Lorsque j'ai passé le concours de l'Idhec je ne connaissais pas grand chose au cinéma. Le jury m'ayant demandé quels films m'avaient plu, j'avais répondu Easy Rider et deux films de Jean-Pierre Mocky, Solo et L'Albatros. Avec un peu de recul, j'avais trouvé ce choix celui d'un adolescent romantique de 1971 qui avait vécu activement mai 68 et découvert la musique pop la même année en parcourant seul (avec ma petite sœur de 13 ans) les États Unis, mais il ne m'a pas empêché de réussir brillamment mon entrée dans le prestigieuse école. J'ignorais à quel point le film de Dennis Hopper (1936-2010) allait révolutionner Hollywood et le cinéma américain...


Ayant vu tous ses films, je craignais de m'ennuyer devant un making of d'une heure quarante sur le cinéaste, acteur, photographe et collectionneur d'art, mais le film de Nick Ebeling évite l'écueil de l'hagiographie stérile et des extraits redondants et interminables en choisissant Satya de la Manitou, le bras droit de Dennis Hopper, comme guide allant à la rencontre de celles et ceux qui ont accompagné ses succès et sa traversée de l'enfer. Tous les témoignages sont passionnants et le montage ne laisse aucun temps mort. Cocaïnomane et alcoolique (cela va souvent de paire, la cocaïne retardant l'ivresse de l'alcool), Dennis Hopper saccagea l'aura qu'Easy Rider lui avait servie sur un plateau de cinéma. Sa sensibilité d'artiste et ses visions poétiques se transformèrent en arrogance et autodestruction, en particulier lors du montage de The Last Movie. Si sa vie est un gâchis, il s'implique totalement dans ses rôles, adulé par les réalisateurs pour lesquels il travaille ou par les comédiens qu'il engage. Formidable acteur, formé à La Méthode de Stanislavski enseignée par Lee Strasberg à l'Actors Studio, il s'en sort en jouant pour Wenders, Coppola, Lynch, Schnabel, Ferrara et bien d'autres. En tant que cinéaste il est blacklisté jusqu'au succès de Colors en 1988. Ce sont quinze ans de traversée du désert. J'ai tout de même l'impression que pour alimenter le mythe et devenir une star, il faut être distant et désagréable, ou destroy et déséquilibré, tout cela combiné si possible ! Les médias et le public sont moins sensibles à la gentillesse et la générosité, même si certains artistes s'en sortent affublés de ces qualités. De même, avec humilité et sincérité, le fidèle Satya de la Manitou rend magnifiquement hommage à tous les bras droits qui soutiennent les auteurs d'Hollywood en restant dans l'ombre.


Le film de Nick Ebeling, accompagné musicalement par les guitares électriques de Gemma Thompson (du groupe post-punk britannique Savages), fait partie d'un pack comprenant un passionnant livre de 240 pages, fortement illustré et documenté, qui développe ce qui est projeté. Offert en bonus, le Blu-Ray du docu-fiction The American Dreamer de Lawrence Schiller et L.M. Kit Carson, réalisé en 1971, est un témoignage de cette époque libertaire, au travers de la vision de Hopper, de ses fantasmes sexuels (qu'on pourra trouver provocants à celle de MeToo), de ses ambitions cinématographiques, de son goût pour l'art contemporain. Ce presque home movie figure paradoxalement le véritable making of du biopic documentaire qu'est Along For The Ride, tourné cinquante plus tard !

→ Le pack Blu-Ray Along For The Ride + The American Dreamer, Carlotta, 58€, sortie le 18 octobre