70 octobre 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 31 octobre 2025

Marc-Antoine Mathieu à la loupe


Pour son nouvel opus, L'infiniment moyen et plus si infinités dans les limites finies d'une édition minimaliste, Marc-Antoine Mathieu propose cette fois un bande dessinée de 2 cm2, qui ne peut donc se lire que d'un œil en fermant l'autre. Un physicien et un philosophe y dialoguent sur l'infini et l'infiniment petit. On a certes l'impression qu'ils enculent les mouches. La loupe est fournie pour ce faire. Mais plus on avance dans le récit, plus l'abîme s'ouvre sous nos pieds, euh, nos yeux. Choisir alors entre le vertige et la migraine !
Mes huit dictionnaires Larousse Lilliput (1961) pouvaient se lire à l'œil nu, mais une loupe était déjà fournie avec la cultissime BD Saga de Xam (1969), et le manuscrit du Voyage du mauvais larron de Georges Arnaud (1951), dont j'ai hérité une page autographe écrite sur le cargo où l'auteur était passager clandestin, explose les limites de l'infiniment petit...

→ Marc-Antoine Mathieu, L'infiniment moyen et plus si infinités dans les limites finies d'une édition minimaliste, 88 pages, livré avec une loupe, sous coffret, 21,50€. Une version numérique est proposée à 14,99€, mais j'ai bien l'impression que c'est une blague. Par contre, à la fin du mini-livre, le digicode renvoie à un Hyperrêve où les bulles de dialogue glissent malicieusement dans le cosmos...
→ Sur ce Blog, Marc-Antoine Mathieu en 5 articles (2011-2022) et Kafka : Denis Lavant, Marc-Antoine Mathieu et Wilfried Wendling (2024)

jeudi 30 octobre 2025

Amazônia au Quai Branly


Le Musée du Quai Branly est toujours facteur de rêves. On ne s'en lasse pas et les expositions temporaires poussent à y revenir souvent. On commence ou on finit par traverser le jardin sauvage conçu par Gilles Clément dont les feuillages disparaissent la nuit pour être envahi de tubes de lumière colorée. Jusqu'au 18 janvier c'est Amazônia qui occupe l'espace en escargot du rez-de-chaussée. L'exposition a le mérite de mélanger les collections historiques et des œuvres contemporaines.


Je suis pourtant déçu par le choix des objets et surtout par la scénographie qui ne rend absolument pas l'émotion que procure la forêt amazonienne. D'un côté les œuvres anciennes viennent presque toutes du Musée et on en connaît la plupart, d'ailleurs il en reste d'autres parfois plus intéressantes en haut dans les merveilleuses collections permanentes, et d'un autre côté la sensation que quiconque a vécue en pénétrant la moindre forêt, et pas seulement amazonienne, n'y est pas du tout. Conséquence, l'ensemble ressemble à un accrochage de pièces épinglées, sans aucune âme ni profondeur, d'autant que, pour la plupart, les œuvres contemporaines ne sont pas mémorables. Si l'on n'a pas l'habitude de ce musée, la visite vaut tout de même le coup, mais, sinon, l'exposition semble un projet fade qui n'a pas coûté grand chose en rassemblant des objets parmi les collections permanentes selon une thématique passe-partout.


Par contre, on en profitera pour grimper tout en haut sur les mezzanines où sont exposés Le fil voyageur raconté par l'artiste textile américaine Sheila Hicks (91 ans) et Monique Lévi-Strauss (99 ans), sociologue spécialisée dans l'histoire du textile... Et une autre, scénographiée par Studio Formule, sur la photographe iranienne basée à Melbourne Hoda Afshar qui entreprend une lecture critique des photographies issues des collections du musée, réalisées par le médecin-psychiatre Gaëtan de Clérambault au Maroc entre 1918 et 1919 dans un contexte colonial. Le psychiatre est connu pour ses études sur l'érotomanie liée aux drapés et au textile, à ses chamailleries avec le jeune Lacan et pour la mise en scène de son suicide qui m'a rappelé la fin du fabuleux film Falbalas de Jacques Becker, bien que les motivations et le protocole soient différents.


Déçu aussi que l'exposition Musika Automatika de Junior Mvunzi ne soit pas accessible lors de notre visite, je prends quelques photos des instruments de musique montrés à Amazônia, ici un hochet aray et une trompe latérale hohinty, brésiliens comme la plupart de ce qui est exposé. Enfin, puisque le cylindre magique, que Madeleine Leclair m'avait permis de visiter en 2007, est dans le noir, j'achète quelques jouets musicaux pour mon petit-fils à la boutique en sortant.

mercredi 29 octobre 2025

Vinyland Odyssee de Falter Bramnk


J'ai toujours aimé les instruments qui sortent de l'ordinaire. Dans les années 80 j'ai eu la chance de voir Christian Marclay en concert solo à Würzburg en Allemagne. Nous avions le même producteur de disques, Jürgen Königer, du label Recommended Records/No Man's Land. C'était la première fois que je voyais quelqu'un scratcher des disques, avec des pédales d'effets sur les platines et des bricolages inattendus comme les disques qu'il avait découpés et réassemblés, et ce bien avant la plupart des DJ. Il utilisait aussi deux bras de tourne-disques sur le même vinyle. Lorsque, grâce à Benoît Delbecq j'ai appris que DJ Nem scratchait Ligeti et Miles, nous lui avons demandé de rejoindre Un Drame Musical Instantané ; il est présent sur l'album Machiavel dont le concept est justement autour du vinyle et sur Tchak enregistré en 2000 mais sorti récemment sur le label autrichien KlangGalerie. En 2010 le violoncelliste Vincent Segal est venu me voir pour que nous organisions une visite musicale de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge où Françoise Romand nous filma. Depuis 2016 où nous avons fondé le duo Harpon je joue de temps en temps avec Amandine Casadamont dont un des talents est d'être platiniste ; nous avons, entre autres, enregistré trois albums : Harpon, Live at Silencio Club et Paradis. Alors, à Lille comme je sortais de ma conférence sur 200 Motels de Frank Zappa, mes oreilles se sont dressées et mes yeux n'ont fait que trente-trois tours lorsque Falter Bramnk m'a remis son CD tout frais.
Vinyland Odyssee est une sorte de collage. Il me rappelle ceux de Max Ernst ou Jacques Prévert, les affiches déchirées de Raymond Hains ou Jacques Villeglé, ou encore mes propres radiophonies telles qu'on les entend dans Crimes parfaits (1981) ou L'ai-je bien descendu (1989). Certaines pièces sont drôles ou spirituelles, d'autres grinçantes et corrosives. Je pense aussi aux premiers dessins animés de Walt Disney avant qu'ils deviennent politiquement corrects. Falter Bramnk ne s'endort pas sur sa platine, il joue aussi du piano, des synthés, des percussions, de la trompette, etc., et il a convoqué ici ou là les voix de Patrick Guionnet et Xuan Mai Dang, l'accordéon ou la basse de Dave Willey, le sax ou la clarinette de Laurent Rigault, la guitare de Sébastien Beaumont... Sur le disque Vinyland Odyssee les morceaux s'enchaînent, j'aurais peut-être suggéré quelques silences entre, pour mieux apprécier la qualité de chaque tableau. Il me semble qu'un cadre permet de mieux cerner le sujet. Le chaos de l'ensemble, néanmoins parfaitement maîtrisé, produit un vertige comme si nous étions dans la centrifugeuse de la Foire du Trône quand le sol se dérobe sous nos pieds, ou plutôt si nous étions parmi les spectateurs-voyeurs perchés en haut du cylindre. C'est un disque que je dois réécouter plusieurs fois pour profiter de toutes ses synapses sonores ; à la troisième et prochaine écoute je ferai probablement une pause entre chacune des 19 pièces en en vérifiant le titre. Discophile, je fais toujours grand cas de la présentation graphique, des textes lorsqu'il y en a, et des titres.

→ Falter Bramnk, Vinyland Odyssee, CD Attenuation Circuit (940 albums au compteur !) 10€ et en numérique 5€ sur Bandcamp

mardi 28 octobre 2025

Les effets de bord providentiels de l'I.A.


Soyons clair, l'Intelligence Artificielle est une révolution dont on ne connaît pas encore véritablement les effets sur l'humanité. Internet et les téléphones portables ont déjà totalement transformé les usages de toutes les populations. D'un côté je croise des enfants de trois ans qui naviguent sans contrôle sur leur smartphone, de l'autre les migrants ne sont plus isolés dans leur douloureuse errance de pays en pays. D'un côté je vois des adolescents rivés à leur écran, de l'autre des personnes qui vivent dans des contrées reculées retrouvent un lien avec l'extérieur. Mais on voit bien que l'I.A. à la solde des médias possédés par les puissants de la planète sont de nouveaux outils de manipulation considérablement plus dangereux que tout ce qui les a précédés. Les citoyens ne pouvaient déjà plus faire confiance aux informations qui leur sont imposées. Les deepfakes n'arrangent rien. Ce n'est pas nouveau, le roman national existe depuis des siècles, les croyances les plus absurdes animent la majorité de la planète. L'I.A. ne va vraiment rien arranger ! C'est une nouvelle église, le culte du robot suprême. Le fantasme des machines prenant le pouvoir me semble pourtant relever de fictions dystopiques qui ne prennent pas en compte le fait que ces algorithmes sont programmés par des humains. La puissance de calcul des ordinateurs qui les portent est certes époustouflante, mais il ne s'agit en l'état que de simulation. Le terme intelligence est absolument galvaudé. Alors considérons cette technologie comme un outil dont l'usage peut être providentiel ou pernicieux, selon qui et comment on l'utilise.
À l'I.A. j'opposerai, par exemple, l'A.I. pour l'Acte Instinctif ou l'Affranchi Indépendant ! D'un côté l'I.A. est un système s'appuyant sur l'accumulation de données en flux continu récupérées sur la Toile, ce qui tend au formatage et à la banalisation. De l'autre, l'A.I. valorise le geste instantané, l'oral, la rupture, une action impossible à reproduire. C'est une force libre, détachée des scripts, qui échappe au contrôle et au dressage des algorithmes. Elle affirme la singularité du geste, l’irréductibilité du présent, elle agit comme une révolte vitale là où l’I.A. calcule de façon mortifère et joue sur la répétition. À l’intelligence artificielle des machines, s’oppose la voix, le corps, le souffle. Les expressions marginales, en particulier dans le monde des arts, pourraient bénéficier de l'avènement de l'IA qui banalise les expressions en s'appuyant sur une sorte d'audimat des informations, le règne des statistiques. D'un côté nous aurions un formatage des consciences plus puissant que jamais, de l'autre l'évidence d'une résistance où la marginalité ferait toute la différence. Le spectacle vivant, le théâtre, la danse, l'improvisation musicale, par exemple, prendraient tout leur sens. C'est encore le combat de l'idée contre la matière, Moïse et Aaron, ou celui de la vie contre la mort, l'imprévisible absolu contre la mise en forme la plus adaptée. Dans un monde saturé de simulacres, l’imperfection devient signe de vie. L’intonation, la maladresse, le silence ou la rature prennent une valeur nouvelle, celle de l’irréductibilité. Errare humanum est, c'est la glorification merveilleuse de l'humain. L’I.A. est donc peut-être une chance à saisir pour les marges : en nivelant les styles, elle révèle ce qui résiste au nivellement. Quand tout est produit par calcul, le geste non calculé devient révolutionnaire. Car c’est peut-être là, en réaction à la banalisation généralisée, que naît la possibilité d’un art neuf : un art du dérapage, du déséquilibre, du non-formaté, du vivant enfin retrouvé.
J'ai copié dans GPT ce texte que je venais d'écrire. Il n'a rien trouvé de mieux que de me proposer une mise en page avec un travail typographique, par exemple des respirations visuelles, des contrastes entre majuscules et bas de casse, un jeu sur les rythmes du texte ! Tout cela relève d'un empêchement de réfléchir par soi-même, une négation de la sérendipité qui a abouti à tant de grandes découvertes, un rejet du changement d'angle permettant un point de vue inédit. Si le rôle de l'art est la construction de nouveaux mondes pour échapper à celui qu'on nous impose et qui nous est insupportable, il faudra bien trouver de nouvelles formes de lutte contre l'uniformisation mortifère de l'I.A. Hélas, aucun système global ne pouvant fonctionner sans ses contradicteurs, c'est malgré tout grâce à la résistance que la misère peut perdurer. Cela laisse aux plus fragiles et aux plus courageux un espace de liberté que rien ne peut non plus altérer ou empêcher.

P.S.: si vous êtes intéressé par l'I.A., en particulier d'un point de vue graphique, regardez la remarquable conférence d'Étienne Mineur à l'PSAA, l'école de communication visuelle de la Ville de Paris.

lundi 27 octobre 2025

Le Locataire de Roman Polanski


Contrairement à ce qui était annoncé, Le locataire est un film comique, du moins jusqu'à ce que la folie prenne le dessus. C'est son côté kafkaïen. Max Brod raconte qu’en lisant des passages du Procès à ses proches, Kafka, perché sur un tabouret, riait aux larmes. Logique aussi lorsqu'on connaît l'humour, certes noir, de Roland Topor qui avait écrit le livre d'où est tiré le scénario. Dernier volet de sa « Trilogie des appartements maudits », après Répulsion et Rosemary’s Baby, le film de Roman Polanski traite évidemment de la folie, celle d'une schizophrénie paranoïaque.
Longtemps mésestimé pour des raisons absurdes, boudé à Cannes en 1976, Le locataire est un film à découvrir. Les comédiens sont excellents, que ce soient les Américains (Mervyn Leroy, Shelly Winters, Jo Van Fleet...) qui incarnent les habitants (il y a aussi Claude Piéplu, Florence Blot...) de l'immeuble construit méticuleusement au Studio d'Épinay ou les Français qui évoluent dans les décors réels de Paris (Bernard Fresson, Jacques Monod, Romain Bouteille, Rufus, Gérard Jugnot, Josiane Balasko, Michel Blanc, Bernard-Pierre Donnadieu, Claude Dauphin.... ) dont la rudesse réputée des Parisiens est inénarrable. Le rôle tenu par Isabelle Adjani est aussi épisodique que tous les autres, sauf Polanski dans le rôle titre. Le film est connu pour avoir été le premier à utiliser une Louma, caméra sur grue commandée à distance, et pour le plan où la perspective est inversée grâce à la construction du décor. La lumière du chef opérateur Sven Nykvist qui a œuvré sur presque tous les Bergman, la musique très réussie de Philippe Sarde, la précision de Polanski participent au cauchemar du locataire. La chute est également mémorable, mais je ne veux pas divulgâcher le film.
Les suppléments sont comme d'habitude passionnants : entretien récent avec le réalisateur, avec François Catonné qui n'était alors qu'assistant-opérateur, avec la scripte Sylvette Baudrot, avec Topor et le coscénariste du film Gérard Brach, etc. Le coffret Prestige ajoute de nombreux memorabilia (fac-similé du dossier de presse avec toutes les bios, photos, marque-page, affiche) qui raviront les fétichistes et qui constituent toujours de beaux cadeaux quand Noël approche

→ Roman Polanski, Le Locataire, ed. Carlotta Blu-Ray 20€ / 4K UHD 25€ / Édition Prestige Limitée Blu-ray 4K Ultra HD inclus Blu-ray et Memorabilia 34,99€

dimanche 26 octobre 2025

Images inédites d'Amougies 1969


Incroyable. Je découvre aujourd'hui, 56 ans après, un film où l'on me voit enregistrer Mouna pendant le Festival d'Amougies. Il y a 5 ans j'avais déjà retrouvé la photo où je suis en pied, avec mon manteau en Crylor et un collier rapporté du Maroc autour du cou. Le son est reproduit à différents endroits sur la Toile avec tous les groupes que j'avais enregistrés avec le petit magnéto Geloso de ma sœur (vitesse 4,75 cm/s diamètre des bobines 6,5cm).


Il y a une vingtaine d'années Aymeric Leroy m'avait aidé à mettre tout en ligne gratuitement sur le site Dimeadozen. Un peu parano, j'avais signé JJB. Sur ces concerts historiques on peut entendre Frank Zappa improviser avec Pink Floyd, Ainsley Dunbar Retaliation, Blossom Toes, Caravan, Captain Beefheart (il me manque Archie Shepp, je ne me souviens pas pourquoi). J'avais enjambé les barrières pour discuter avec Zappa. Mes enregistrements comprennent le reste des concerts de ces groupes, plus Colosseum, Ten Years After, Freedom, Martin Circus, Cruciferius, We Free, Yes, Sam Apple Pie, The Nice, Pretty Things, Alexis Korner et Soft Machine ! Mais je me souviens bien de tous les jazzmen, de Gong avec Daniel Laloux, de Pierre Mariétan jouant Terry Riley et du seul robinet extérieur que j'avais découvert dans une rue du village ! Des gougnafiers ont reproduit mes bandes et en ont fait commerce, en particulier sur des picture discs.


Le film en deux parties de Jérôme Laperrousaz et Jean-Noël Roy sur le Festival est resté seulement une semaine à l'affiche, retiré suite à une plainte de Pink Floyd, les droits n’ayant pas été négociés avec les musiciens. Malgré tout on peut voir des extraits vidéo ici ou là sur la Toile (ou sur un coffret de 27 CD de Pink Floyd en 2017 !!!). Je n'en ai plus évidemment qu'un vague souvenir.

Soucis sauvages


Adorable attention de Roland, un voisin du quartier, qui sème des graines le long des maisons. Je ne pensais pas que les soucis prendraient devant la porte du garage, mais voilà de quoi égayer l'automne. Ceux qui bénéficient de plus de soleil ont le droit à des coquelicots. Plus haut dans la rue, Roland réalise depuis des années une composition florale dans un bac de la mairie qui ne s'en occupe pas. Il doit aussi demander aux cantonniers qui balaient de préserver ses plantations sauvages et les voitures arroseuses pourraient leur être fatales en arrachant tout ce qui se trouve à proximité du jet. Le seul problème avec les fleurs et les herbes qui poussent le long des murs, c'est qu'ils attirent les chiens qui chient et les humains qui pissent. Arroser ces bouquets leur donne probablement l'impression de faire cela dans la nature. Il est vrai que l'urine apporte azote, phosphore et potassium, à condition qu'elle soit diluée. Un autre souci, c'est que les automobilistes pensent qu'aucun véhicule n'entre ni ne sort d'un endroit aussi fleuri. En ce moment, de l'autre côté du mur, ce sont les fleurs de yucca qui s'épanouissent en énormes grappes de cloches blanches...

samedi 25 octobre 2025

La relève


Depuis deux ans j'assiste souvent à des concerts de musique classique et, plus souvent, contemporaine à la Cité de la Musique ou à la Philharmonie. Je ne les chronique pratiquement jamais, mais j'ai pris l'habitude de placer la photo du salut sur FaceBook et Instagram. Certains programmes me plaisent évidemment plus que d'autres. Certains me font chavirer comme le Grand Soir Edgard Varèse dirigé par Pierre Bleuse l'année dernière. Si je ne boude pas mon plaisir avec le patrimoine du XXe siècle, il m'arrive de trouver banales certaines pièces de mes contemporains. Comme les disques que j'évoque dans cette colonne, je suis à l'affût d'écritures personnelles qui échappent à certaines formes d'académisme. Je trouve en cela plus facilement mon compte avec les jeunes musiciens/ciennes venu/e/s du jazz et des musiques improvisées. Dès les années 1970 je défendais leurs innovations qui se moquaient des chapelles en s'intéressant à toutes les musiques, qu'elles soient classiques, anciennes, pop, jazz, traditionnelles, etc. La musique contemporaine semblait avoir coupé les ponts avec les racines populaires, devenant ainsi consanguine, ce qui donnait forcément naissance à des enfants idiots ! L'École de Darmstadt, en France essentiellement Boulez, y était évidemment pour quelque chose. Que ce soit là ou dans les musiques improvisées j'ai du mal avec les ayatollahs qui s'interdisent un rythme soutenu ou une mélodie en do majeur. On ne découvre évidemment pas un Fausto Romitelli tous les jours. L'an passé j'ai ainsi été séduit par Yann Robin, et certains soirs comme hier je suis emballé par ce que j'entends. On fêtait l'anniversaire de la naissance de Luciano Berio avec ses Folk Songs ici interprétées par Sarah Aristidou, plus "trad" que la regrettée Cathy Berberian. J'ai toujours aimé écouter Berio comme Ligeti ou Kagel dont j'assistais à leurs représentations de leur vivant avec eux-mêmes présents dans la salle. On notera que ceux-ci ont toujours assumé leurs racines tout en gardant une oreille pour les musiques populaires.
Donc hier soir, j'étais heureux de découvrir de jeunes compositrices dont les œuvres mélangeaient un orchestre avec une bande électronique, utilisant accessoirement la voix. Irrlicht (2012) de l'Autrichienne Eva Reiter et Pure Bliss (2022) de la Croate Sara Glojnarić m'ont bien plu. La première réussit à marier parfaitement les instruments de l'Ensemble Intercontemporain, les bruitages et effets vocaux des interprètes avec l'électronique, et la variété de timbres et de nuances entraînés dans un chaos haché, découpé, trituré, stoppé, et également remarquablement dirigé par le chef Vimbayi Kaziboni, d'origine zimbabwéenne. Il m'aurait plu de la réentendre en bis à la fin du concert. La seconde réussit une pièce étale, sans heurts, une sorte de drone d'une richesse infinie, en accumulant des instants très courts choisis par les musiciens du Klangforum Wien pour l'émoi qu'ils leur offraient à chacun/e. Les citations, néanmoins peu reconnaissables, rappellent ce dont je parlais plus haut, à savoir puiser dans les musiques populaires pour imaginer une nouvelle musique savante. J'étais un peu moins convaincu par les pièces de Ni Zheng, née en Chine, et l'Américaine Zara Ali, mais convenais tout de même qu'une nouvelle génération de compositeurs, ici des compositrices, s'affranchit d'une doxa trop proche d'un entre-soi qui m'ennuie depuis toujours. C'est probablement la raison pour laquelle, affublé du qualificatif d'encyclopédiste, je recherche la plus grande liberté d'inspiration dans mes propres œuvres, en mariant l'émotion de l'instant qui vous échappe, une instrumentation la plus ouverte possible, le partage avec d'autres créateurs, visant probablement ce qu'on appelait jadis le poème symphonique. Dans la perspective de générer des compositions qui sortent plus souvent de l'ordinaire, je regrette que ne soit pas plus souvent donné à des artistes venus d'autres horizons que ceux de la musique contemporaine académique et des conservatoires, au demeurant excellents, la possibilité d'être joués par des orchestres aussi fameux.

vendredi 24 octobre 2025

L'Empire n'a jamais pris fin - Tome 2


J'ai eu beau avoir comme professeur d'histoire-géographie, et chacun deux ans de suite, le communiste Jean Gacon et l'écrivain Louis Poirier, plus connu sous le nom de Julien Gracq, en particulier pour avoir refusé le Prix Goncourt en 1951 pour Le rivage des Syrthes, je n'ai pas particulièrement brillé dans ces matières au Lycée Claude Bernard à Paris. Bon élève, on m'avait astucieusement collé le latin, puis l'allemand en seconde langue, avant de m'orienter vers la section scientifique, ce qui ne fut certainement pas une idée géniale, même si j'en garde un esprit mathématique utile en musique. J'eus en effet mon Bac C avec 2 en maths et 5 en physique, repêché miraculeusement par des notes faramineuses en français, philo, langues... et gymnastique ! C'est dire si je jubile de comprendre un peu mieux l'Histoire de "ce que nous sommes habitués à appeler la France" en suivant sur le web-media Blast les épisodes contés par Pacôme Thiellement, d'autant que je partage en général son analyse pour ce que j'en sais et ce que j'en suis. Beaucoup de choses que mon esprit critique soupçonnait y trouvent leur explication. J'avais déjà évoqué ici sa série Infernet, et la première saison de L'empire n'a jamais pris fin, or débute le premier épisode de sa troisième et dernière saison (ou quinzième épisode en l'état), De Napoléon à Macron : l’arnaque (totale) des "grands hommes" dont on peut également trouver le texte sur Blast.


Épaulé par une équipe dévouée, dont les réalisateurs Mathias Enthoven et Ameyes Aït-Oufella, et évidemment les historiens Marie-Aimée Romieux, Raphaël Carbonne et Karl Zimmer, Thiellement ne prétend pas l'être. Sans non plus revendiquer objectivité et exhaustivité, il se proclame exégète et, en excellent conteur, multipliant les références youtubesques en clins d'œil aux plus ou moins jeunes générations, revoit avec une impertinence nécessaire et un humour très rock 'n roll l'Histoire qu'on nous a cachée, puisque celle apprise à l'école privilégiait toujours celle des puissants au détriment de celle du peuple. Souvent lorsque j'essaie d'expliquer les tenants et aboutissants des conflits, révolutions ou génocides, on me répond que c'est compliqué, façon de surtout ne pas s'engager. Ce n'est pas compliqué, mais complexe, et Thiellement décortique les rouages infernaux qui nous ont menés là où nous en sommes. La logique, fut-elle parfois vêtue d'attributs poétiques, est imparable. Thiellement en irritera forcément certains, en particulier les défenseurs du roman national, mais il en fascinera beaucoup d'autres, parce que les mécanismes du pouvoir sont les mêmes depuis César et probablement bien avant, et parce qu'il n'y a pas de fiction plus délirante que le réel.


Pour ceux qui n'ont encore rien vu ni lu de cette saga, je conseille de commencer par le premier épisode de la saison 1, De César à Macron. La publication des tomes 1 et 2 corrige ou précise les textes des épisodes, expurgés des inserts facétieux façon coccinelle de Gotlib (et parfois spécieux) qui ponctuent les émissions dont la durée est chaque fois celle d'un long métrage. Chapitres courts, simples à lire. Le livre permet de revenir facilement sur tel ou tel passage de notre Histoire, voire de les annoter pour la version papier, parce que c'est du lourd. Le tome 2 offre un long bonus biographique sur le Marquis de Sade.

L'empire n'a jamais pris fin - Tome 1, Massot Éditions & Blast, 20,90€ (ePub 9,99€)
L'Empire n'a jamais pris fin - Tome 2 De Rabelais à la révolution suivi de Quid de Sade ?, Massot Éditions & Blast, 22,90€ (ePub 9,90€)

jeudi 23 octobre 2025

Un problème de robinets


Si mon titre se réfère à une célèbre question d'arithmétique, me revient aussitôt la mélodie "Deux robinets coulent dans un réservoir !", le texte de Colette mis en musique par Ravel entre 1919 et 1925 dans L'enfant et les sortilèges. J'en possède plusieurs versions tant j'adore cet opéra d'une inventivité incroyable. J'ai un faible pour les fantaisies hirsutes de cette époque comme Les mamelles de Tirésias (1917) de Poulenc d'après la pièce d'Apollinaire qui a d'ailleurs donné le terme "surréaliste".
J'avais donc un problème de robinets. Dans la cuisine c'était un col de cygne fixe qui ne permettait pas d'arroser les parois des deux éviers, et ceux des salles de bain étaient en plus si bas qu'il était impossible de s'y pencher sans risquer un tour de rein. Alors je leur ai rajouté un petit accessoire absolument génial si l'on ne veut pas remplacer tout le système, d'autant que chacun ne m'a coûté que treize euros. C'est un "mousseur robinet, aérateur de robinet rotatif à 1080°, aérateur à tamis à économie d'eau, rallonge de robinet buse mélangeuse 2 jets, aérateurs universels pour robinets de cuisine et salle de bain" ! On dit que cela ne s'invente pas, mais c'est tout le contraire, l'objet se serait-il retrouvé au Concours Lépine ? Il s'installe extrêmement facilement, mais j'ai dû tout de même, sur l'un des trois, entourer le pas de vis avec du Téflon pour ne pas que cela goutte. Les chats qui boivent au robinet n'y ont vu que du feu, c'est pourtant bien de l'eau qu'ils goûtent, et je peux désormais orienter mes robinets dans tous les sens, ce qui est très pratique !
Il me semble utile, voire astucieux, d'améliorer le confort de la maison, lorsqu'on y constate des gestes contrariés qui se répètent au fil des années. J'ai récemment évoqué ici les rampes, j'ai glissé sur le tapis de douche, manié la raquette anti-moustiques (cette année ils sont minuscules, rapides et virulents), rasé les bouloches, étendu les livraisons (depuis que j'ai donné ma voiture à ma fille), et fait surtout en sorte que les pertes générées par l'ancienneté (mon anniversaire approche) soient contrebalancées par une meilleure gestion du corps et des émotions. Si l'on fait abstraction des absurdités et des monstruosités de l'espèce humaine, je pourrais dire que la vie est belle.

mercredi 22 octobre 2025

Between Dusk and Dawn, 60e anniversaire d'Ars Nova


"Tout petit", j'avais été séduit par l'ensemble Ars Nova sous la direction de Marius Constant qui jouait des compositeurs que je ne connaissais pas. À sa suite Philippe Nahon donna sa chance à de jeunes contemporains peu joués ailleurs. C'est là aussi qu'en 1975 j'entendis pour la première fois la magnifique partition de Chostakovitch sur La Nouvelle Babylone, le film de 1929 sur la Commune de Kozintsev et Trauberg. L'ensemble, qui fut le premier orchestre en France et dans le monde consacré aux "musiques de création" et qui fête aujourd'hui son 60ème anniversaire, continue à faire des commandes à des artistes émergents, même si ses enregistrements ont jusqu'ici surtout concerné Satie, Schönberg, Messiaen, Xenakis, Ohana, Jolas, Dusapin, Ferrari, Cavanna... Dans tous les cas ce sont plutôt de fameux outsiders.
L'album Between Dusk and Dawn rassemble justement deux compositeurs et trois compositrices d'âge, d'origine et de styles différents. Avec A Horny Faun’s Rampage le sud-coréen Jongsung Oh s'inspire du Prélude à l'après-midi d'un faune, livrant une œuvre aussi varésienne que debussyste, ce qui n'a rien d'étonnant historiquement. Édith Canat de Chizy compose Spring pour deux harpes et ensemble. Pour Clessidra, la lituanienne Justė Janulytė imagine une musique plus étale, comme un sablier où deux mouvements opposés se jouent simultanément. Si le hongrois Gregory Vajda, chef principal associé d'Ars Nova et probablement le lien avec le label de Budapest, dirige les quatre premières pièces, il propose aussi Post-Apocalyptic Pastorale où des citations sont tranquillement ébauchées sans ne jamais arriver à leur fin. Clémence Le Gac dirige la dernière pièce, le quintette Du Lyrisme de l’obscurité (hommage à Marius Constant) de Lisa Heute qui laisse une part d'improvisation à ses interprètes. On peut ainsi espérer que l'ensemble s'ouvre de plus en plus à des compositeurs et compositrices que le monde de la musique dite savante néglige trop souvent au profit de celles et ceux ayant suivi un cursus académique. C'est évidemment chez les indépendants, dans l'histoire de la musique comme dans l'actualité, que je reconnais mes affinités.

→ Ars Nova, Between Dusk and Dawn, CD BMC

mardi 21 octobre 2025

Hong Kong 1941 de Po-chih Leong


N'étant pas particulièrement fan de kung-fu ou de pochades graveleuses, j'y vais parfois à reculons avec le cinéma chinois lorsqu'il s'agit de films d'action ou de comédies burlesques. Comme j'essaie de tout voir en mettant mes préjugés de côté, j'ai regardé Hong Kong 1941, un film de Po-chih Leong, réalisateur, né en 1939, qui a abordé un peu tous les genres (drame, action, comédie, épouvante, satire, documentaire, etc.) et méconnu en France si on le compare à ses camarades Ann Hui, Tsui Hark ou John Woo qui ont marqué la Nouvelle vague hongkongaise. Ce n'est pas un hasard si Po-chih Leong mélange les genres, comme cela se pratique souvent en Chine, car il est en fait britannique, certes de parents originaires de Taishan, mais de plus marié à une anglaise, ce qui ne plut d'ailleurs à aucune des deux familles !
En 1967 il part pour Hong-Kong encore sous domination britannique. Or son film, qui se passe en 1941 au moment de l'invasion japonaise juste après Pearl Harbour, sort en 1984, date où Margaret Thatcher annonce justement sa rétrocession à la Chine qui adviendra définitivement en 1997. L'analogie est claire. La même année que le film de Po-chih Leong, sur la même toile de fond historique, Ann Hui vient de réaliser Love in a Fallen City avec également l'acteur charismatique Chow Yun-fat, l'un des trois rôles de Hong Kong 1941 avec les tout aussi irrésistibles Cecilia Yip et Alex Man. Commencé comme une comédie avec un trio d'amis où les deux garçons aiment la même jeune fille, le film devient une évocation de la guerre sino-japonaise où s'opposent collaborateurs et résistants. Si certaines scènes peuvent paraître brutales, l'ensemble garde un parfum de comédie d'aventure qui m'a fait penser à un mélange entre Jules et Jim et Viva Maria ! La mise en scène est enlevée et les autres acteurs sont aussi excellents (Wu Ma, Shih Kien, Paul Chun, Ku Feng, etc.). Ce genre de Blu-Ray, comme le pratique souvent l'éditeur Carlotta, est particulièrement intéressant par ses bonus, des entretiens récents avec Po-chih Leong ou l'historien Tony Rains, et d'autres plus anciens avec des comédiens du film. Cela permet de comprendre les conditions et les méthodes de filmer, de replonger l'intrigue et le tournage dans les conditions historiques, de mieux comprendre une culture éloignée de la nôtre.

→ Po-chih Leong, Hong Kong 1941, Blu-Ray Carlotta, 20€

lundi 20 octobre 2025

Kandinsky, la musique des couleurs


Si la palette de Vassily Kandinsky est étendue, il le doit à son désir d'art total. Le son et la musique, la lumière et le décor, le mouvement et le relief font partie du spectacle qu'il donne à voir et à entendre. L'exposition Kandinsky, la musique des couleurs à la Philharmonie de Paris, réalisée avec le Centre Pompidou, offre un va-et-vient très réussi entre la musique et la peinture, une sorte de voyage synesthésique. Pour une fois l'usage des casques audio prend tout sons sens. Il serait dommage d'effectuer la visite sans baigner dans ce nuage musical qui nous fait flotter dans le temps, du Lohengrin de Wagner aux pièces de Schönberg en passant par Les tableaux d'une exposition de Moussorgski ou Le sacre du printemps de Stravinski. Y sont exposés nombreux tableaux aux couleurs éclatantes et aux formes plus ou moins abstraites, mais aussi des partitions de Russolo, Scriabine (on rêverait de voir son clavier à lumières), Schönberg (proche du peintre) et Kandinsky lui-même, ses œuvres picturales étant fondamentalement musicales. Elles portent d'ailleurs des titres s'y rapportant comme ci-dessous les Improvisations 3 et 14. Ailleurs une Fugue ou celles de Klee, Kupka ou Macke...


Le magnifique catalogue de l'exposition recèle des textes passionnants. Kandinsky s'intéressait d'ailleurs aussi aux mots dont on peut admirer les xylographies ou matrices en bois du recueil Klänge. Il est dommage que l'on n'y trouve pas la liste des œuvres diffusées dans les casques pour là aussi le lire en musique. Si l'exposition dépasse celles souvent fétichistes de la Philharmonie, on y trouve aussi des disques de la collection du peintre et de son épouse, montrant son éclectisme avec Scarlatti, Bach, Beethoven, Schubert, Verdi, Debussy, Milhaud, Bartók, Weill, La midinette de Manuel Jovés ou Bells of Hawai de Billy Heagney !


Kandinsky jouait du piano, de l'harmonium et du violoncelle. Le Salon de musique (réplique au MAMC de Strasbourg) est seulement en photo, mais les compositions scéniques ont été reconstituées, soit en animation vidéo, soit avec un triple écran synchronisé avec les Tableaux d'une exposition. Sa complicité avec le Bauhaus se retrouve dans les films d'Oskar Fischinger, et j'y reconnais l'influence sur certains travaux de mon camarade Eric Vernhes ! L'exposition dure jusqu'au 1er février 2026. En définitive, la fermeture du Centre Pompidou permet des collaborations et des décentralisations bénéfiques.

dimanche 19 octobre 2025

En direct sur Radio Libertaire


Vers 15h/15h30 aujourd’hui dimanche sur Radio Libertaire, lors de son émission Le mélange, Michael Polizzi diffusera l’intégralité de « Petit chien sans ficelle » (33’50), enregistré par Denis Lavant, Lionel Martin et moi-même, et qui figure sur le double album LES DÉMENTS paru cette année sur le label GRRR, dist. Socadisc.
L’auteur du texte, André SCHLESSER (1914-1985), dit Dadé, d’origine gitane, chanteur et cabarettiste, travailla avec Jean Vilar, chanta en duo avec Marc Chevalier sous le nom Marc et André, cofonda le cabaret L’écluse, écrivit Souvenance pour Barbara, et finit sa vie avec Maria Casarès qu’il épousa.
Lors de mon tout premier concert, avec Francis Gorgé, que j’avais organisé au Lycée Claude Bernard en 1971, en première partie des groupes Dagon puis Red Noise, Michel participait au light-show H Lights avec lequel nous fîmes nos premières armes sur d’autres groupes comme Gong ou Crouille-Marteaux. Il me prêta aussi de très nombreux disques de rock et free jazz que j’enregistrai et qui complétèrent ma culture musicale.

→ Radio Libertaire 89.4 MHz FM (et en ligne)

samedi 18 octobre 2025

Nurse With Wound très attendu


Il faut du temps pour concocter un coffret de 5 CD comme le fait Steven Stapleton autour de la réédition très augmentée de son album Rock 'n Roll Station, aujourd'hui épuisé, mais toujours accessible sur Bandcamp. Inspiré à l'origine par le morceau culte de Jac Berrocal avec Vince Taylor publié en 1977 sur son vinyle Parallèles, l'album de Nurse With Wound, le groupe cette fois cultissime (!) de Stapleton, connu entre autres pour la fameuse liste, bible de l'underground sur laquelle figure mon Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, il s'étoffe considérablement grâce à de nombreux remixes des 7 pièces de l'album de NWW. Le coffret sortira probablement début 2026, or je suis particulièrement impatient, car y figure mon propre remix de A Silhouette And A Thumbtack (Dance in Hyperspace).
En attendant et sans que je l'ai vu, Steven ne m'ayant envoyé qu'un superbe test pressing, je sais seulement qu'il a fait presser 300 vinyles promotionnels pour annoncer la sortie du coffret de 5 CD. Je suis très touché que mon A silhouette as JJB remix ait été choisi à côté de ceux de l'Américain Irr. App. (Ext.), de l'Irlandais Diarmuid MacDiarmada et de l'Anglais Andrew Liles (membre de NWW), même si je préfère les leurs au mien. J'adore tout ce qui est hirsute (style pétard), impertinent (donc parfaitement pertinent), drôle et corrosif. Pas encore de visuel qui sera certainement signé Babs Santini, pseudo du prolifique Steven Stapleton en mode graphiste, sur cet imposant R'n'R Station qui sortira sur le label anglais Dirter.
L'année dernière, Souffle Continu Records avait sorti la réédition de la compilation In Fractured Silence, produit en 1983 en vinyle par Steven pour le label United Dairies et sur lequel figurait notre Tunnel sous la Manche d'Un Drame Musical Instantané ainsi que des pièces originales de Nurse With Wound, Hélène Sage et Sema.

vendredi 17 octobre 2025

Soulbread, solo de Csaba Palotaï


Soulbread est le septième album de Csaba Palotaï sur le label BMC, hongrois comme le guitariste, et son deuxième en solo après The Deserter il y a dix ans. La nouvelle me ravit, comme j'avais déjà chroniqué avec le plus grand plaisir Antiquity (2019) avec Steve Argüelles et Rémi Sciuto, Cabane perchée (2021) avec Argüelles, Sunako (2023) avec Simon Drappier et toujours Argüelles qui, de plus, a mixé et masterisé ce nouveau disque. J'aime tellement son jeu inventif et délicat que j'ai moi-même enregistré *** (2022) avec lui et la violoniste allemande Fabiana Striffler. C'est aussi un joyeux convive, toujours souriant, ce qui ne gâte rien. Csaba improvise aussi bien qu'il lit la musique, ce qui lui offre des perspectives infinies. Ici il est seul, mais sa guitare se multiplie par le truchement de pédales d'effets dont il use avec discernement. Si son timbre rappelle le rock d'Ennio Morricone, sa liberté celle du jazz, l'électronique les bégaiements de l'électroacoustique, les réminiscences de Transylvanie (qui fut longtemps hongroise) lui donnent parfois une couleur folk, mais Soulbread est surtout un portrait fidèle du Hongrois de Montreuil. Enregistré probablement chez lui au printemps de cette année, ses odeurs de feu de bois, de clairière ensoleillée, de feuilles mortes ou d'herbe fraîche, distillent un parfum de mi-saison qui fonctionne merveilleusement avec ce début d'automne.

→ Csaba Palotaï, Soulbread, CD BMC, dist. Socadisc, 11€

jeudi 16 octobre 2025

Autre chose


Lorsqu'on demande à un artiste comment il va, l'usage veut qu'il réponde avec un grand sourire, souvent un peu forcé, que tout va bien dans le meilleur des mondes. Il n'est jamais bon de se plaindre, on ne prête qu'aux riches. Les flippés font fuir leurs interlocuteurs, parce qu'ils leur renvoient leurs propres angoisses. Les oscillations entre bonnes et mauvaises nouvelles sont pourtant inévitables. Il y a pire, l'absence de nouvelles. En ces temps où la peau de chagrin se réduit jour après jour, la gymnastique devient de plus en plus laborieuse. Les budgets pour la culture, qu'ils émanent de l'état, des régions ou des municipalités, réduits ou supprimés, font fermer les festivals et les lieux de spectacles, ils rendent de plus en plus fragiles les intermittents, les ventes de disques deviennent symboliques, alimentant les copains et une presse de moins en moins présente. Les attachés de presse honnêtes reconnaissent que leur rôle devient de moins en moins productifs, faute d'interlocuteurs. Il n'y a pas que l'argent public qui vient à manquer : la suppression de l'ISF a divisé par deux le revenu des associations toutes activités confondues, les riches les alimentant par le passé pour payer moins d'impôts !
En général, dans mes textes, j'évite soigneusement les répétitions, mais le terme "interlocuteurs" correspond, pour la plupart, à une nécessité absolue. Il n'y a bien que les tenants de l'art brut qui ne s'en soucient pas. Sans public, en l'absence d'un désir qu'il suscite, l'artiste est condamné, condamné à l'isolement, à la dépression ou à la bifurcation. La plupart des musiciens ont un second métier. Au mieux ils enseignent, au pire ils distribuent le courrier, servent dans un restaurant ou sont chauffeurs de taxi comme on en a connus à New York. Cela ne se dit pas, même si cela se sait. En France, de plus en plus d'intermittents perdent leurs droits. Il faut bien admettre que l'offre est nettement moins forte que la demande. Nous avons milité pour qu'il y ait de plus en plus d'artistes, mais aujourd'hui il y a forcément encombrement. Si l'on y lit une critique de ma part, c'est celle d'une société de plus en plus axée sur le rendement et la productivité. D'un autre côté, il est indispensable d'occuper le terrain. Rester un an en dehors du système et on vous oublie automatiquement. C'est le risque des contrats à longue durée, des compagnies qui vous accaparent pourtant bien heureusement. Si l'on revendique son indépendance, il est alors nécessaire d'être présent sur scène, ou d'apprendre à communiquer avec les outils en vigueur, que ce soit un site Internet, des dossiers astucieux pour présenter ses projets, etc. Chacun/e doit se prendre en mains, sans attendre quoi que ce soit de l'extérieur. Je l'ai écrit plus haut, on ne prête qu'aux riches, mais la richesse est celle que l'on se crée.
J'avance ces remarques qui tiennent parfois de La Palice, tout en me rappelant que le secret de la réussite tient beaucoup en la persévérance et la solidarité. Il est difficile d'affronter l'adversité lorsqu'on est seul. En évoquant ma vie, je répète souvent que je la dois beaucoup à celles et ceux avec qui j'ai partagé un bout de chemin : "Oh I get by, with a little help from friends". Ayant besoin de sollicitations pour avancer, je sens bien que le désir des autres est un moteur fondamental de mon activité débordante. Il m'est rarement arrivé de me lancer dans un nouveau projet sans une amorce extérieure. Ainsi, ces derniers temps, j'ai parlé de "transition stationnaire". Ayant fondamentalement besoin de me mettre en danger, j'ai souvent choisi d'arrêter ce qui fonctionnait. Je cherche toujours à "faire ce qui ne se fait pas, puisque ce qui est fait n'est plus à faire". Ou encore : "lorsque je sais je gère, lorsque je l'ignore je crée". Il est logique que j'emprunte de temps en temps une impasse pour aller voir si j'y suis, et évidemment ce n'est pas toujours opportun. J'ai ainsi parfois attendu en vain le coup de téléphone de Monsieur de Messmaeker pour qu'enfin advienne un miracle. Les miracles cela se travaille. Au cours de ma vie j'en ai bien profité. Pour tout dire, j'ai envie de faire autre chose. Mais comme j'en ai déjà fait des tonnes, cela devient de plus en plus difficile. N'étant pas adepte de la page blanche, je compte sur ma bonne étoile, celle du Birgé, comme je répondais à mes copains d'école tandis qu'ils me charriaient sur mon nom.

Photo : détail d'une vitrine de Bernard Belluc au MIAM, Sète

mercredi 15 octobre 2025

Painless Airwaves du Trio CBD


Si je connaissais mal la musique du guitariste Rémi Charmasson disparu cette année, encore moins celle du batteur Michael Baird, par contre j'ai toujours adoré la finesse du jeu de Philippe Deschepper avec qui j'ai eu la chance de jouer sur scène et sur disques*. Évidemment j'avais entendu les deux autres ici et là, mais je suis depuis toujours avec assiduité tout ce que Philippe produit, que ce soit sur sa guitare ou ses sculptures. Les improvisations du trio CBD enregistrées sans artifice à La Buissonne par Gérard de Haro réfléchissent mon après-midi ensoleillée de l'automne qui s'annonce. Les trois musiciens avaient beau être enfermés dans le studio, ils donnent l'impression de se promener à l'air libre. Ils semblent échanger des propos légers en se servant des notes comme les marches d'un escalier sans rambarde, ou des écureuils sautant d'arbre en arbre. Cette complicité est propre au jazz. Certains tricotent, d'autres jouent au ping pong. Le trio CBD, lui, est en balades. C'est peut-être ce qu'on appelle l'école buissonnière ?

→ Trio CBD, Painless Airwaves, CD SWP, 10,20€, sortie le 17 octobre 2025

* Quelques albums de mon côté avec Philippe Deschepper :
→ Un drame musical Instantané, Tchak, CD KlangGalerie (2000, sortie 2024)
→ Corneloup Birgé Deschepper (dont les initiales forment un autre CBD, wowie zowie !), Exotica, GRRR sur Bandcamp (2021)
→ Birgé Deschepper Échampard Robert, 1+1, GRRR (enr. 2000)
→ Aki Onda, Un petit tour, CD All-Access (1999)

mardi 14 octobre 2025

Souvenir du 50ème anniversaire du label GRRR


Alexandre Saada prend ses photos avec un appareil argentique, alors cela prend le temps précieux du développement pour retrouver Vincent Segal, Marie-pierre Rixain, David Fenech, Amandine Casadamont, Christiane Louis, Matthieu Donarier venus fêter le 50ème anniversaire du label GRRR le 13 avril dernier.
Hors-champ : Jonathan Pontier, Mathias Lévy, mc gayffier, Csaba Palotaï, Hervé Legeay, Maëlle Desbrosses, Gwennaëlle Roulleau, Dominique Fonfrède, Ravi Shardja, Fanny Meteier, Marco Luparia, Denis Lavant, Hasse Poulsen...
Les miennes en couleurs sont sur http://www.drame.org/blog/?2025/04/14/5877-fete-du-50e-anniversaire-des-disques-grrr

Faut pas tomber


"Faut pas tomber" est le leitmotiv de celles et ceux qui souhaitent faire durer le plaisir. Entre le col du fémur, l'ostéoporose, le traumatisme crânien et tutti quanti, la chute est un toboggan vers la fin, surtout lorsqu'on a atteint un âge canonique. À vélo je porte un casque, piéton je regarde à gauche et à droite. Quant aux escaliers on se référera à Cécile Sorel au Casino de Paris lançant à Mistinguett : "l'ai-je bien descendu ?". J'aurai donc attendu vingt-cinq ans pour installer une rampe dans l'escalier qui mène au dernier étage. L'ange d'Ella & Pitr dont on aperçoit le pied fébrile avait perdu l'équilibre depuis longtemps, en en voyant de toutes les couleurs, or tel Jean Cocteau dans Le testament d'Orphée il reprend chaque fois sa place par un mouvement inversé qui tient du voyage dans le temps. C'est d'ailleurs de là, une faille spatio-temporelle comme la mémoire en est experte, que viennent les deux Pierrot en albâtre posés sur les marches. Ils me rappellent la chambre de ma grand-mère avenue Constant-Coquelin, une impasse du 7ème arrondissement où, enfant, je passais mes jeudis. Lorsqu'elle se réveillait de sa sieste, nous avions le droit à une pastille Vichy de la bonbonnière posée sur sa table de nuit ou un bonbon d'une boîte posée sur les draps dans la grande armoire. Il n'y a donc plus qu'à s'accrocher convenablement pour continuer à s'afficher ici.

lundi 13 octobre 2025

In 2 de Roscoe Mitchell et Michele Rabbia


Les titres des compositions/improvisations de Roscoe Mitchell et Michele Rabbia sont explicites : A day in a forest, Interaction, Low Answer, In 2, A night in the forest, First Impression, Palyndrome. J'avais bien entendu les petits bruits de la forêt, une promenade à deux où l'on s'indique mutuellement le plus petit mouvement de feuilles, un oiseau caché, un bout de ciel, l'émerveillement de tout et de rien, ce qui revient aux mèmes. « Les mèmes sont des idées, des phrases, des mélodies, des slogans, des modes, des techniques et toutes sortes de constructions mentales qui semblent avoir une existence propre, indépendante de leurs éventuels auteurs, et qui se propagent, une fois vus, lus ou entendus, en sautant d'un cerveau à l'autre. Selon cette optique, une bonne part de nos pensées ne sont pas réellement les nôtres, mais seulement des mèmes qui nous ont infectées comme des microbes mentaux. » (Cosmopolitan, 1er mai 2002, citation du Grand Robert).
S'il existe une musique délicate, c'est bien In 2, cet album enregistré en Italie en mai 2024. Les percussions de Michele Rabbia sont d'abord de matière, de la Terre nourricière, de la nature qui nous fait si souvent défaut. Ses sons électroniques font vibrer l'air comme n'importe quel instrument acoustique. Les saxophones basse et sopranino de Roscoe Mitchell flirtent avec les découvertes de l'enfance, celle qu'on apprivoise enfin à 85 ans. Lorsqu'il jouait au sein de l'Art Ensemble of Chicago, il était attendu qu'il nous surprenne. Il y a dix ans Black Saint Soul Note avait sorti The Complete Remastered Recordings, un coffret de 9 CD de ses compositions plus "contemporaines" que jazz. Quant à Michele Rabbia je l'avais découvert grâce à Roberto Negro et chacune de ses interventions est d'une justesse absolue. Toujours ce fichu exergue de Cocteau qui me guide (chapitre D'une histoire féline dans Le Journal d'un inconnu) : "ne pas être admiré, être cru".

→ Roscoe Mitchell et Michele Rabbia, In 2, CD RogueArt, sortie le 13 octobre 2025

samedi 11 octobre 2025

John Lodge, maudit blues


Les Moody Blues ont marqué ma jeunesse, mais c'est après leur tube Nights in White Satin (1967) que j'ai acheté les deux albums suivants, In Search of The Lost Chord et On the Threshold of a Dream. Mon goût pour le mélange des instruments électriques avec l'orchestre symphonique vient probablement de là. J'avais aussi celui de Deep Purple, The Beat Goes On des Vanilla Fudge, Their Satanic Majesties Request des Stones, ceux des Beatles... À la même époque il y avait l'orgue délirant de Keith Emerson au sein des Nice, celui de Mike Ratledge avec Soft Machine, ou encore Pink Floyd. Alors j'ai acquis un Farfisa et plus tard l'ARP 2600, pour satisfaire mon fantasme orchestral, mais c'est Zappa, ou plus exactement les Mothers of Invention, qui en 68 m'ont fait sauter le pas. Je ne parle pas ici de mon attirance pour l'électronique (Silver Apples, White Noise), seulement d'un goût prononcé pour les grands ensembles ou l'impression qu'ils procurent.


Il n'empêche qu'à une époque j'ai vendu beaucoup de vinyles, mais j'ai conservé les deux Moody Blues. Alors, même si c'était très ringard, comme j'apprends la disparition à 82 ans de John Lodge, leur chanteur et bassiste, ça me fait quelque chose. Les autres du groupe sont presque tous déjà morts. Lorsque j'écoute des compositeurs contemporains, il me manque de temps en temps un air, une mélodie. Les récitatifs et les effets de timbre finissent par m'ennuyer. Hier je suis allé à la Philharmonie écouter un magnifique concert Chostakovitch, alors évidemment je comprends pourquoi Boulez détestait ça. Soit je suis un peu vieux jeu, soit trop nombreux manquent fondamentalement de chair. À mon goût, la musique doit s'adresser à toutes les parties du corps, au ciboulot évidemment, mais sans négliger les jambes, le ventre, le sexe, les épaules, etc. Je veux pouvoir rêver et réfléchir, rire et pleurer, danser et partir, en un verbe : vivre !

vendredi 10 octobre 2025

Se relever pour Vincent Courtois & Colin Vallon


Il y a d'excellents disques que je souhaiterais évoquer et pour lesquels je ne trouve pas les mots, du moins les miens puisque c'est la forme que je me suis imposée au fil du temps, déjà vingt et un ans de chroniques quotidiennes. Me voilà coi devant A Simple Fall, l'album de Vincent Courtois et Colin Vallon. Du moins je le pensais avant de me mettre à l'œuvre. Peut-être inspire-t-il simplement une évidence ? Tout y est, de ce qui fait aimer la musique, le corps et le cœur, la tendresse et la rage, l'accord et le chœur, le bois qui vibre comme l'air, l'invention et l'hommage aux anciens, sous-entendus ou muettes références, le silence et l'énergie, poésie circonlocutoire où les sons racontent mille histoires, les leurs ou les nôtres, toutes les interprétations... Le violoncelle de Courtois et le piano de Vallon ne sonnent pas pareils selon l'heure du jour où on les écoute. S'ils suggèrent une simple chute, c'est qu'elle force à se relever chaque fois, en y mettant les mains, en pliant les jambes, en rouvrant les yeux, en renaissant sans cesse, parce qu'on n'a pas d'autre choix. Il faudra bien mourir un jour, mais ce n'est pas pour aujourd'hui.

→ Vincent Courtois - Colin Vallon, A Simple Fall. CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 10 octobre 2025

jeudi 9 octobre 2025

Obsédé du contrôle ou laisser faire ?


Nous avons souvent deux faces comme une pièce de monnaie. Pour certain/e/s je figurais un clown qui les faisait rigoler sans cesse, pour d'autres j'étais le gars sérieux, parfois même trop. En fait, toujours trop, quel que soit le regard ! J'ai un petit côté extrême, genre Monsieur Plus (si vous êtes de ma génération peut-être vous souvenez-vous de la publicité pour les biscuits Bahlsen au cinéma). Tout dépend du milieu social où je me trouve. Ma causticité, les mots d'esprit ou ma franchise peuvent servir l'un ou l'autre. Dans mon quotidien familial j'aurais plutôt la réputation d'un control freak ! Comme tout le monde je n'ai pas le choix de la névrose : obsessionnelle. Rien à voir avec un psychorigide ; je m'adapte à toutes les situations, prenant la couleur de la muraille si nécessaire, avé l'accent si besoin. Dans le même temps, je laisse aller, "c'est une valse" (ici la référence est le film Adieu Philippine de Jacques Rozier). Il y a plusieurs raisons à cela. Je privilégie le collectif et le partage, la solidarité et une juste répartition des droits et des devoirs. L'engagement correspond par contre à l'aspect raide parce qu'il est hors de question de trahir ses idéaux. Lorsqu'on est prêt à tout perdre, on a tout à gagner. La peur est mauvaise conseillère, mais elle peut au contraire donner des ailes s'il faut contourner l'obstacle et inventer quand on n'a pas le choix. Pour entretenir la maison, la fée du logis, obsessionnelle, est à l'œuvre, mais si je joue de la musique je me rapproche de la transe. Lorsque j'écris, le premier jet est naturel, mais la relecture est affûtée. Sauf que je publie souvent sans me relire, justement pour conserver le swing de l'instant. On danse toujours d'un pied sur l'autre, de la rigueur d'un côté, sans jamais aucune procrastination, de la fantaisie de l'autre, privilégiant la surprise, et là plus on est de fous plus on rit. Un autre exemple : il n'y a pas d'improvisation musicale (ce que j'ai toujours appelé composition instantanée) sans un longue préparation préalable. Il faut connaître son alphabet, sa grammaire et son vocabulaire pour versifier ensuite, quitte à pulvériser les règles. Il y a donc un temps pour tout, un temps pour vivre et un temps pour mourir, quitte à remettre son titre en jeu le lendemain matin.

mercredi 8 octobre 2025

Roger Ballen en couleurs


Découverte grâce à son exposition à la Halle Saint-Pierre, l'œuvre de Roger Ballen provoque en moi mille variations psychiques qui m'emballent totalement. En 2019, avec le contrebassiste américain Nicholas Christenson et le clarinettiste Jean-Brice Godet nous avions choisi certaines de ses photos comme sujets de nos improvisations. L'album Duck Soup plut tant au photographe sud-africain que trois ans plus tard il sonorisa son exposition à la Biennale de Venise (représentant son pays) avec nos compositions instantanées ! Dans l'ouvrage Le monde selon Roger Ballen il avait déjà publié des photographies en couleurs, mais cette fois il n'y en a plus aucune en noir et blanc comme il s'en ait barbouillé pendant cinquante ans. Je ne résiste donc pas devant le superbe Spirits and Spaces qui vient de sortir chez l'éditeur Thames & Hudson.
Les 91 Illustrations grand format sont des instants figés d'installations scénographiques où évoluent parfois des bestioles qui peuvent terrifier : rats, reptiles, oiseaux, humains, etc. Certains sont vivants, d'autres empaillés. S'il se réclame de Cartier Bresson, Walker Evans, Diane Arbus et Elliot Erwitt, ses nouvelles photographies me font penser aux natures mortes de Joel-Peter Witkin, mais, contrairement au photographe américain qui fraie avec le morbide, ses hominidés sont essentiellement des mannequins ! Ballen cite aussi fort à propos Beckett, Kafka, Jung et Artaud. La ligne jaune est tout de même savamment dépassée. Il abandonne là le réalisme social pour une mise en scène graphique tout aussi psychologique, renvoyant à de sombres fantasmes. Ses tableaux "vivants" oscillent entre l'énigme de l'inconscient et l'absurdité de la réalité. Ces photos s'inspirent de ses installations mises en scène, narrations qui laissent au spectateur la liberté, certes cadrée, de son interprétation. Chaque image réclame qu'on prenne le temps d'en faire le tour. L'intégration de dessins rappelant l'art brut me rappelle également les contrastes de certaines œuvres du couple Ella & Pitr, sauf qu'ici, si l'on approche le conte de fées, c'est sa version cauchemardesque originale qui nous est infligée. Dans la perspective intime et impudique de l'artiste égocentrique, les six chapitres intitulés Enfance, Spectre, Âme, Ombre, Libido et Chaos poussent le lecteur dans ses propres retranchements, sans que l'auteur sache exactement quels fantômes révèlent ses photographies. Vous m'en direz tant.

mardi 7 octobre 2025

Ken Jacobs a passé la caméra à gauche


Ken Jacobs, dont le film expérimental Tom, Tom, The Piper's Son (1969) m'avait tant marqué pour son processus analytique dans une perspective de création, a passé la caméra à gauche à 92 ans.
En 2006 j'écrivis :
J'avais découvert Ken Jacobs en 1976 au CNAC rue Berryer avec Tom Tom The Piper's Son, film muet en noir et blanc de près de deux heures réalisé en 69-71 et édité en VHS par Re:Voir avec un livre bilingue de 214 pages, hors série d'Exploding. Tom Tom présente d'abord un petit film de dix minutes, poursuite burlesque tournée à Hollywood en 1905 par un futur technicien de D.W. Griffith, mais Jacobs recadre ensuite le film dans le détail allant jusqu'au grain de la pellicule. Il joue d'effets de cache et offre une des plus extraordinaires anlyses de film de l'histoire du cinéma. À la fin, le cinéaste montre à nouveau le petit film tel la première fois. Sa vision en est transformée, ce n'est plus le même film !

lundi 6 octobre 2025

Présentation de 200 Motels à Lille mercredi soir


J'avais été un fan, me voilà propulsé conférencier ! La découverte des Mothers of Invention à l'été 68 lors de mon voyage initiatique aux États-Unis me donna l'envie de faire de la musique. Frank Zappa était devenu mon nouveau gourou. J'avais 15 ans. Après le concert de l'Olympia quelques mois plus tard, j'enjambai les barrières du Festival d'Amougies pour l'abreuver de questions et enregistrai sa participation aux groupes avec lesquels il improvisa. Je lui donnerai ensuite un coup de main au Festival de Biot-Valbonne et le retrouverai au Gaumont-Palace cette fois avec les Mothers et de nouveau Jean-Luc Ponty. Zappa n'avait pas la réputation d'être facile d'accès, mais ma jeunesse enthousiaste avait raison des résistances de tous les musiciens que je rencontrais, sauf Captain Beefheart qui me traversa comme un ectoplasme et sans que je comprenne comment il avait réussi à m'éviter. Je possède l'intégralité de la discographie (augmentée) de Zappa, les films de lui ou sur lui, les livres qui le concernent, etc., même si la période qui suivit m'intéresse moins, mais je m'y replongeai avec délectation à la fin de sa vie. Je traçai donc mon propre chemin, en particulier grâce aux pistes qu'il avait suggérées dès Freak Out !, son premier album. Rares étaient les camarades qui partageaient mon engouement pour cette musique "de fous". Avec le temps, Zappa a acquis ses lettres de noblesse, et dans certains pays il est carrément adulé. En tant que compositeur, je n'ai jamais tenté de l'imiter, mais je suis resté fasciné par l'originalité de son œuvre, fut-elle influencée par Varèse, Stravinski, Webern, Bartók, le blues, le doo-wop, le jazz, le rock, et tutti quanti. Si j'étais épaté par son travail d'arrangeur et la complexité rythmique, j'avais du mal avec le côté potache des paroles qui correspondent à mon avis au niveau intellectuel de la plupart des ados américains. Par contre, en France on connaît mal ses implications politiques qui l'occupèrent dans son pays, contre la censure ou pour inciter les jeunes à voter. En 1993, j'ai failli réussir à tourner une émission de télévision avec lui, mais "La 7 sur la 2" répondit la phrase célèbre qu'il inscrit sur nombreuses de ses pochettes : "no commercial potential". Quoi qu'il en soit Frank Zappa représente ma référence absolue, avec Charles Ives, Edgard Varèse et John Cage (que j'eus la chance de rencontrer également).


Ayant souvent chroniqué les livres qui lui sont consacrés, et certaines rééditions augmentées de nombreux inédits, je suis resté malgré tout un spécialiste de son œuvre. Mes articles récents sur le livre de sa fille Moon Unit et il y a quelques semaines celui de Pauline Butcher, sa secrétaire particulière de 1968 à 1971, ont donné l'idée aux organisateurs du Festival Muzzix & Associés de m'inviter à Lille pour présenter son film 200 Motels au cinéma L'Univers mercredi soir 8 octobre à 20h. Pour me rafraîchir la mémoire j'ai revu le film ainsi que The True Story of Frank Zappa's 200 Motels que Zappa sortit en 1987 et des entretiens, j'ai repris le somptueux coffret de 6 CD publié en 2021, relu les passages des livres de Christophe Delbrouck et Guy Darol qui s'y connaissent certainement mieux que moi, et de Zappa lui-même. Je suis d'une part très honoré de cette invitation et d'autre part passionné par 200 Motels qui représente à mes yeux et mes oreilles l'apothéose de la première partie de son œuvre.

La seconde illustration est une petite pépite découverte au hasard de ma cinéphilie, l’affiche de 200 Motels dans une séquence de Un pigeon mort dans Beethovenstrasse (Tote Taube in der Beethovenstrasse) de Samuel Fuller en 1972, l’année suivant la sortie du film de Zappa et Tony Palmer. Et il se trouve que je suis aussi un fan des films de Fuller !

dimanche 5 octobre 2025

Un D.M.I. cité dans The Guardian


"SOME OF THE MOST INTERESTING ACTS, SUCH AS UN DRAME MUSICAL INSTANTANÉ, FORMED LATER IN THE 1970s"
Sympa de se retrouver cité dans The Guardian sous la plume d'Agata Pyzik à propos du livre de l'Australien Ian Thompson "Synths, Sax & Situationists: The French Musical Underground 1968-1978" dont j'ai rédigé l'une des deux préfaces (l'autre est de Steven Stapleton, a.k.a. Nurse With Wound). L'enquête la plus poussée sur le sujet, pour l'instant seulement en anglais...

Extrait du Guardian :
“Thompson thinks this proto-punk attitude as well as ideas driven from Situationists – the French intellectual revolutionary movement whose ideas fuelled May 68 – were key. They accepted the ephemereality of what they were doing – the point was to do it. Some of the most interesting acts, such as Un Drame Musical Instantané, formed later in the 1970s but the scene had largely died off by the early 80s. Post-punk came in, and France’s underground rock scene fizzled out. Yet its legacy is still tangible. “It cleared the way for French rock music to take a decisive turn away from slavishly copying English and American musicians,” says Thompson. “It was the very beginning of the process that eventually led to the international success of a specifically French style of music in the 1990s, with bands such as Daft Punk, Air and Phoenix.”
The scene’s most attractive quality, in the end, was not individual songs but the potential for true freedom of expression, Thompson says. “France’s musical revolution was a true experiment, not just a declaration.”

La référence aux hôpitaux psychiatriques est un concert de Birgé Gorgé Shiroc à la clinique de La Borde en 1975 et le festival qui s'y tint l'année suivante, où je rencontrai Bernard Vitet pour fonder Un Drame Musical Instantané fin 76.

vendredi 3 octobre 2025

Septembre ardent, LP ou K7


En mai 2023 j'avais assisté à la création de Septembre ardent au Comptoir de Fontenay. Difficile d'en rajouter, après la forte impression d'alors, à l'écoute du vinyle et de la cassette qui sortent deux ans et demi plus tard. Je reproduis donc ci-dessous l'article que les quatre musiciens m'avaient inspiré. Mais comme je suis saisi à nouveau (j'oublie facilement le passé pour vivre pleinement le présent), d'autres images me viennent. Même si c'est une courte nouvelle de William Faulkner parue en 1931 qui est à l'origine de leur livret original, comment ne pas penser à Dune, le roman de science-fiction de Frank Herbert paru en 1965 et ses adaptations à l'écran par David Lynch ou Denis Villeneuve ? Nous nous envolons au Maghreb, son sud désertique, pour cette évocation mystérieuse où des fantômes hantent les deux protagonistes interprétés par les chanteurs Nosfell et Donia Berriri, accompagnés par Jean-Brice Godet aux clarinettes et Valentin Mussou au violoncelle. Chacun/e double son jeu (dans l'ordre) au synthétiseur modulaire, au clavier, au cassettophone ou à l'échantillonneur.


Si le superbe vinyle attire avec ses sept chansons (mais sans les passages parlés et instrumentés), l'ampleur du projet ne prend sa dimension que par l'intégralité enregistrée sur cassette ou téléchargeable avec un code sur Internet livré avec le disque. Septembre ardent est bien un (petit) opéra. Le récit donne à la musique sa profondeur. En français et en arabe, il s'articule entre chaque chanson, produisant des images abstraites. Les matières sonores dressent des décors aux perspectives infinies. Le voyage initiatique nous entraîne si loin que l'on ne s'en aperçoit que lorsque tout est véritablement fini, dans la nuit mauve que porte le graphisme de Jérémy Barrault.



Le clip est réalisé par Jean-Pascal Retel. Le son est enregistré par Julien Taillefer et mixé par Édouard Bonan.

→ Septembre ardent, LP 24,60€ / K7 15€ / numérique sur Bandcamp 12€ LpLp Rec, dist. Inouïe


SEPTEMBRE ARDENT, UN OPÉRA DE CHAMBRE


"Septembre Ardent est le récit onirique d'un personnage en quête de sa propre histoire, dialogue entre un homme à la mémoire défaillante et une femme sibylline, miroir déformé d'une figure familière." Vendredi dernier j'ai surtout assisté à un merveilleux petit opéra, oratorio gesticulé, œuvre collective où toutes les pièces du puzzle instrumental et vocal sont en place. S'il en manquait une, ce serait à propos, à propos de cette fin du monde où le progrès est une arnaque mortifère. Mais les instruments acoustiques et électriques, clarinettes et cassettes de Jean-Brice Godet, violoncelle et échantillonneur de Valentin Mussou, claviers de Donia Berriri, machines de Nosfell se fondent parfaitement avec les voix de Donia, qui a écrit les textes, et Nosfell, dont le corps et la voix sont des lianes vivantes, ensemble soutenu par l'ingénieuse de son Céline Grangey. Spectacle de science-fiction philosophique, Septembre ardent diffuse une énergie incroyable, sorte de rock électronique où les impros jazz filent comme des bolides à la Mad Max, et une poésie légère qu'apportent le dialogue en chansons du couple qui se renvoie la balle à cour et jardin, en français et en arabe.


Jean-Brice Godet, en plus de la clarinette et de sa déclinaison basse, avait apporté une clarinette contrebasse dont le son m'a scotché, par la variété de ses timbres et une dynamique que je n'avais jamais entendue jusqu'ici sur cet instrument. Il n'est d'autre part pas surprenant que j'ai écrit en 2006 un article sur les débuts de Nosfell. Si Jean-Brice avait malicieusement évoqué Un drame musical instantané pour m'attirer au Comptoir de Fontenay, Septembre ardent m'a rappelé un autre opéra, très bizarrement méconnu, que j'avais chroniqué l'année suivante. Il s'agit de Welcome To The Voice de Steve Nieve et Muriel Teodori, qu'interprètent Sting, Robert Wyatt, Elvis Costello, Barbara Bonney, Sara Fulgoni, Nathalie Manfrino, Amanda Roocroft, The London Voices et Le Chœur des Amis Français, accompagnés par le Brodsky Quartet, Ned Rothenberg, Marc Ribot et Antoine Quesada. Je citai alors également Escalator Over The Hill de Carla Bley, Paul Haines et Michael Mantler, dont la distribution est aussi épatante, et No Answer du même Mantler. Opéras modernes, j'aurais pu encore citer d'autres œuvres de ce compositeur qui m'est très cher, ou Sing Me a Song of Songmy de Freddie Hubbard avec Ilhan Mimaroğlu, Delusion of the Fury de Harry Partch, 200 Motels de Frank Zappa, Le trésor de la langue de René Lussier, Jericho Sinfonia de Christophe Monniot, Lady M de Marc Ducret, Constantine de Théo & Valentin Ceccaldi, etc., tous des projets ambitieux qui ont fait des miracles malgré des budgets qui n'étaient pas à la hauteur de la réussite finale.
Et Septembre ardent n'a rien à leur envier, transportant la salle sur une autre planète qui ressemblait furieusement à la Terre.

jeudi 2 octobre 2025

À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France - Épisodes 5 et 6


Après La Maison Fournaise, Les sports nautiques d'autrefois, Air, terre, mer, des moyens de transports originaux et l'Hôtel industriel Mozinor à Montreuil, j'ai sonorisé deux nouveaux épisodes de la web-série Étonnant patrimoine mis en ligne sur la chaîne YouTube de la DRAC Île-de-France.


Le Jardin du Point du Jour à Verdelot (Seine-et-Marne) fait partie des 46 "Jardins Remarquables » d’Île-de-France. La place de la musique y est comme chaque fois une discrète toile de fond, mais je me suis amusé à composer là des pièces légères au clavier sur fond de petits oiseaux.


Pour Les devantures de magasins parisiens, la DRAC a choisi une ancienne boucherie, la plus ancienne chocolaterie et une ancienne crèmerie, trois exemples de devantures protégées au titre des monuments historiques. C'est chaque fois un exercice de style de trouver l'ambiance musicale qui collera au sujet. Lorsque je ne compose pas un petit quelque chose de nouveau, il m'arrive de puiser dans le fond de mes archives, ici une valse musette très parisienne, un piano impressionniste entraînant et un orchestre à cordes un peu emphatique.

Vitrine : "À la Mère de Famille", la plus ancienne chocolaterie de Paris (9e arrondissement) © Alexandre Guirkinger

mercredi 1 octobre 2025

Une anche passe, autographie bio de François Jeanneau


Pendant les trente-deux ans où j'ai travaillé quotidiennement avec Bernard Vitet j'entendais mon camarade évoquer de temps en temps ceux et celles avec qui il avait partagé un bout de chemin et qui avaient compté pour lui. Je l'ai d'ailleurs enregistré au sujet de ses débuts (il existe déjà un Cours du Temps publié sur le Journal des Allumés du Jazz, mais qui concerne essentiellement la période située entre ces débuts et Un drame musical instantané) ; il faudra donc que je m'y colle un de ces jours à en faire le relevé tant les temps ont changé et que la perspective historique est toujours passionnante et instructive.
C'est la raison pour laquelle j'ai dévoré Une anche passe, l'autobiographie du saxophoniste et compositeur François Jeanneau qui avait enregistré son premier disque en 1960 pour le pianiste Georges Arvanitas avec Bernard à la trompette. Jusqu'en 1965 on les retrouve tous les deux dans le grand orchestre de Jean-Claude Fohrenbach, dans le quintet de Jack Diéval, avec Jef Gilson (Enfin !, Big Band), Jean-Luc Ponty (The Beginning), François Tusques (Free Jazz) et plusieurs tournées avec Claude François, sans compter de nombreuses sessions pour des chanteurs à la mode. Bernard avait abandonné le jazz en 1974, deux ans avant notre rencontre, alors que François s'en réclamait toujours (avec une incartade pour le groupe de rock Triangle), premier chef de l'Orchestre National de Jazz (1986), créateur du département de jazz du Conservatoire de la Réunion (1987-91), puis premier chef du département « Jazz et Musiques improvisées » au CNSMDP (1991-2000), sans compter les innombrables formations qu'il dirige ou auxquelles il participe (Pandémonium, l'opéra Desmodus Minor, le Quatuor de saxophones avec Jean-Louis Chautemps, Philippe Maté et Jacques Di Donato, le trio Humair-Jeanneau-Texier, l'orchestre de soundpainting Le Spoumj, le Bernica Octet, etc.).
Je partage avec François Jeanneau l'influence de Sidney Bechet (j'ai joué du soprano sur ses genoux !), le goût pour les instruments électroniques, en particulier le synthétiseur ARP 2600, et je suis né comme lui Cité Malesherbes au haut de la rue des Martyrs, mais dix-sept ans plus tard ! En lisant les 280 pages illustrées je retrouve évidemment le nom de musiciens avec lesquels Bernard avait joué toute la première partie de sa vie. Mais c'est le style de François qui m'embarque, plein d'humour et d'apartés qui réfléchissent les périodes traversées par ce jeune homme aujourd'hui nonagénaire. Il fait souvent fi de la chronologie parce que la mémoire a ses règles et qu'il est indispensable de les enfreindre lorsqu'on aime raconter des histoires. Il insère des dialogues amusants entre Elle et Lui, deux coccinelles à la Gotlieb, ou livre ses idées majeures sur l'enseignement du jazz telles qu'il les a transmises à ses nombreux élèves devenus pour certains les meilleurs de leur génération. Mon expérience et mon credo sont très différents (je ne suis pas jazz pour deux sous, même si le marché m'y range parfois), mais il est passionnant de connaître ses méthodes. Dans tous les cas, c'est frais et généreux.

→ François Jeanneau, Une anche passe, 21 x 21 cm, ed. Anima Persa, 36,50€