70 Cinéma & DVD - octobre 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 28 octobre 2024

L'empire des sens, de la passion et d'Abe Sada


Si j'avais vu trois fois Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pasolini, chaque fois en ouvrant un peu plus les yeux, L'empire des sens d'Ōshima m'avait échappé, ou, plus justement, je lui avais échappé. Il n'est jamais trop tard pour découvrir un chef d'œuvre. Je ne m'attendais pas à ça. "Ça" comme le pastiche de Je t'aime, moi non plus interprété par Bourvil et Jacqueline Maillan ! Je comprends mieux le scandale que le film de Nagisa Ōshima déclencha à sa sortie en 1976, particulièrement dans un pays aussi coincé que le Japon. La réputation de la scène finale eut tendance à occulter l'amour fou partagé par Sada et Kichizo. J'avoue avoir cligné des yeux à ce moment-là, mais pendant les cent minutes précédentes ils sont restés ouverts comme des soucoupes. Disons que c'est cru et que tout est montré sans que ce ne soit jamais obscène contrairement aux gonzos pornos qui sont hélas devenus l'étalon de la sexualité pour le commun des mortels. Le désir d'exclusivité guide Sada et celui de l'abandon son amant, probablement motivé par la différence de classes et sa pulvérisation charnelle. Comme pour tous ses autres films, Ōshima provoque. Il provoque l'hypocrisie d'une société qu'il hait, que ce soit politiquement ou moralement. Dans l'un des excellents bonus, j'apprends qu'étudiant, il fut un des meneurs de la Zengakuren, s'opposant à la guerre du Vietnam et aux bases américaines sur le sol japonais. Après le film on a forcément envie de savoir ce que sont devenus les deux acteurs principaux, Tatsuya Fuji et surtout l'extraordinaire Eiko Matsuda, ce que nous révèlent les suppléments, comme l'aventure incroyable que le producteur Anatole Dauman permit en en faisant un film français.
Le luxueux coffret publié par Carlotta offre également les Blu-Ray de L'empire de la passion, que Ōshima tourna deux ans plus tard, et de La véritable histoire d'Abe Sada réalisé par Noboru Tanaka l'année précédente sur le même sujet, mais je ne les ai pas encore regardés. Ce dernier est un pink film, un pinku eiga comme les cinq que j'avais chroniqués jadis.
En plus des trois films, Carlotta offre donc de nombreux suppléments (un documentaire de David Thompson & Serge July sur L'empire des sens, l'histoire du film par des membres de l'équipe, un entretien inédit avec Tomuya Endo, chanteur japonais et historien du cinéma, sur Eiko Matsuda, etc.) et un luxueux livre de 160 pages de Stéphane du Mesnildot, La révolte de la chair, illustré de 45 photos exclusives et avec un texte inédit d'Oshima.

→ Nagisa Oshima, L'Empire des sens, Coffret Ultra Collector 27 - 4K UHD + Blu-ray + Livre, ed. Carlotta, 65€

mardi 15 octobre 2024

Le génie de Max Linder


Cherchant un titre pour chroniquer la sortie du triple DVD de Max Linder je ne pouvais trouver d'autre qualificatif que génial. J'avais commencé par "initiateur drôle et inventif", mais le père du premier personnage burlesque de l'histoire du cinéma, qui influença fondamentalement Charlie Chaplin, mais aussi tous les acteurs comiques chez qui l'on retrouve sa trace indélébile, des Marx Brothers à Jacques Tati et Pierre Étaix, ne peut se réduire à son humour, son élégance, ses scénarios décapants ou ses inventions cinématographiques. Quiconque découvre Max Linder n'en croira pas ses yeux, à défaut de ses oreilles puisque nous sommes à l'époque du muet. Les musiques de Jean-Marie Sénia et Gérard Calvi accompagnent néanmoins les films magnifiquement restaurés que les Éditions Montparnasse avaient eu l'excellente idée de sortir pour les fêtes [...].
Les deux longs métrages, En compagnie de Max Linder, présenté à Cannes en 1963, et L’Homme au chapeau de soie, réalisé en 1983 également par sa fille Maud, sont complétés par dix courts métrages parmi les cinq cents tournés et dont il ne subsiste qu'une centaine. Les veinards en trouveront une cinquantaine d'autres aux États Unis, mais il faut fouiller, et il existe un film d'Abel Gance de 1924 avec Max Linder intitulé Au secours !. Si Max était le fils de vignerons bordelais, le premier long réunit trois films inégalables tournés aux États Unis en 1921 et 1922, Sept ans de malheur, Soyez ma femme et L'étroit mousquetaire. Le second long est un portrait au travers d'extraits et de documents d'époque exceptionnels rassemblés et commentés par Maud qui n'a jamais connu ses parents. En 1925, l'acteur-réalisateur s'est suicidé alors qu'elle n'avait que seize mois, entraînant dans la mort sa très jeune épouse. Hyper jaloux, bipolaire, dépressif, Max Linder avait 41 ans...


Des dix courts métrages de ses débuts, tournés entre 1910 et 1915, je retiens particulièrement Max prend un bain pour des raisons très personnelles même si je les aime brûlants, Max a peur de l'eau pour le contraire et l'irrévérencieux Max et sa belle-mère, malgré l'insupportable piano de Sénia dont les conventions éculées nuisent formellement à l'intemporalité des films. Maud Linder n'aura de cesse de réhabiliter ce génie du burlesque, oublié peut-être parce qu'il était français et que l'empreinte sur Charlot n'était que trop visible ? Si ses films et son personnage respirent une incroyable modernité, il s'agit plutôt de perpétuité, concession octroyée aux chefs d'œuvre.
On connaît le cinéma Le Max-Linder, sur les Grands Boulevards à Paris. Pour présenter son travail dans les meilleures conditions, Max Linder en avait dessiné les plans en soignant le moindre détail, du trajet emprunté par les spectateurs à la place de l'orchestre accompagnant les films, mais la salle fut reconstruite dans les années 80...

Article du 25 octobre 2012