L'hommage de la Cinémathèque Française à
Jean-André Fieschi devrait me remplir de joie, mais son retard m'envahit de
tristesse. Il aura fallu qu'il rejoigne les fantômes que l'écran ressuscite pour que son travail soit célébré. Pourquoi attendre qu'ils aient traversé pour célébrer certains passeurs ? J'aurais aimé lire cette annonce de son vivant. Une carte blanche imaginaire lui est consacrée, avec
ses films, mais aussi quelques uns de ceux qui jouèrent le rôle de
L'accompagnement. Une jolie préface de Bernard Eisenschitz livre le programme de ce
Jeu des voyages :
Alphaville où il était le Professeur Heckell et
Rogopag du grand frère Jean-Luc où il figure aussi,
Le crime de Monsieur Lange dont la figure de l'escroc Pachala joué par Jules Berry le fascinait tout comme le justicier
Judex ou le réalisateur illusionniste de
F for Fake (Vérités et mensonges),
Le journal d'une femme de chambre qui me rappelle quand il nous racontait sa rencontre avec
Don Luis, et puis surtout
Gertrud, Lilith, Madame de, Sandra, sublimes portraits de femmes qui resteraient pour lui à jamais la grande énigme.
Si toutes les salles de cinéma devraient ouvrir leurs portes battantes sur
La région centrale, la projection d'hier soir débuta avec un épisode de
Cinéastes de notre temps consacré à
La première vague qu'il cosigna avec Noël Burch. Ce film sur
L'Herbier, Delluc,
Epstein et Germaine Dulac révolutionna mon approche du cinématographe. L'invention de cette période du muet m'éclata à la figure comme une symphonie d'images et des sons qu'elles suscitèrent. L'illustration musicale synchronisée pour l'occasion y est d'ailleurs remarquable. La partition de Darius Milhaud sur
L'inhumaine est à tomber par terre, mais je me retiens à mon siège quand la caméra chavire dans les décors de Fernand Léger, Alberto Calvacanti, Autant-Lara et Mallet-Stevens. À cette époque, le cinéma avait la musique pour modèle. Je retournai le concept, comme les gants que portait Marcel L'Herbier sur le plateau de la Gaumont, et m'inspirai désormais du cinéma pour composer.
La soirée se termine sur le premier épisode du
Jeu des voyages filmé avec les moyens du bord. Inspiré par le modèle du musicien qui le suivait partout en fidèle disciple, Jean-André décida dès 1975 d'acquérir sa propre indépendance, même s'il fallait trimbaler la lourde vidéo portable dans le sac à dos. Les minuscules caméras japonaises succédèrent à la paluche Aäton qu'il avait achetée à Beauviala en louis d'or. C'est ainsi qu'il surprend les fantômes du Père Lachaise, somnambules qui ne sortiront qu'à la nuit tombée, il fallait bien commencer par ceux qui avaient initié le récit. Puis une salle de projection avec l'ami Labarthe, comme celle d'une autre Cinémathèque dans le film précédent, identique à celle où nous sommes assis, autour de Franju on y reconnaissait de dos Fieschi, Claude Ollier, Jacques Siclier, Ado Kyrou, le dispositif nous projetant sur l'écran par cette magie qui le faisait décoller du sol les bons jours. La salle de montage où la pellicule s'attrape avec un gant blanc sur la triple bandes, encore l'attente. Enfin la direction des acteurs, ici Anouk Grinberg lisant, je crois, Paul Claudel, toujours la répétition.
Jusqu'au 7 novembre,
beau programme !