70 Cinéma & DVD - mars 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 26 mars 2025

Full River Red de Zhang Yimou


Oubliant mon article du 2 mai 2023, je revois Full River Red du Chinois Zhang Yimou, grâce au nouveau master HD distribué par Carlotta. J'aurais pu espérer mieux comprendre l'intrigue à l'image du labyrinthe qui ponctue le film comme des têtes de chapitre, mais les références historiques, politiques et poétiques me manquent. Si certains de mes lecteurs ou lectrices sont à la fois cinéphiles et sinophones, j'aimerais savoir ce que clament les raps hystériques géniaux qui accompagnent les courses dans les couloirs labyrinthiques, et dont les sous-titres sont étrangement absents. Ont-ils à voir avec le poème final, connu de tous les Chinois ? La diction théâtrale soulignée par les percussions, le scénario avec meurtres en cascade, le rythme général entretiennent pourtant un mystère engendré par la musique d'une langue inconnue dont on ne saisit que le ton sans en comprendre les ramifications. La partition sonore reste néanmoins ce qui m'a le plus plu, encore cette fois.

Zhang Yimou enfonce le clou


J'ai beau avoir tenu les 2h38 du nouveau film de Zhang Yimou et lu ensuite plusieurs résumés je n'ai pas compris grand chose à ce labyrinthe de trahisons à tiroirs. Mais peut-être me manque-t-il les connaissances historiques ? Comme pour Everything Everywhere All at Once dont Sonia me dit qu'il est truffé de références au Bouddhisme qui rendent le film particulièrement drôle, ce qui m'échappe. Full River Red est une sorte de peplum chinois dont la majorité des scènes sont plutôt intimistes, sorte de thriller humoristique à l'ère de la dynastie des Song du sud (1127–1279). L'intrigue se passe quatre ans après la mort du général Yue Fei, suite à la trahison du premier ministre Qin Hui qui ne semble pas en être resté là. Ce n'est donc pas ce qui m'a le plus intéressé dans ce flux un peu indigeste et répétitif, pas plus que la propagande sous-jacente concernant Taïwan, sujet épineux et bombe à retardement, mais l'utilisation du son dans certaines scènes. Le film se termine explicitement sur le célèbre poème Man Jiang Hong souvent attribué au général Yue Fei : « Ce n’est qu’en récupérant les territoires perdus que nous répondrons à la demande du peuple ». Effet plaqué, mais résumant bien le film qui évoque essentiellement la loyauté et la trahison.


L'utilisation des instruments de percussion de l'orchestre traditionnel chinois m'a par contre énormément plu, voire m'a donné des idées ou les a confortées. Ils soulignent ou remplacent des bruitages au point de composer une sorte de musique varésienne aux timbres riches et variés. Les intermèdes récurrents accompagnant les déambulations dans le corridor extérieur sont particulièrement épatants, un rap chinois hystérique hurlé dans une haute tessiture, soutenu par les percussions, une basse électrique et, de temps en temps, des instruments traditionnels à cordes. En dehors de cela, malgré son immense succès en Chine, il ne me semble pas que ce soit le meilleur film du réalisateur des films à grand spectacle que sont Épouses et concubines, Hero ou Le secret des poignards volants...

Full River Red, Blu-Ray Carlotta, sortie le 1er avril 2025

lundi 24 mars 2025

D'actualité, Canadian Bacon de Michael Moore


Face aux pires absurdités et aux criminels contre l'humanité qui se reproduisent comme des gremlins, l'humour reste un rempart contre la peur qu'ils inspirent à la majorité. Le dictateur de Charles Chaplin ou To Be or Not To Be d'Ernst Lubitsch en sont d'excellents exemples. Par contre, les films à message m'ennuient, ne convaincant que celles et ceux qui veulent être convaincus. Il n'est pas toujours indispensable de comprendre la folie de ceux qui dirigent le monde. L'arrogance et le sentiment d'impunité les perdent le plus souvent, mais ils font hélas des millions de morts entre temps. On peut toujours espérer survivre à Trump, Musk, Poutine, Nétanyahou, el-Hassad, etc., même si cette satisfaction est bien vaine puisque tout le monde finit dans le trou. En regardant Canadian Bacon on appréciera la perspicacité de Michael Moore quant à son analyse critique de la politique étatsunienne. On peut pourtant penser qu'il était loin d'imaginer en 1995 que trente ans plus tard un président américain prônerait l'annexion de son voisin canadien. C'est un peu comme pour Woody Allen, ses premiers films sont les plus réussis, leurs systèmes perdant progressivement la fraîcheur de leurs jeunes années rebelles. Le futur réalisateur de Bowling For Columbine et Fahrenheit 9/11 n'avait encore commis que Roger and Me qui inspirera d'aiileurs le Merci Patron ! de François Ruffin.


Cela n'a absolument rien à voir, mais j'ai pensé au 49e Parallèle, le film de Michael Powell, et à Passeport pour Pimlico de Henry Cornelius, association d'idées que peut-être quelques cinéphiles comprendront. En tout cas, j'ai bien ri devant cette comédie satirique, rire jaune évidemment, comme avec Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Si l'un de ces grands paranoïaques avaient l'idée ou la maladresse d'appuyer sur le bouton, espérons qu'il mouillera son doigt juste avant pour constater d'où vient le vent. Quant au bacon, ce n'est en effet pas tout à fait le même de chaque côté de la frontière, et le terme énerve certains nationalistes étatsuniens quand vient la comparaison.

mardi 18 mars 2025

Les garçons de la bande


Il fallait être gonflé pour réaliser en 1970 un film sans tabou sur le milieu homosexuel à New York. Adapté d'une pièce de Broadway au succès imprévisible, Les garçons de la bande (Boys in the band) reprend la distribution de la pièce dont les comédiens sont tous exceptionnels. Produit par son auteur Mart Crowley, le film est un tour de force cinématographique pour le jeune William Friedkin qui tournera French Connection l'année suivante. Mise à part l'introduction présentant rapidement chaque personnage dans les rues de l'Upper East Side et que l'on ne résistera pas à revoir dès la projection terminée, l'action se passe en temps réel dans l'appartement d'un des neuf garçons. Le découpage est à la hauteur des dialogues ciselés et de la qualité de l'interprétation. Une merveille !
Si les personnages pourraient être les mêmes aujourd'hui, les conditions sociales ont changé depuis quarante ans. Il faut imaginer ce que cela signifiait d'être homosexuel en 1967, date où la pièce fut écrite par Crowley. Si cette sortie en DVD [aujourd'hui épuisé] par Carlotta [tombait] au moment du débat sur le mariage pour tous et toutes, les réactions de l'époque étaient autrement plus brutales, au mieux une incompréhension totale. La sexualité des garçons passe au-dessus des clivages religieux, sociaux ou raciaux. Encore que sur ce dernier point le rappel à l'ordre sera particulièrement douloureux. Commencé comme une comédie exubérante, le film glisse doucement vers le drame psychologique, les visages fondant sous la chaleur de l'orage. La critique sentimentale dépasse largement l'inclination sexuelle des boys, même si on a rarement déployé au cinéma autant d'intelligence et de sensibilité sur le sujet. Le film n'a pas toujours été bien perçu, accusé d'Uncle Tomisme ou de stéréotype par les uns, de perversion par les autres. Sa découverte est aujourd'hui époustoufante. Ce film du réalisateur de Killer Joe est un chef d'œuvre qui ravira les amateurs de comédie, queer ou pas.

Depuis cet article du 13 février 2013 j'ai revu ou découvert tous les films de Friedkin, dont Sorcerer, Cruising, To live and die in L.A., Killer Joe figurent parmi mes préférés...

mardi 4 mars 2025

Interrogations cinéphiliques


Je me demande ce que les jurys des festivals ont dans la tête lorsqu'ils accordent la Palme d'or à Anora de Sean Baker ou quatre Oscars, le Lion d'argent, plus quelques BAFTA et Golden Globes à The Brutalist de Brady Corbet. On peut comprendre l'enthousiasme pour Emilia Perez de Jacques Audiard sans le partager pour autant, ou s'emballer pour Miséricorde d'Alain Guiraudie, scandaleusement oublié des Césars, L'histoire de Souleymane de Boris Lojkine ou Le roman de Jim des frères Larrieu dont la tendre interprétation de Karim Leklou lui évite de sombrer dans le mélo, mais là ? Le film de Guiraudie met bien une heure à poser le décor avant de déjanter sévèrement, c'est nécessaire, avec un humour quasi buñuélien et une élégante propension aux suggestions. Celui de Lojkine est franchement déprimant, entretenant une tension permanente, parce que son sujet l'exige. Celui des Larrieu tient du feel good movie alors que le sujet pourrait être tout aussi déprimant. Mais l'hystérie répétitive d'Anora est d'un ennui pervers, si l'on se fiche du cynisme des riches oligarques russes et de l'arrogance imbécile du fric fêtard.
Quant à The Brutalist, on peut espérer le meilleur quand ça commence, mais après l'entr'acte on se rend compte que le comédien principal a un jeu tristement monotone, que les autres personnages ne sont absolument pas fouillés, que rien n'est développé, ni justifié ; plus on avance, plus son scénario est bâclé, avec des ellipses ridicules ou absconses. Dans la première partie, j'avais bien saisi les allusions au sublime The Foutainhead (Le rebelle) de King Vidor (un architecte visionnaire incompris et trahi, s'étant retrouvé manœuvre sur un chantier, construit un mausolée), mais à quoi servent les scènes de drogue, la séquence à Carrare, les paysages touristiques, le mutisme de la nièce qui retrouve la parole, son compagnon sorti d'un chapeau, la disparition énigmatique du milliardaire qui n'est pas celle de Louis II de Bavière, la révélation qui tombe comme un cheveu sur la soupe, quid du brutalisme, etc. Les références sont autant de croche-pieds qui font chuter Corbet et si tout le film n'est qu'une métaphore du camp de concentration, c'est tout aussi raté et on en prend pour 3h35. Et une grande partie de la critique de se gargariser. Mama mia.
Il est certain que j'ai regardé pas mal de daubes ces derniers temps. J'ai même eu du plaisir à The Gorge de Scott Derrickson, SF gore avec des monstres très réussis. J'ai aussi ri au charmant Un p'tit truc en plus d'Artus, on en a besoin de temps en temps. A Complete Unknown (Un parfait inconnu) de James Mangold (surtout le début avec Dylan, Seeger et Guthrie, très émouvant) ou The Room Next Door (La chambre d'à côté) de Pedro Almodovar furent de bonnes surprises, parce que les biopics sont rarement réussis (catastrophique Maria, encore une fois malgré les encensoirs) et que les meilleurs films d'Almodovar datent d'il y a longtemps. Ces films tiennent évidemment sur la qualité de l'interprétation. Bird d'Andrea Arnold est chouette aussi. Donc Miséricorde, Le roman de Jim, L'histoire de Souleymane, oui. Probablement pas encore vu ceux qui ne sont pas listés dans ce compte-rendu un peu foutraque ou bien je les ai déjà oubliés !