lundi 23 mai 2011
Nurse Jackie, une urgence
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 23 mai 2011 à 00:10 :: Cinéma & DVD
Ce billet s'adresse à celles et ceux qui ont été accros à Six Feet Under ou qui attendent la suite de Mad Men avec impatience ! Régulièrement des amis américains ou canadiens nous suggèrent quelque nouvelle série, ce qui se fait de plus intéressant dans le cinéma d'outre-atlantique, Hollywood s'étant définitivement fixé sur une cible adolescente formatée et les indépendants subsistant tant bien que mal grâce aux investisseurs et au public européens sans retrouver la charge explosive du siècle passé. Fort de dresser un portrait sévère et politiquement incorrect des États-Unis, avec une recherche formelle originale, les séries produisent l'effet d'accoutumance de tout très long métrage. Déçu par la troisième saison de Breaking Bad qui, faute de moyens, s'est essoufflée dans des dialogues interminables, et dans l'attente d'un sursaut de la prochaine saison de True Blood, nous avons testé Shameless et In Treatment (En analyse) sans risquer de voir nos nuits dramatiquement raccourcies et nos week-ends se passer dans le noir de la salle de projection. J'ai évoqué le mois dernier les héros négatifs qui peuplent ces productions, fruits de la récession américaine et d'une crise qui n'en est encore qu'à ses prémisses. Finalement, bien que n'ayant jamais été fans des séries hospitalières, nous avons flashé sur Nurse Jackie.
Jackie, infirmière chef au service des urgences d'un hôpital privé (USA obligent) baptisé ironiquement "All Saints", ne supporte le poids qui pèse sur ses épaules jusqu'aux lombaires qu'en ingurgitant toutes sortes de substance dont la Vicodin. Cet analgésique opiacé est aussi prisé par les héros de Dr House, Californication, Entourage et Six Feet Under ! Elle vit dans le mensonge pour ne heurter aucun des deux hommes qu'elle aime et son rôle maternel n'est pas simplifié par sa profession accaparante. Si tous les personnages, que l'on aurait tort d'appeler seconds rôles tant ils sont aussi déterminants, pathétiques donc attachants, réfléchissent la difficulté d'être de chacun, véhiculant avec justesse l'ambiguïté des non-dits et des passages à l'acte. Filmé astucieusement, avec gros plans en contrechamp sans paroles et profondeur de champ pour la mise en perspective, Nurse Jackie écorne tous les poncifs de la société américaine, voire hélas la nôtre avec un certain délai : dépression générale, explosion de la famille, économie domestique, homosexualité, troubles de l'enfance et de la vieillesse, prise en charge de la maladie, euthanasie, pauvreté, etc., le tout avec un humour ravageur dont le cynisme n'est que celui des personnages, mais jamais le regard que les spectateurs lui portent. Nurse Jackie, encours de troisième saison aux États-Unis, est une série adulte qui s'appuie sur un espace critique pour annoncer la catastrophe et proposer des remèdes adaptés à chacun/e. Ça marche ou pas.