre symboliste russe Nicolas Roerich, sorte de minimalisme psychédélique avant la lettre !


En parlant de sculptures, nous continuons à en croiser à tous les coins de rue et dans les parcs : modernes, anciennes, art brut, nains de jardin aux figures de trolls, etc. ! Comme il pleut, nous en profitons pour faire un tour de la ville en bateau depuis le canal jusqu'à la Dvina (Daugava), fleuve large qu'enjambent de grands ponts. Nous ratons les castors qui sont très matinaux, à une heure où les bateliers ne sont pas encore levés ! Je me venge sur une boîte de pâté, plutôt décevant.


Comme toujours et partout, je suis préoccupé, par "où est-ce qu'on mange ?". Les restaurants manquent sérieusement d'imagination, proposant presque tous le même menu, même si c'est tout à fait décent. Beaucoup de plats à base de pommes de terre, du poulet ou du porc, des raviolis (inspiration italienne ou russe), et du poisson près des côtes. De temps en temps nous en dégottons un au-dessus de la moyenne.


Mais en définitive celui dont je me souviendrai est un petit stand du marché central, le Siļķītes un Dillītes (Hareng et aneth) où l'on sert des poissons extra-frais. Ce sont les anciens hangars des zeppelins, les ballons dirigeables. Comme nous avons choisi de résider dans des Airbnb, nous pique-niquons souvent à la maison : poisson fumé ou mariné, charcuterie, fromage, fruits, c'est l'époque, des fraises et des myrtilles avec du bon pain gris et de la crème aigre.


Le dernier jour nous allons au Zuzeum nous incorporer aux sculptures de l'artiste autrichien Erwin Wurm, ici How It Is (After Samuel Beckett). Dans une autre on a droit à un petit coup de gnôle en ouvrant un tiroir après y avoir glissé les jambes !


En sortant, je tape la discute avec un autochtone extrêmement patient. Je suis toujours aussi bavard. Ce n'est pas prêt de s'arrêter, car nous n'en sommes qu'à la moitié du voyage.
On croise ce genre de statues réalistes partout en Lettonie et en Estonie. En fait il s'agit ici d'Aldous Huxley on a Bench sculpté par Ginters Krumholcs. Nous évoquons donc Le meilleur des mondes, roman hélas de circonstance, et Les Portes de la perception dont le sujet est l'un des vecteurs de ma vie.

jeudi 4 septembre 2025

Rīga I (7)


Rīga, c'est le retour à la civilisation. J'exagère, mais tout d'un coup apparaissent des cohortes de touristes qui suivent des perches télescopiques surmontées d'un petit drapeau, de beaux bâtiments reconstruits après la guerre qui les font ressembler à Disneyland, des Français (c'est la première fois que nous en croisons depuis notre départ) et des musées à tous les coins de rue. Mais c'est aussi un voyage dans le passé, que ce soit dans la vieille ville ou dans le quartier Art Nouveau.


Comme nous avons laissé Lola, Oulala et Django à la maison, certes aux bons soins de Théo, nous sommes sensibles à la Maison du chat où deux félins perchés montrent leurs derrières à la Grande Guilde, histoire de régler un vieux compte.


Toujours très miaou, Riga s'enorgueillit du succès de l'excellent dessin animé Flow réalisé par le cinéaste letton Gints Zilbalodis. À propos de cinéma, le soir, lorsque nous sommes fatigués d'avoir marché toute la journée, nous regardons souvent un film. Si je n'arrive pas à brancher le disque dur que j'ai apporté sur le grand écran de l'Airbnb, je me connecte à Arte.tv avec un VPN dirigé sur Paris.


Nous logeons donc dans une artère animée du vieux Riga (Vercrĭga). La rue Kalĕju nous donne l'impression d'être à Montmartre. La nuit nous avons le choix entre avoir chaud en fermant les fenêtres ou être submergés par les cris tonitruants des jeunes qui font la fête jusqu'à 4h du matin. Le jour, quand il ne pleut pas, c'est plus agréable car nous pouvons jouir d'une rare petite terrasse au sixième étage (évidemment sans ascenseur). Du haut du balcon nous admirons les chorégraphies des étourneaux dans le ciel qui s'est dégagé. Comme à Liepāja la cage d'escalier est craspouille et sordide, mais l'appartement, conçu avec un souci architectural évident, est superbe. À un détail près : l'eau chaude, qui dépend de la ville, héritage de la période soviétique, est coupée pendant trois jours, le temps de vérifier le système hydraulique. Cela se fait l'été évidemment. Pour une fois qu'une baignoire se substitue à une douche !
N'allez pas imaginer que nous nous plaignons ou que le voyage s'assombrit. Comme partout nous marchons et nous arpentons la ville du nord au sud et d'est en ouest (ce n'est pas si grand, même si beaucoup plus vaste que Vilnius par exemple) et nous en prenons plein les mirettes. La vieille ville a un petit côté hollandais tandis que le quartier Art nouveau est foncièrement viennois. D'un côté des maisons datant du XIIIe au XIXe siècle, de l'autre une inspiration nette de la Sécession viennoise et de la Jugendstil.


Nous avons donc le choix entre des petits amuse-gueules et de somptueux pâtisseries décorées de crème fouettée. Les plus beaux bâtiments sont l'œuvre de l'architecte Mikhaïl Eisenstein, le père du cinéaste, lui-même né à Rīga, mais parti à l'âge de cinq ans. La rue Alberta et celles autour concentrent un nombre étonnant de ces constructions ornées de sculptures et de frises élégantes. Terrible coïncidence en regard de ses figures grimaçantes, le numéro 13 hébergeait les services secrets soviétiques !


Le Guide du Routard, limité aux trois capitales baltes et à Helsinki, nous indique le circuit à suivre, mais pour le reste du pays, nous nous référons au Lonely Planet consacré aux pays baltes dans leur ensemble. Je vous y renvoie si l'envie vous en prenait de découvrir ces passionnantes contrées.


Je conserverai un souvenir particulier de l'appartement de l'architecte Konstantīns Pēkšēns, reconstitué comme à l'époque dans l'immeuble du Rīgas Jūgendstila Centrs.

mercredi 3 septembre 2025

The Wire n°500


Le 500e numéro de The Wire sous couverture argentée vient de sortir. Parmi plein d'autres choses paraît la première chronique papier du remarquable livre de Ian Thompson dont j'ai écrit l'une des deux préfaces avec celle de Steven Stapleton (Nurse With Wound) et que Philip Brophy cite au début de son article, et dont je traduis les premiers mots ci-dessous.

Synths, Sax & Situationists: The French Musical Underground 1968-1978, lan Thompson, Roundtable Pbk 496 pp

"Dans la préface de Synths, Sax & Situationists de Ian Thompson, Jean-Jacques Birgé (membre du groupe de rock expérimental et théâtral Un Drame Musical Instantané) raconte comment, adolescent en mai 1968, il a été inspiré par les sons déchaînés, les performances radicales et les spectacles sociaux qui capturaient le lien explosif entre la contestation sociale étudiante et la déconstruction des arts esthétiques : « Le rock, qui est avant tout un projet collectif, a apporté l'électricité, mais le jazz, qui met en avant les individus, nous a poussés à improviser. »
Cette vision fascinante résume bien l'esprit du livre qui embrasse la grande diversité des personnalités et des projets créés au lendemain des émeutes de mai 68 à travers la France..."

Pas en notre nom


Je ne publie en général aucun article sur des sujets largement couverts par la presse. Sur le génocide à l'œuvre en Palestine, j'en lis tellement que je ne vois pas l'intérêt d'en rajouter. Sur FaceBook je montre chaque fois ma solidarité avec les publications ou travaux de Simone Bitton, Eyal Sivan, Shlomo Sand, Ilan Pappé, Mona Chollet, etc. Sur le sujet j'ai tout de même écrit
en 2006
Autodestruction
En Israël, le communautarisme a enseveli la réflexion politique
Où fait-il bon vivre ?
en 2009
Neige-Nuit-Sable-Sang
Comment le peuple juif fut inventé (Shlomo Sand)
Bachir, carnet de balles
en 2010
Ils diront qu'ils ne savaient pas (sur le film Jaffa, la mécanique de l'orange)
en 2013
Apartheid en Israël (sur le film 5 caméras brisées)
Comment j'ai cessé d'être juif (encore Shlomo Sand)
en 2014
Devoir de mémoire
Sur la question palestinienne, etc.
sans parler de l'histoire de mon grand-père gazé à Auschwitz ou de mon père qui a sauté du train qui l'emmenait vers les camps de la mort
ou encore en 2018
Ils étaient français avant d'être juifs
J'ai été juif...
L'horreur s'accentuant, les consciences se forgent et je me sens moins seul que lorsqu'en 1967 je comprenais que l'état religieux d'Israël était tout simplement le fait du colonialisme et n'avait rien à voir avec la question juive.
J'ai hélas la douleur de lire le propos de sionistes qui cherchent des justifications au génocide à Gaza en évoquant les traités (alors qu'Israël bafoue régulièrement le droit international), la politique du Hamas (dont la montée en puissance est le fait du Likoud et de la politique israélienne qui a zigouillé les démocrates palestiniens) qu'évidemment je condamne, ou les crimes commis ailleurs sur la planète et qui ne font pas l'unanimité comme aujourd'hui face à ceux de l'extrême-droite au pouvoir en Israël. Mais comment peuvent-ils justifier de faire porter aux Palestiniens qui n'y sont pour rien la culpabilité de l'occident du génocide perpétré par les nazis ? Ont-ils la moindre idée de la vie d'un Palestinien né forcément sous l'occupation ? Comprennent-ils le racisme des pays arabes vis à vis des Palestiniens alors que seul l'Iran les soutient, un pays qui ne l'est pas ? Quels sont les enjeux économiques et stratégiques des Etats-Unis au Moyen-Orient ? Pourquoi Israël interdit-il la presse étrangère à Gaza et assassine systématiquement les journalistes présents ? Israël est un état paranoïaque. J'ai été confronté à la paranoïa en Bosnie lorsque j'étais à Sarajevo pendant le siège, son principe est "tuons les tous avant qu'ils nous tuent !" Les nazis caricaturaient les juifs de la même manière, façon de s'accaparer ce qui ne leur appartient pas...
En France, les antisémites historiques soutiennent Israël, ils aimeraient bien envoyer là-bas tous les juifs ! Quant au colonialisme sioniste, comment ne pas voir qu'il s'est même transformé en impérialisme après les récentes déclarations de Netanyahou, un fou sanguinaire prêt à sacrifier son pays pour s'éviter un procès pour corruption ? Que fait l'ONU ? Qu'attendent nos états pour geler tous les avoirs israéliens au lieu de leur vendre des armes ? Il est intéressant de constater que ce sont les citoyens qui se révoltent partout sur la planète, des dockers de Gênes aux juifs de la diaspora qui savent que c'est l'essence-même de leur culture qui s'effondre en Palestine. Je ne pourrai jamais plus transmettre les valeurs morales qui m'ont été inculquées, ou du moins avec cet étrange sentiment d'appartenance malgré ma laïcité héritée depuis plusieurs générations.
De retour du siège de Sarajevo, je croise à une fête un garçon taciturne qui reste dans son coin. Comme je lui demande ce qu'il fait, il m'explique qu'il est responsable de mission humanitaire dans des pays critiques. À sa mine déconfite je comprends qu'il revient du Rwanda. Il me dit alors qu'il y a des justes, mais il ajoute "ce ne sont pas toujours les mêmes". Les Bosniaques eurent ainsi du mal à accepter que je m'implique ensuite au Haut-Karabagh où des musulmans, les Azéris, persécutaient des orthodoxes, les Arméniens.
Je ne publie en général aucun article sur des sujets largement couverts par la presse, mais si je n'ajoutais pas ma voix à celles de tous et toutes pour exiger d'arrêter le massacre et d'envoyer les criminels et leurs complices au Tribunal Pénal International je ne pourrais plus me regarder dans la glace.

mardi 2 septembre 2025

La Lettonie (6)


Si voyager en Lettonie c'est voyager dans le passé, c'est dû à l'architecture qui a subsisté malgré la Seconde Guerre mondiale et l'occupation soviétique. C'est aussi un monde rural alternant champs cultivés et forêts préservées. Les nationales sont des routes de terre et les autoroutes essentiellement des deux voies ! Le long des kilomètres de magnifiques plages de sable fin, les vacanciers s'agglutinent au même endroit, comme partout, alors qu'il en existe de quasi désertes un peu plus loin. Celle de Karosta (près de Liepāja) est cachée par des bunkers construits de 1890 à 1908 et bizarrement détruits en 1915. Comme sur les côtes normandes, les explosions n'ont pu avoir raison du béton. Ailleurs, les ruines sont celles des fermes en bois. Pourtant tout respire une certaine douceur.


À Liepāja, les escaliers du loft qui surplombe le port donnent l'impression de grimper dans un immeuble des années 50, mais nous résidons dans un superbe atelier d'architecte. Il faut juste se coltiner les six étages à pied avec les bagages ! Il y en a heureusement toujours un de moins que prévu, car ici le rez-de-chaussée est considéré comme le premier étage.


En face les immeubles nous font penser au Nosferatu de Murnau, mais, préférant les petits restos du port, nous ne franchirons jamais le pont, évitant les fantômes.


Chaque fois que nous souhaitons entrer dans une église orthodoxe, comme ici la cathédrale navale Saint-Nicholas, elle est fermée ! Je crois comprendre qu'elles n'ouvrent que pour les services.


Nous déjeunons à l'auberge Hoijeres Krogs qui a conservé son aspect hollandais du XVIIe siècle, comme si nous étions dans un Vermeer. Partout nous profitons des terrasses des restaurants, puisque pour l'instant le soleil m'oblige à porter mon chapeau de pêcheur acheté en 2011 au Cambodge sur les bords du Tonlé Sap. Les serveuses et les gardiennes de la partie transformée en musée sont habillées dans le style de chaque période.


Étape suivante, Kuldīga mérite en effet de figurer au patrimoine mondial de l'Unesco, avec ses rues piétonnes et ses maisons du XVIe au XVIIIe siècle.


Le clou du séjour est de nous baigner dans Ventas Rumbā, plus large cascade d'Europe, 240 mètres où les remous jouent le rôle de jacuzzi ! Il fait 29° dehors et l'eau est à 23. Sauf pendant le week-end, il n'y a pas grand monde, mais on sent bien la destination touristique au nombre de voitures garées au parking.


Partir cinq semaines permet le farniente. Sur ma liseuse je termine L'art de la joie de Goliarda Sapienza avant d'entamer Le mur invisible de Marlen Haushofer. Demain, nous laisserons la voiture à Rīga, une ville pleine de ressources qui nous fera probablement changer de vitesse.

lundi 1 septembre 2025

Guerre froide (5)


L'idée de rouler jusqu'à Plateliai (Lituanie) est d'aller visiter l'ancienne base nucléaire souterraine soviétique, transformée en musée de la guerre froide. Il y a six ans, en Roumanie, j'étais descendu dans un bunker de ce genre, construit pour se protéger d'attaques adverses !


Sur la base de lancement de missiles de Plokštinė, l'un des quatre silos a été aménagé pour le public. On ne se rend pas toujours compte de la folie humaine, apôtre de la destruction massive, mais cela n'a jamais cessé, bien avant et encore aujourd'hui.


Passé la reconstitution avec mannequins et sons d'époque, cela fait froid dans le dos. On remonte à la surface pour aller se dégourdir les jambes près du lac au sept îles.


Si jusqu'ici nous avons été survolés par des hirondelles, des corneilles et des mouettes, j'ai adoré croiser des cigognes en vol ou dans les champs avant de passer la frontière pour la Lettonie. Dans un petit village estonien, le long de la route, nous en découvrirons perchées sur chaque lampadaire comme pour une revue militaire.