70 Cinéma & DVD - mai 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 28 mai 2015

Quatre films qui méritent le voyage


Les projections se succèdent sans que j'ai le temps d'évoquer certains films qui m'ont marqué ces temps derniers.
Antoine Schmitt, qui est un fan de films de science-fiction, m'a suggéré avec raison un film américain méconnu de 2007, The Man From Earth de Richard Schenkman. Film fauché à huis clos sans effets spéciaux, The Man From Earth repose sur un scénario brillant de Jerome Bixby qui mêle philosophie et anthropologie, métaphysique et psychologie tout en s'interrogeant sur ce qu'est une histoire, dans un suspense prenant où les dialogues sont au premier plan. Jamais la phrase de Cocteau "ne pas être admiré, être cru" n'aura été aussi bien illustrée ! Sur Wikipédia il est stipulé : "Le producteur Eric D. Wilkinson a remercié un site de piratage qui propose ce film en torrent, car cette distribution illégale a permis de faire connaître ce film confidentiel à petit budget dans le monde entier, alors qu'il n'est sorti qu'aux États-Unis. Une autre des conséquences de ce piratage est que le film est apparu dans la liste des meilleurs films du site IMDb et y a reçu de nombreuses critiques positives. Il figure ainsi dans la liste des 50 meilleurs films de science-fiction de tous les temps en septembre 2014. Le réalisateur a confirmé les propos de son producteur, et a souligné qu'ils acceptaient tous deux l'idée d'être piratés, mais en encourageant en contrepartie les internautes du monde entier, qui n'ont pas accès au DVD, à faire un don."


Armagan Uslu et Christophe Biet m'ont conseillé le second film sans m'en dire un mot. De toute manière je ne supporte pas que l'on me raconte un film avant que je l'ai vu. White God est un thriller hongrois de 2014 réalisé par Kornél Mundruczó et coproduit par la Hongrie, l'Allemagne et la Suède, dont le héros est un chien, avec alternance de scènes à la Disney et des séquences gore, l'ensemble faisant penser au statut politique de la Hongrie gouvernée par une bande de fachos racistes. Le titre White God est un clin d'œil au White Dog (Dressé pour tuer) de Samuel Fuller, autre film sur le racisme et l'intolérance où le dressage des chiens d'attaque tient une place déterminante. La première scène, à couper le souffle, rappelant le spectacle Inferno de Romeo Castellucci et Les oiseaux d'Alfred Hitchcock, n'est qu'un petit avant-goût de la suite.


Snow Therapy (titre original : Turist, et titré à Cannes Force majeure en 2014) est un drame psychologique de Ruben Östlund mettant en scène une famille suédoise en vacances dans les Alpes. Un événement traumatisant va révéler la lâcheté d'un des personnages, thème récurrent chez le réalisateur suédois, mais Play (2011), son précédent long métrage très critiqué pour ses choix communautaires (un groupe d'enfants d'origine africaine tyranisent de bons petits bourges suédois), nous a horripilés alors que celui-ci est remarquable par la finesse de son étude de caractères, au demeurant très suédois, avec des images et un montage parfaitement adaptés au scénario.


Le dernier pour aujourd'hui dure tout de même 4 heures et 11 minutes depuis que le laboratoire L'immagine Ritrovata de Bologne a ajouté 22 minutes inédites. Il était une fois en Amérique ressort donc au cinéma dans une superbe copie restaurée. La partition sonore du début du film est extraordinaire, mais elle a tendance à se diluer au bout d'un moment, avec une sirupeuse, redondante et envahissante musique d'Ennio Morricone qui n'était pas au mieux de sa forme. La dernière œuvre de Sergio Leone (1984) est passionnante, malgré un machisme assez insupportable, propre au cinéma de gangsters. Le plus époustouflant est le travail de maquillage des acteurs. Robert de Niro et James Woods, qui n'ont alors que 31 ans, jouent leurs personnages vieillis à s'y méprendre avec ce qu'ils sont devenus à 70 ans passés.


J'espère chroniquer l'inestimable coffret Nagisa Oshima publié par Carlotta, mais il contient neuf films renversants de révolte dont Le petit garçon, La pendaison et La Cérémonie, qu'il faut que je prenne le temps de voir alors que mes activités hors les murs s'accélèrent à vitesse V.

mardi 12 mai 2015

20 000 jours sur Terre


Si la critique internationale a adoré le documentaire 20000 Days on Earth de Iain Forsyth et Jane Pollard consacré à Nick Cave, je suis resté de marbre. La réalisation est sophistiquée, montage léché, prises de vue acrobatiques, maniérisme arty, mais le film reste très superficiel quant à la personnalité de rock star que s'est construite le chanteur des Bad Seeds, également auteur de poésies, de romans. Au fur et à mesure de la projection, j'ai eu le sentiment que tout était bidon et emprunté chez cet artiste adulé, plus poseur que véritablement inspiré. Pire, il a le cynisme de revendiquer ses bobards, pensant probablement que cela passera pour de l'humour, or il n'en a aucun. Sa musique à l'eau de rose ne recèle d'ailleurs plus aucune mauvaise graine et j'ai fini par trouver idiotes la plupart de ses réponses. En gros, dommage que les deux réalisateurs aient choisi un sujet porteur pouvant rameuter du public plutôt qu'une autre idole qui aurait réellement des choses à dire et raconter.


Comme souvent, la bande-annonce suffit pour avoir un aperçu de ce qu'il y a de meilleur dans ce long métrage qui prétend osciller entre documentaire et fiction alors qu'il s'agit surtout d'une vérité arrangée pour les besoins professionnels de l'artiste, travaillant son ego en poseur comme un fond de commerce. Étonnamment les bonus du DVD relèvent le niveau, peut-être parce que, séparés du corpus majeur, ils deviennent des témoignages sans autre prétention qu'apporter du plaisir. Ainsi le formidable chorus de violon free de Warren Ellis ou la version live du duo avec Kylie Minogue sur le tube réussi Where The Wild Roses Grow, démarquage d'un morceau traditionnel irlandais.

20 000 jours sur la Terre, Iain Forsyth & Jane Pollard, Blu-ray et DVD Carlotta

lundi 11 mai 2015

Cinéma documentaire, fragments d'une histoire


Jean-Louis Comolli n'a pas beaucoup changé depuis la dernière fois que nous nous étions croisés alors que j'étais encore étudiant à l'I.D.H.E.C. (Institut des Hautes Études Cinématographiques, ancêtre de la FEMIS) il y a plus de quarante ans ! À l'occasion d'une soirée organisée par Siggraph France en partenariat avec Cap Digital, le cinéaste présentait son nouveau livre, Cinéma, mode d’emploi - De l’argentique au numérique écrit avec Vincent Sorrel. J'étais invité à défendre le numérique, mais je partageai globalement les propos des deux autres débatteurs, à savoir qu'il ne faut pas confondre le support technique et les conséquences qu'il produit sur les œuvres et sur les consciences, soit les auteurs et leur public.
Comolli définit le cinéma par le rapport visible / non visible, ce qu'en homme du son je nomme le hors-champ quand lui fait référence au hors-cadre, et par la salle obscure où il faut qu'au moins un spectateur assiste au spectacle. Nous digressâmes allègrement, condamnant le flux, revendiquant que le cinéma ne peut se contenter d'une image plus petite que le spectateur, soulignant l'ellipse, tentant de circonscrire le cinéma ou l'audio-visuel tandis que j'avançai que les œuvres interactives et les nouveaux supports offrent des possibilités nouvelles à un genre nouveau qui ne doit pas forcément s'appeler cinéma. Je résume très succinctement un débat qui partit dans tous les sens pour notre plus grand plaisir, comme le livre de Comolli et Sorrel dont plus de 800 termes offrent autant d'entrées sur ce qui nous anime et que nous animons.


À l'issue de la soirée, Jean-Louis Comolli me confia un exemplaire de son nouveau film récemment sorti en DVD et intitulé Cinéma documentaire, fragments d'une histoire. Dès les premières images commentées par l'auteur lui-même, notre complicité de points de vue se vérifia. Le documentaire est mis en scène tout autant que la fiction. Le cadre et le montage façonnent le réel pour faire son cinéma, les acteurs agissent se sachant filmés, etc. La réussite du film de Comolli tient dans la personnalisation de son histoire(s) du documentaire. Si tous les extraits choisis sont des diamants noirs, son engagement politique révèle les lignes de force du genre. En intégrant des vues fixes et sa main écrivant les idées déterminantes sur un carnet, le cinéaste critique nous laisse le temps de réfléchir. Or cette réflexion est justement la ligne de démarcation qui sépare le cinéma d'auteur dont il est l'un des ardents défenseurs et le cinéma de distraction (entertainment comme disent les Américains). Ses références sont lumineuses tel Walter Benjamin précisant "le fascisme est l'esthétisation de la politique et le communisme est la politisation de l'esthétique" comme Comolli compare la manière de tourner de Dziga Vertov et celle de Leni Riefenstahl. Il rend évidemment hommage à L'homme à la caméra, comme aux frères Lumière, à Flaherty, Van der Keuken, Rouch, Buñuel, Franju, Pialat, Debord, Resnais, Drew, Leacock, Sidney Bernstein, au groupe Medvedkine, à Ivens et Loridan, Le Masson et Deswarte, Vittorio de Seta, Brault et Perrault, Imamura... Les extraits qui passent sur la table de montage font choc. Certains provoquent et révoltent, d'autres bouleversent ou épatent, mais tous font sens. Les grands moments de l'Histoire du XXe siècle sont formidablement résumés en quelques secondes, de la Révolution de 1917 à Mai 68 en passant par la prise de Barcelone par les troupes anarchistes, les camps de concentration allemands, l'assassinat de J.F.Kennedy, la guerre du Vietnam... Les plans choisis correspondent parfaitement à l'idéologie que chaque évènement véhicule. La chronologie s'arrête en 1975 quand la télévision accède au pouvoir. Ailleurs Comolli insiste sur l'échange de regards qui passe par l'objectif de la caméra avant de traverser celui du projecteur, le rôle du son lorsqu'il devint synchrone et celui du commentaire, les conditions budgétaires ("pauvre en moyens, riche en temps") et l'appropriation possible par tous de ce medium témoin de son siècle. Cette leçon de cinéma passionnera tout autant ceux qui n'y connaissent pas grand chose que les mordus cinéphiles.

→ Jean-Louis Comolli, Cinéma documentaire, fragments d'une histoire, DVD 55' avec livret 16 pages, Ed. Documentaire sur Grand Écran, 10€
→ Jean-Louis Comolli et Vincent Sorrel, Cinéma, mode d’emploi - De l’argentique au numérique, livre 448 pages, Ed. Verdier, 28€