70 Cinéma & DVD - février 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 12 février 2025

Soundtrack to a coup d'état


Le documentaire Soundtrack to a Coup d'Etat du cinéaste belge Johan Grimonprez accumule les prix internationaux à la taille de sa distribution : d'un côté les jazzmen & women Louis Armstrong, Dizzy Gillespie, Abbey Lincoln, Max Roach, Nina Simone, Miriam Makeba, John Coltrane, Duke Ellington, Melba Liston, Eric Dolphy, Charles Mingus, Thelonious Monk, Ornette Coleman, les musiciens et musicienne de rumba africaine Grand Kallé, Rock-a-Mambo, Docteur Nico, Grand Kallé, Marie Daulne "Zap Mama", de l'autre Patrice Lumumba, Nikita Khrouchtchev, Fidel Castro, Malcolm X, Allen Dulles (directeur de la CIA de 1953 à 1961), John F. Dulles (secrétaire d’état américain de 1953 à 1959), Willis Connover (La Voix de l'Amérique), Dag Hammarskjöld (secrétaire général de l’ONU), le peintre René Magritte, le chanteur belge Eddy Wally, l'activiste Andrée Blouin, l'écrivain kino-congolais In Koli Jean Bofane, le diplomate irlandais Conor Cruise O'Brien, etc. Le film est de la trempe de ceux d'Adam Curtis (pour le montage, la musique et ses archives incroyables), Raoul Peck (qui avait consacré deux films à Lumumba) ou Jaffa, la mécanique de l'orange d'Eyal Sivan (pour son utilisation des chansons dans un documentaire politique).


Si le montage rythmique tient de l'agit-prop poétique, comme chez Adam Curtis, les citations affichées sont toutes sourcées. L'exportation du jazz participe à la fois au soft power et à la résistance anti-coloniale. Abbey et Max chantent la We Insist!: Freedom Now Suite. Dizzy se présente à la présidence. L'opposition poreuse entre le jazz et l'impérialisme américains souligne l'ambiguïté du lien entre l'Afrique et les États Unis, même si l'émancipation concerne évidemment tous les pays colonisés. Ce jazz montre que le choix de la musique dans n'importe quel film n'est jamais innocent. Le titre en atteste.
L'Afrique est riche de ses minerais, mais les Africains sont toujours pauvres. Le film tourne autour du Congo qui déclare son indépendance contre la Belgique, exemple dangereux s'il se répand sur le continent. Le fantôme du communisme a bonne mine. La C.I.A. est sur tous les fronts. Le Congo, c'est l'Union Minière. Lumumba est assassiné par les services secrets belges. Les discours et les témoignages se contredisent, évidemment. Les États Unis d'Afrique ne verront jamais le jour. Le film évoque discrètement, avec des spots de publicité pour Tesla ou l'iPhone, que le schéma n'a pas changé. Chaque fois qu'un dirigeant africain risque de mettre en péril la mainmise sur les matières premières de son pays, par exemple les terres rares ou le cacao, il est "mystérieusement" assassiné (vingt-trois depuis 1963 !), quand ce ne sont pas des peuples entiers qui sont poussés à s'entretuer par les forces colonialistes en présence, que ce soit la France, les États Unis, la Russie ou la Chine.

→ Johan Grimonprez, Soundtrack to a Coup d'Etat, 2h30

jeudi 6 février 2025

Beauté de la beauté


Beauté de la beauté est une gigantesque série sur la peinture réalisée par Kijû Yoshida, l'auteur de Eros+Massacre, équivalent japonais de la Nouvelle Vague. Le dispositif répétitif du tournage et la voix monocorde du réalisateur interdisent de regarder les épisodes à la suite les uns des autres. La magie du feuilleton provient de sa régularité, mais aussi de son espacement dans le temps. Chacun provoque alors une découverte, soutenue par la musique contemporaine de Toshi Ichiyanagi et une remarquable partition sonore où les ambiances enveloppent les œuvres d'un halo à la fois magique et réel. En trois DVD, Carlotta propose 20 épisodes de vingt-quatre minutes parmi les 94 tournés au gré des années, de 1974 à 1978, où Yoshida arpente la planète à la recherche de la beauté en prenant garde de ne jamais la nommer. Si son approche des peintres est d'abord géographique et historique, elle est surtout sociale et politique. Il plonge dans l'Histoire, resituant ce qui a poussé les artistes à se distinguer de leur époque. Toute œuvre est critique. À son tour Yoshida revisite la peinture avec le regard distancié de son île et de son esprit frondeur. Sa présence de visiteur étranger hante les lieux où sont exposées les œuvres. Imperceptiblement il s'identifie aux plasticiens qui furent d'abord des hommes avant de transposer sur la toile ce qu'ils voyaient et entendaient, ce qu'ils vivaient et ressentaient. Les titres et sous-titres en disent long :
- Bosch, le peintre du fantastique : L'hérésie de la naissance du nord, La descente aux enfers, Le rêve d'un royaume millénaire
- Bruegel, quand le peintre est témoin de la ruine de son pays : La mise en perspective de la foule, La beauté violée du paysage
- Les crimes du peintre Caravage : Le réalisme ou l'aboutissement du crime, La fuite vers la Sicile et l'île de Malte
- Goya, le magicien de l'Espagne : L'apparition d'un peintre de cour maléfique, Avec lui commence le chaos moderne, Le sommeil de la raison engendre des monstres
- Delacroix ou le paradoxe du romantisme : Un jeune homme venu trop tard, De l'aristocratie de l'âme
- Le scandale sacré : le peintre Manet : Olympia un sentiment d'obscénité, Le dandysme est un soleil couchant
- Cézanne, le regard d'un solitaire : Qu'elle est loin la jeunesse, L'orage du midi
- Van Gogh : Le prédicateur, Celui qui perdit son pays natal, L'autodestructeur, Le suicide

Article du 23 janvier 2013